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Que t'ai-je fait ?
Egis.
Les dieux qui vengent le parjure,
Sont témoins si ma bouche a connu l'imposture.
J'avais dit à vos pieds la simple vérité;
J'avais déjà fléchi votre cœur irrité ;

Vous étendiez sur moi votre main protectrice :
Qui peut avoir si tôt lassé votre justice?

Hélas! sur son visage

Et quel est donc ce sang qu'a versé mon erreur?
Quel nouvel intérêt vous parle en sa faveur ?
Mér. Quel intérêt? barbare!
Egis.
J'entrevois de la mort la douloureuse image;
Que j'en suis attendri! j'aurais voulu cent fois
Racheter de mon sang l'état où je la vois.

Mér. Le cruel! à quel point on l'instruisit à feindre!
Il m'arrache la vie, et semble encor me plaindre.

(Elle se jette dans les bras d'Isménie.)

Eur. Madame, vengez-vous, et vengez à la fois
Les lois, et la nature, et le sang de nos rois.

Egis. À la cour de ces rois telle est donc la justice!
On m'accueille, on me flatte, on résout mon supplice.
Quel destin m'arrachait à mes tristes forêts?
Vieillard infortuné, quels seront vos regrets?
Mère trop malheureuse, et dont la voix si chère
M'avait prédit...

Mér.

Barbare il te reste une mère. Je serais mère encor sans toi, sans ta fureur. Tu m'as ravi mon fils.

Egis.

Si tel est mon malheur,

S'il était votre fils, je suis trop condamnable.

Mon cœur est innocent, mais ma main est coupable.

Que je suis malheureux! Le ciel sait qu'aujourd'hui
J'aurais donné ma vie et pour vous et pour lui.

Mér. Quoi, traître ! quand ta main lui ravit cette armure...
Egis. Elle est à moi.

Mér.

Egis.

Comment ? que dis-tu ?

Par vous, par ce cher fils, par vos divins aïeux,

Je vous jure,

Que mon père en mes mains mit ce don précieux.

Mér. Qui, ton père? En Élide? En quel trouble il me

jette!

Son nom? parle : réponds.

Egis.

Je vous l'ai déjà dit.

Son nom est Polyclète :

Mér.

Tu m'arraches le cœur.
Quelle indigne pitié suspendait ma fureur!
C'en est trop; secondez la rage qui me guide.
Qu'on traîne à ce tombeau ce monstre, ce perfide.
(Levant le poignard.)

Mânes de mon cher fils, mes bras ensanglantés...
Nar., (paraissant avec précipitation.)

Qu'allez-vous faire, ô dieux!

Mér.

Nar.

Qui m'appelle ?

Arrêtez!

Hélas! il est perdu, si je nomme sa mère,

S'il est connu.

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Egis., (tournant les yeux vers Narbas.) Ô mon père !

Mér. Son père !

Egis., (à Narbas.)

Hélas! que vois-je ? où portez-vous vos pas? Venez-vous être ici témoin de mon trépas?

Nar. Ah! madame, empêchez qu'on achève le crime. Euryclès, écoutez, écartez la victime:

Que je vous parle.

Eur., (emmène Egisthe, et ferme le fond du théâtre.)

O ciel!

Mér., (s'avançant.)

J'allais venger mon fils.

Vous me faites trembler:

Nar., (se jetant à genoux.) Vous alliez l'immoler. Égisthe...

Mér., (laissant tomber le poignard.)

Nar.

Eh bien! Égisthe?

Ô reine infortunée !

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Nar., (à Isménie.)

Rappelez ses esprits.

Hélas! ce juste excès de joie et de tendresse,

Ce trouble si soudain, ce remords qui la presse,
Vont consumer ses jours usés par la douleur.

Mér., (revenant à elle.)

Ah! Narbas! est-ce vous? est-ce un songe trompeur ?

Quoi! c'est vous! c'est mon fils! qu'il vienne, qu'il paraisse.
Nar. Redoutez, renfermez cette juste tendresse.
(A Isménie.) Vous, cachez à jamais ce secret important ;
Le salut de la reine et d'Égisthe en dépend.

Mér. Ah! quel nouveau danger empoisonne ma joie!
Cher Égisthe! quel dieu défend que je te voie?
Ne m'est-il donc rendu que pour mieux m'affliger?
Nar. Ne le connaissant pas, vous alliez l'égorger;
Et, si son arrivée est ici découverte,

En le reconnaissant vous assurez sa perte.
Malgré la voix du sang, feignez, dissimulez :
Le crime est sur le trône, on vous poursuit, tremblez.

SCÈNE V.

Mérope, Euryclès, Narbas, Isménie.

Eur. Ah! madame, le roi commande qu'on saisisse...
Mér. Qui?

Eur.

Ce jeune étranger qu'on destine au supplice. Mér., (avec transport.)

Eh bien! cet étranger, c'est mon fils! c'est mon sang.
Narbas, on va plonger le couteau dans son flanc !

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C'est mon fils qu'on entraîne.

Pourquoi? quelle entreprise exécrable et soudaine!
Pourquoi m'ôter Égisthe?

Eur.

Avant de vous venger,

Polyphonte, dit-il, prétend l'interroger.

Mér. L'interroger? qui? lui? Sait-il quelle est sa mère ? Eur. Nul ne soupçonne encor ce terrible mystère.

