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Fourniment. C'est vrai. Tudieu! vous vous tenez à cheval comme un officier.

Eugénie. Tant mieux, mon frère, je suis contente que tu te sois amusé.

Fourniment, (apercevant Paul.) Ah! ah! ah! qu'est-ce que c'est que ce grand gaillard-là ?... Bonjour, mon sapeur. Paul, (se serrant contre Eugénie.) Cachez-moi, mademoiselle; il me fait peur, ce grand monsieur-là.

Fourniment. Comment! mille bombes! je te fais peur ? Eugénie. Vous l'intimidez... Édouard, tu ne reconnais pas

le frère d'André ?

Edouard. Oui! S'il est aussi aimable que l'autre, ils font une jolie paire.

Eugénie. Oh! que c'est méchant ce que tu dis là!

Fourniment. Il est vrai qu'il est un peu ours, notre jeune homme.

Paul, (en colère.) Vous êtes des méchans; je ne veux pas qu'on dise du mal de mon frère, moi... Allons le chercher, mademoiselle Eugénie ; je veux le voir, là.1

Eugénie. Oui. Je suis étonnée qu'on ne l'ait pas prévenu.
Fourniment. Sans rancune, mon petit moutard.
Paul. Je ne vous aime pas, vous...

SCÈNE VIII.

Edouard, Fourniment, et ensuite M. Dumolard.

Fourniment. Ils ont le diable au corps, dans cette famille ! en voilà encore un qui me boude.

Edouard. Je ne sais pas pourquoi mon père aime à s'empêtrer de tout ce monde là.

M. Dumolard, (paraissant tout à coup.) Et de quel droit, monsieur, jugez-vous ma conduite d'une manière aussi leste? Fourniment. Aïe ! aïe ! mon capitaine était en védette.

M. Dumolard. Je découvre en vous une chose qui me fait mal, monsieur: c'est que vous avez un mauvais cœur... Et toi, Fourniment, je suis étonné que tu aies l'air d'approuver ses mauvaises actions.

Fourniment, (à part.) Ouf! voilà un éclat de bombe qui m'arrive.

M. Dumolard. Savez-vous quel est le père d'André ? C'est un homme qui m'a sauvé la vie, qui s'est dévoué à moi com

1Là, est souvent employé dans la conversation comme terme d'admiration ou d'étonnement.

me un frère lorsque je fus porté mourant sur les pontons d'Angleterre, où il partagea ma captivité; un homme que tu as connu, toi, Fourniment, et dont tu as admiré la bravoure, le commandant Laurencin.

Fourniment. Le commandant Laurencin!

M. Dumolard. Lui-même... réduit aujourd'hui à la plus affreuse détresse, avec une femme et cinq enfans.

Fourniment. Mille bombes!' quel coup d'assommoir vous me portez, mon capitaine, en m'apprenant ça.

Edouard. Ah! mon père, que je me sens coupable, et combien je me reproche d'avoir été injuste envers André !

M. Dumolard. C'est un tort... Je sais bien que cet enfant est exigeant, et a le travers de ne pas accepter sa situation auprès de moi telle que je la lui fais. L'affection toute paternelle que je lui montre ne le relève pas assez à ses yeux; il finira par perdre ses folles idées, et reconnaîtra son erreur. Mais il ne s'agit pas de blesser son amour-propre et de heurter ses scrupules, car, alors, ses préventions seraient plus

tenaces.

Fourniment. Je comprends la manoeuvre; et, comme on dit, on ne prend pas les mouches avec du vinaigre.

Edouard. J'apprécie aussi tes intentions, et je m'y conformerai, mon cher papa.

M. Dumolard. Bien, mon ami; d'ailleurs, je m'expliquerai avec André, et j'apprécierai au juste ses sentimens... Le voici; laissez-moi avec lui. (Edouard et Fourniment sortent.)

SCÈNE IX.

