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Et, quoique amis, enfin, je suis tout des premiers...

Alc., (se levant brusquement.)

Moi, votre ami! rayez cela de vos papiers.
J'ai fait jusques ici profession de l'être ;
Mais, après ce qu'en vous je viens de voir paraître,
Je vous déclare net que je ne le suis plus,

Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.

Phil. Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ?

Alc. Allez, vous devriez mourir de pure honte:

Une telle action ne saurait s'excuser,

Et tout homme d'honneur s'en doit scandaliser.
Je vous vois accabler un homme de caresses,
Et témoigner pour lui les dernières tendresses:
De protestations, d'offres et de serments,
Vous chargez la fureur de vos embrassements:
Et quand je vous demande après quel est cet homme,
À peine pouvez-vous dire comme il se nomme ;1
Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d'indifférent!
Morbleu! c'est une chose indigne, lâche, infâme,
De s'abaisser ainsi jusqu'à trahir son âme;
Et si, par un malheur, j'en avais fait autant,
Je m'irais, de regret, pendre tout à l'instant.

Phil. Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable;
Et je vous supplierai d'avoir pour agréable
Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt,
Et ne me pende pas pour cela, s'il vous platt.

Alc. Que la plaisanterie est de mauvaise grâce! Phil. Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse ? Alc. Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

Phil. Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie, Il faut bien le payer de la même monnoie, Répondre comme on peut à ses empressements, Et rendre offre pour offre, et serments pour serments. Alc. Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode, Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode; Et je ne hais rien tant que les contorsions De tous ces grands faiseurs de protestations, Ces affables donneurs d'embrassades frivoles, Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,

Comme, pour comment.

• Monnoie. Ce mot s'écrit et se prononce: monnaie.

Qui de civilités avec tous font combat,1

Et traitent du même air l'honnête homme et le fat.

Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,

Et vous fasse de vous un éloge éclatant,

Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située

Qui veuille d'une estime ainsi prostituée;
Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers.
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu! vous n'êtes pas pour être de mes gens;
Je refuse d'un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence;
Je veux qu'on me distingue; et, pour le trancher net,
L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait.3

Phil. Mais quand on est du monde' il faut bien que l'on rende Quelques dehors civils que l'usage demande.

Alc. Non, vous dis-je; on devrait châtier sans pitié
Ce commerce honteux de semblant d'amitié.
Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.

Phil. Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule, et serait peu permise;
Et, par fois, n'en déplaise à votre austère honneur,
Il est bon de cacher ce qu'on a dans le cœur.
Serait-il à propos et de la bienséance

De dire à mille gens tout ce que d'eux on pense ?
Et quand on a quelqu'un qu'on hait, ou qui déplaît,
Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ?

Alc. Oui.

Phil. Quoi! vous iriez dire à la vieille Émilie Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie,

Combat, pour assaut. Faire assaut de civilités, lutter à qui en montrera le plus.

• Let se prononce toujours dans fat.

* N'est point mon fait, n'est pas ce qui me convient, ce que j'estime.

Quand on est dans le monde.

* N'en déplaise à, quoique cela déplaise à.

Et que le blanc qu'elle a scandalise chacun ?1

Alc. Sans doute.

Phil.

À Dorilas, qu'il est trop importun,

Et qu'il n'est à la cour oreille qu'il ne lasse
À conter sa bravoure et l'éclat de sa race?

Alc. Fort bien.

Vous vous moquez.

Phil.

Alc.

Je ne me moque point;

Et je vais n'épargner personne sur ce point:

Mes yeux sont trop blessés; et la cour et la ville
Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile.

J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font.

Je ne trouve partout que lâche flatterie,

Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie;

Je n'y puis plus tenir, j'enrage; et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain.

Phil. Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage.

Je ris des noirs accès où je vous envisage;
Et crois voir en nous deux, sous mêmes soins nourris,
Ces deux frères que peint l'École des Maris,

Dont...

Alc. Mon Dieu! laissons-là vos comparaisons fades.
Phil. Non: tout de bon quittez toutes ces incartades;

Le monde par vos soins ne se changera pas.

Et puisque la franchise a pour vous tant d'appas,
Je vous dirai tout franc que cette maladie,

Partout où vous allez donne la comédie;

Et qu'un si grand courroux contre les mœurs du temps,
Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens.

Alc. Tant mieux, morbleu! tant mieux; c'est ce que je

demande:

Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande.
Tous les hommes me sont à tel point odieux
Que je serais fâché d'être sage à leurs yeux.