Mér. Courons à Polyphonte; implorons son appui. Nar. N'implorez que les dieux, et ne craignez que lui. Eur. Si les droits de ce fils font au roi quelque ombrage, De son salut au moins votre hymen est le gage.

Prêt à s'unir à vous d'un éternel lien,

Votre fils aux autels va devenir le sien.

Et dût sa politique en être encor jalouse,

Il faut qu'il serve Égisthe, alors qu'il vous épouse.

Nar. Il vous épouse! lui! quel coup de foudre! ô ciel! Mér. C'est mourir trop long-temps dans ce trouble cruel. Je vais...

Nar. Vous n'irez point, ô mère déplorable! Vous n'accomplirez point cet hymen exécrable.

Eur. Narbas, elle est forcée à lui donner la main.
Il peut venger Cresphonte.
Nar.

Mér. Lui? ce traître !
Nar.

Il en est l'assassin.

Oui, lui-même; oui, ses mains sanguinaires Ont égorgé d'Égisthe et le père et les frères : Je l'ai vu sur mon roi, j'ai vu porter les coups! Je l'ai vu tout couvert du sang de votre époux. Mér. Ah! dieux!

Nar.

J'ai vu ce monstre entouré de victimes;

Je l'ai vu contre vous accumuler les crimes :
Il déguisa sa rage à force de forfaits;
Lui-même aux ennemis il ouvrit ce palais :
Il y porta la flamme; et parmi le carnage,
Parmi les traits, les feux, le trouble, le pillage,
Teint du sang de vos fils, mais des brigands vainqueur,
Assassin de son prince, il parut son vengeur.
D'ennemis, de mourants, vous étiez entourée ;
Et moi, perçant à peine une foule égarée,
J'emportai votre fils dans mes bras languissants.
Les dieux ont pris pitié de ses jours innocents:
Je l'ai conduit, seize ans, de retraite en retraite ;
J'ai pris pour me cacher le nom de Polyclète ;
Et lorsqu'en arrivant je l'arrache à vos coups,
Polyphonte est son maître, et devient votre époux !
Mér. Ah! tout mon sang se glace à ce récit horrible.
Eur. On vient: c'est Polyphonte.

Mér.
Ô dieux! est-il possible?
(A Narbas.) Va, dérobe surtout ta vue à sa fureur.
Nar. Hélas! si votre fils est cher à votre cœur,

Avec son assassin dissimulez, madame.

Eur. Renfermons ce secret dans le fond de notre âme. Un seul mot peut le perdre.

Mér., (à Euryclès.)

Veillent sur ce dépôt si cher, si précieux.

Eur. N'en doutez point.

Mér.

Ah! cours; et que tes yeux

Hélas! j'espère en ta prudence;

C'est mon fils, c'est ton roi. Dieux! ce monstre s'avance.

SCÈNE VI.

Mérope, Polyphonte, Erox, Isménie, suite.

Pol. Le trône vous attend, et les autels sont prêts; L'hymen qui va nous joindre unit nos intérêts.

Comme roi, comme époux, le devoir me commande
Que je venge le meurtre, et que je vous défende.
Deux complices déjà, par mon ordre saisis,
Vont payer de leur sang le sang de votre fils.
Mais, malgré tous mes soins, votre lente vengeance
A bien mal secondé ma prompte vigilance.
J'avais à votre bras remis cet assassin;

Vous-même, disiez-vous, deviez percer son sein.

Mér. Plût aux dieux que mon bras fût le vengeur du crime! Pol. C'est le devoir des rois, c'est le soin qui m'anime. Mér. Vous?

Pol.

Pourquoi donc, madame, avez-vous différé ? Votre amour pour un fils serait-il altéré ?

Mér. Puissent ses ennemis périr dans les supplices!
Mais si ce meurtrier, seigneur, a des complices;
Si je pouvais par lui reconnaître le bras,
Le bras dont mon époux a reçu le trépas...
Ceux dont la race impie a massacré le père,
Poursuivront à jamais et le fils et la mère.
Si l'on pouvait...

Pol.
Et déjà le coupable est mis en mon pouvoir.
Mér. Il est entre vos mains?

C'est là ce que je veux savoir;

Pol.

Oui, madame, et j'espère

Percer en lui parlant ce ténébreux mystère.

Mér. Ah! barbare!... À moi seule il faut qu'il soit remis. Rendez-moi... Vous savez que vous l'avez promis.

(A part.) Ô mon sang! ô mon fils! quel sort on vous prépare. (A Pol.) Seigneur, ayez pitié...

Pol.

Il mourra.

Mér. Lui?

Pol.

Quel transport vous égare!

Sa mort pourra vous consoler.
Mér. Ah! je veux à l'instant le voir et lui parler.
Pol. Ce mélange inouï d'horreur et de tendresse,
Ces transports dont votre âme à peine est la maîtresse,
Ces discours commencés, ce visage interdit,

Pourraient de quelque ombrage alarmer mon esprit.
Mais puis-je m'expliquer avec moins de contrainte ?
D'un déplaisir nouveau votre âme semble atteinte.
Qu'a donc dit ce vieillard que l'on vient d'amener?
Pourquoi fuit-il mes yeux ? que dois-je en soupçonner?
Quel est-il ?

Mér. Eh! seigneur! à peine sur le trône,

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