M. Dumolard, André.

M. Dumolard. Approche, André... Eh bien! tu as vu ton frère ?

André. Oui, monsieur; mon père est malade, et je voulais vous demander la permission de retourner dans ma famille.

M. Dumolard. C'est-à-dire, tu veux aller visiter ton père; c'est le désir d'un bon fils; mais tu reviendras bientôt, n'estce pas ?

André, (hésitant.) Monsieur... je voulais... Je suis très reconnaissant de vos bontés pour moi... mais...

M. Dumolard. Achève... explique-toi avec confiance.

Toutes les exclamations de Fourniment sont celles d'un soldat.

André. Mon désir serait de rester avec mes parens.

M. Dumolard. Pourquoi ?... quel est le motif? n'es-tu pas heureux ici ?

André Non, monsieur... je ne suis pas à mon aise; il me manque quelque chose.

M. Dumolard. Eh bien! dis-moi ce qui te manque, et je serai empressé à t'en faire jouir.

André. Oh! monsieur, vos bontés m'accordent bien au-delà de ce que je puis désirer.

M. Dumolard. Que te faut-il enfin ?

André. Rien... que la permission que je vous demande. M. Dumolard. Mais, encore, je veux en savoir le motif. André. Eh bien, monsieur... Oh! il m'en coûte de vous dire cela, et j'ai même quelque peine à me rendre compte de mes sentimens, mais c'est plus fort que moi.'

M. Dumolard. Voyons, recueille ce que tu as à me dire, et termine ce préambule qui commence par devenir un peu long.

André. Vous avez eu la bonté de me recevoir dans votre maison, et cela pour rendre service à mon père, et non par amitié pour moi.

M. Dumolard. C'est vrai! c'est mon attachement pour ton père qui m'a déterminé à cela... Mais, où veux-tu en venir en faisant cette réflexion ?

André. Je ne suis alors, au yeux de tout le monde, qu'un objet de charité et de pitié.

M. Dumolard. Et où prends-tu cela? n'es-tu pas ici sur le même pied que mes enfans? n'ai-je pas recommandé qu'on ait pour toi les mêmes égards?

André. J'en conviens; mais vous ne pouvez avoir pour moi le même attachement que pour ceux qui vous appartiennent je ne puis jouir d'aucune considération auprès des autres; je ne suis ici, enfin, qu'un étranger; c'est un titre que rien ne peut effacer: il est mille choses qui m'en font souvenir à chaque instant, et je souffre.

M. Dumolard. Allons! allons mon cher ami, c'est un sot orgueil qui t'a tourné la tête. De quoi vas-tu t'inquiéter? Rien ne peut faire que tu sois véritablement mon fils; mais si j'ai pour toi les mêmes soins, si j'ai pour toi, non pas peut-être cet amour exclusif et passionné qu'un père éprouve pour ceux à qui il a donné le jour, mais une affection tendre et dévouée qui veille sur toi avec sollicitude, et pourvoie à ton avenir,

1 Je ne puis me maîtriser.

n'est-ce pas, dis-moi, une part assez belle et dont tu doives te contenter raisonnablement ?

André. Si vous n'aviez pas eu d'enfans, il y aurait eu plus d'illusion pour moi, et j'aurais pu me croire votre fils; mais ils sont là, entre nous, et l'objet de votre préférence.

M. Dumolard. Qu'est-ce à dire ? faut-il que je chasse mes enfans pour t'adopter, toi, un étranger! Je dirai ce mot positif, puisque tu tiens à ne pas l'écarter de ta pensée. En vérité, mon pauvre garçon, tu deviens fou avec tes exigences... Écoute, je ferai pour toi tout ce que je puis faire; me demander, ou vouloir ce qui n'est pas possible, c'est une extravagance qui dégénère en ingratitude. Je t'ai fait ton lot d'affection, complet autant qu'il pouvait l'être, tu ne t'en contentes pas!... Soit! retourne auprès de ton père, qui malheureusement n'a à t'offrir que la misère et l'obscurité; ton jeune frère prendra ta place; et je pense qu'il aura plus de raison, et qu'il ne se tourmentera pas à exiger l'impossible; tu pourras lui annoncer ma décision, et tu restes libre de quitter ma maison quand tu voudras.