Phil. Vous voulez un grand mal à la nature humaine! Alc. Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine. Phil. Tous les pauvres mortels, sans nulle exception, Seront enveloppés dans cette aversion ?

Encore en est-il bien dans le siècle où nous sommes...
Alc. Non, elle est générale, et je hais tous les hommes;

Le blanc qu'elle a sur la figure.

* Rompre en visière, parler avec hauteur.

Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants;
Et les autres, pour être aux méchants complaisants,
Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.
De cette complaissance on voit l'injuste excès
Pour le franc scélérat avec qui j'ai procès.
Au travers de son masque on voit à plein le traître,
Partout il est connu pour tout ce qu'il peut-être ;
Et ses roulements d'yeux et son ton radouci,
N'imposent qu'à des gens qui ne sont point d'ici.
On sait que ce pied-plat,1 digne qu'on le confonde,
Par de sales emplois s'est poussé dans le monde;
Et que par eux son sort, de splendeur revêtu,
Fait gronder le mérite et rougir la vertu.
Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne,
Son misérable honneur ne voit pour lui personne :
Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit,
Tout le monde en convient, et nul n'y contredit.
Cependant sa grimace est partout bien venue:
On l'accueille, on lui rit, partout il s'insinue;
Et s'il est par la brigue un rang à disputer,
Sur le plus honnête homme on le voit l'emporter.?
Têtebleu! ce me sont de mortelles blessures
De voir qu'avec le vice on garde des mesures:
Et par fois il me prend des mouvements soudains
De fuir dans un désert l'approche des humains.

Phil. Mon Dieu! des mœurs du temps mettons-nous moins

en peine,

Et faisons un peu grâce à la nature humaine :
Ne l'examinons point dans la grande rigueur,
Et voyons ses défauts avec quelque douceur.
Il faut parmi le monde une vertu traitable;
À force de sagesse on peut-être blamable:
La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l'on soit sage avec sobriété.
Cette grande raideur des vertus des vieux âges
Heurte trop notre siècle et les communs usages;
Elle veut aux mortels trop de perfection:
Il faut fléchir au temps sans obstination;
Et c'est une folie, à nulle autre seconde,

Pied-plat, homme méprisable.
* L'emporter, avoir l'avantage, le dessus.
* Têtebleu, interjection peu usitée.

De vouloir se mêler de corriger le monde.
J'observe, comme vous, cent choses tous les jours
Qui pourraient mieux aller prenant un autre cours;
Mais, quoi qu'à chaque pas je puisse voir paraître,
En courroux, comme vous, on ne me voit point être.
Je prends tout doucement les hommes comme ils sont,
J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font;
Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville,
Mon flegme est philosophe autant que votre bile.

Alc. Mais ce flegme, monsieur, qui raisonnez si bien,
Ce flegme pourra-t-il ne s'échauffer de rien ?
Et s'il faut par hasard qu'un ami vous trahisse,
Que pour avoir vos biens on dresse un artifice,
Ou qu'on tâche à semer de méchants bruits de vous,
Verrez-vous tout cela sans vous mettre en courroux?

Phil. Oui: je vois ces défauts dont votre âme murmure,
Comme vices unis à l'humaine nature;
Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé
De voir un homme fourbe, injuste, intéressé,
Que de voir des vautours affamés de carnage,
Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage.

Alc. Je me verrai trahir, mettre en pièces, voler,
Sans que je sois... Morbleu! je ne veux point parler,
Tant ce raisonnement est plein d'impertinence!

Phil. Ma foi, vous feriez bien de garder le silence.
Contre votre partie éclatez un peu moins,
Et donnez au procès une part de vos soins.

Alc. Je n'en donnerai point, c'est une chose dite.
Phil. Mais qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite ?
Alc. Qui je veux ? La raison, mon bon droit, l'équité.
Phil. Aucun juge par vous ne sera visité?

Alc. Non. Est-ce que ma cause est injuste ou douteuse ?
Phil. J'en demeure d'accord; mais la brigue est fâcheuse,

Et...

Alc. Non, j'ai résolu de n'en pas faire un pas.

J'ai tort, ou j'ai raison.
Phil.

Alc. Je ne remuerai point.
Phil.

Ne vous y fiez pas.

Votre partie est forte,

Il n'importe.

Et peut, par sa cabale, entraîner...
Alc.

Phil. Vous vous tromperez.
Alc.

Phil. Mais...

Soit. J'en veux voir le succès.

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