André. Pardonnez-moi, monsieur, je n'ai pas voulu vous offenser.

M. Dumolard. Tu ne m'as pas offensé... Je satisfais seulement à ce que tu désires... Voici une bourse, André, que je destinais pour tes étrennes, j'ai pensé que cela te conviendrait mieux qu'un cadeau ordinaire, car tu as peut-être quelques dispositions à faire.

André. Je vous remercie, monsieur... Mais je ne saurais accepter, je vous ai déjà tant d'obligations...

M. Dumolard. Et elles te pèsent, n'est-ce pas, misérable orgueilleux! et, dans ton dur égoïsme, tu oublies ceux qui souffrent et que tu pourrais soulager. Tiens, lis cette lettre, et tu me répondras après.

SCÈNE X.

Les Précédens, Edouard, Eugénie, Paul, Fourniment.

Fourniment, (tenant Paul sur ses épaules.) Au galop! au galop! hope!... Ah! j'espère que nous sommes joliment camarades maintenant.

André, (s'étant retiré dans un coin du théâtre, pendant que les autres interlocuteurs ont l'air de causer entre eux dans

1 Locution qui exprime le reproche, l'étonnement,

le fond.) C'est l'écriture de mon père! que peut-il écrire! lisons.

"Mon cher ami,

"C'est sur mon lit de douleur, où m'ont cloué le chagrin et la misère, que je vous écris ces mots; le malheur est bien acharné après moi, mais je ne saurais me plaindre des rigueurs du destin, puisqu'il m'a laissé pour consolation un ami tel que vous.

"C'est un grand service que vous m'avez rendu en prenant avec vous mon fils aîné; j'espère qu'André sait l'apprécier, et qu'il vous donne lieu d'être satisfait de sa conduite et de ses sentimens... Ah! qu'il ignore, le pauvre enfant, toutes les privations qui nous sont imposées; laissons le jouir du bien-être que vous lui procurez, car, mon ami, je vous avouerai que si nous avions sa part à prélever sur notre maigre pitance, nous sentirions, hélas! plus fortement l'aiguillon de la faim." (Il porte la main sur ses yeux et pleure.)

M. Dumolard, (reprenant la lettre.) Tu as lu, André, et je vois l'impression que cette lettre a produite sur toi.

André. Ah! monsieur... Mon pauvre père! quels affligeans détails.

Eugénie, (lui prenant la main.) Vous avez du chagrin, André ?

Edouard, (lui prenant l'autre main.) Mon cher André, j'ai mal agi quelquefois avec toi, je veux que tu me pardonnes, et je désire que tu sois toujours mon ami, ou plutôt mon frère, car c'est ainsi que je dois te considérer.

André. C'est moi, mes amis, qui ai de grands torts envers vous tous, et surtout envers vous, monsieur: j'avais la folie de taxer vos bontés. Je sens que je ne les mérite plus; mon frère, qui doit prendre ma place, saura mieux les apprécier. Quant à moi...

M. Dumolard. Oublions le passé... Je vous garderai tous deux.

Edouard. Vivat!

Eugénie. Mon bon petit père, je t'en aime davantage. André, (se jetant aux genoux de M. Dumolard.) Ah! monsieur, comment reconnaîtrai-je tant de génerosité?

lui.

Fourniment. Alors, nous gardons le petit moutard? tant mieux! car j'ai déjà un grand fonds d'amitié pour Paul. Vous êtes bien bon, monsieur Chose.

Fourniment. Comment! monsieur Chose, tu me donnes là un beau nom de Baptême!

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