Mér. Seigneur, que de son sort il soit du moins le maître. Daignez...
Pol. C'est votre fils, madame: ou c'est un traître. Je dois m'unir à vous pour lui servir d'appui; Où je dois me venger et de vous et de lui. C'est à vous d'ordonner sa grâce ou son supplice, Vous êtes en un mot sa mère ou sa complice. Choisissez; mais sachez qu'au sortir de ces lieux Je ne vous en croirai qu'en présence des dieux. Vous, soldats, qu'on le garde; et vous, que l'on me suive. (A Mér.) Je vous attends; voyez si vous voulez qu'il vive; Déterminez d'un mot mon esprit incertain;
Confirmez sa naissance en me donnant la main. Votre seule réponse ou le sauve, ou l'opprime. Voilà mon fils, madame, ou voilà ma victime. Adieu.
Mér. Ne m'ôtez pas la douceur de le voir; Rendez-le à mon amour, à mon vain désespoir. Pol. Vous le verrez au temple.
Egis., (que les soldats emmènent.) Ô reine auguste et chère!
Ô vous que j'ose à peine encor nommer ma mère! Ne faites rien d'indigne et de vous et de moi:
Si je suis votre fils, je sais mourir en roi.
Cruels, vous l'enlevez; en vain je vous implore: Je ne l'ai donc revu que pour le perdre encore ? Pourquoi m'exauciez-vous, ô dieu trop imploré ? Pourquoi rendre à mes vœux ce fils tant désiré ? Vous l'avez arraché d'une terre étrangère, Victime réservée au bourreau de son père. Ah! privez-moi de lui; cachez ses pas errants Dans le fond des déserts, à l'abri des tyrans.
Mérope, Narbas, Euryclès.
Mér. Sais-tu l'excès d'horreur où je me vois livrée ?
Nar. Je sais que de mon roi la perte est assurée,
Que déjà dans les fers Égisthe est retenu,
Qu'on observe mes pas.
C'est moi qui l'ai perdu.
Mér. J'ai tout révélé. Mais, Narbas, quelle mère,
Prête à perdre son fils, peut le voir et se taire ?
J'ai parlé, c'en est fait; et je dois désormais
Réparer ma faiblesse à force de forfaits.
Nar. Quels forfaits dites-vous ?
Mérope, Narbas, Euryclès, Isménie.
Qu'il vous faut rassembler les forces de votre âme. Un vain peuple, qui vole après la nouveauté, Attend votre hyménée avec avidité.
Le tyran règle tout: il semble qu'il apprête L'appareil du carnage, et non pas d'une fête. Par l'or de ce tyran le grand-prêtre inspiré A fait parler le dieu dans son temple adoré. Au nom de vos aïeux et du dieu qu'il atteste, Il vient de déclarer cette union funeste. Polyphonte, dit-il, a reçu vos serments; Messène en est témoin, les dieux en sont garants. Le peuple a répondu par des cris d'alégresse ; Et ne soupçonnant pas le chagrin qui vous presse, Il célèbre à genoux cet hymen plein d'horreur: Il bénit le tyran qui vous perce le cœur.
Mér. Et mes malheurs encor font la publique joie ? Nar. Pour sauver votre fils, quelle funeste voie ! Mér. C'est un crime effroyable, et déjà tu frémis. Nar. Mais, c'en est un plus grand de perdre votre fils. Mér. Eh bien! le désespoir m'a rendu mon courage. Courons tous vers le temple où m'attend mon outrage. Montrons mon fils au peuple, et plaçons-le à leurs yeux,1 Entre l'autel et moi, sous la garde des dieux. Il est né de leur sang, ils prendront sa défense; Ils ont assez long-temps trahi son innocence. De son lâche assassin je peindrai les fureurs : L'horreur et la vengeance empliront tous les cœurs. Tyrans, craignez les cris et les pleurs d'une mère. On vient. Ah! je frissonne. Ah! tout me désespère. On m'appelle, et mon fils est au bord du cercueil;
Et plaçons-le à leurs yeux, n'est pas heureux: plaçons ce bien précieux, eût peut-être été mieux.
Le tyran peut encor l'y plonger d'un coup-d'œil.
Ministres rigoureux du monstre qui m'opprime, Vous venez à l'autel entraîner la victime. O vengeance! ô tendresse ! Ô nature! ô devoir! Qu'allez-vous ordonner d'un cœur au désespoir ?
SCÈNE PREMIÈRE.
Egisthe, Narbas, Euryclès.
Nar. Le tyran nous retient au palais de la reine,
Et notre destinée est encore incertaine.
Je tremble pour vous seul. Ah! mon prince! ah! mon fils! Souffrez qu'un nom si doux me soit encor permis. Ah! vivez. D'un tyran désarmez la colère, Conservez une tête, hélas! si nécessaire, Si long-temps menacée, et qui m'a tant coûté.
Eur. Songez que, pour vous seul abaissant sa fierté, Mérope de ses pleurs daigne arroser encore Les parricides mains d'un tyran qu'elle abhorre.
Egis. D'un long étonnement à peine revenu, Je crois renaître ici dans un monde inconnu. Un nouveau sang m'anime, un nouveau jour m'éclaire. Qui, moi, né de Mérope! et Cresphonte est mon père! Son assassin triomphe; il commande, et je sers! Je suis le sang d'Hercule, et je suis dans les fers!
Nar. Plût aux dieux qu'avec moi le petit-fils d'Alcide Fût encore inconnu dans les champs de l'Élide!
Egis. Eh quoi! tous les malheurs aux humains réservés, Faut-il, si jeune encor, les avoir éprouvés? Les ravages, l'exil, la mort, l'ignominie, Dès ma première aurore ont assiégé ma vie. De déserts en déserts, errant, persécuté, J'ai langui dans l'opprobre et dans l'obscurité. Le ciel sait cependant si, parmi tant d'injures, J'ai permis à ma voix d'éclater en murmures. Malgré l'ambition qui dévorait mon cœur, J'embrassai les vertus qu'exigeait mon malheur; Je respectai, j'aimai jusqu'à votre misère; Je n'aurais point aux dieux demandé d'autre père:
Ils m'en donnent un autre, et c'est pour m'outrager. Je suis fils de Cresphonte, et ne puis le venger. Je retrouve une mère, un tyran me l'arrache: Un détestable hymen à ce monstre l'attache. Je maudis dans vos bras le jour où je suis né; Je maudis le secours que vous m'avez donné. Ah! mon père! ah! pourquoi d'une mère égarée Reteniez-vous tantôt la main désespérée ?
Mes malheurs finissaient; mon sort était rempli. Nar. Ah! vous êtes perdu: le tyran vient ici.
Polyphonte, Egisthe, Narbas, Euryclès, gardes.
Pol., (Narbas et Euryclès s'éloignent un peu.) Retirez-vous; et toi dont l'aveugle jeunesse Inspire une pitié qu'on doit à la faiblesse, Ton roi veut bien encor, pour la dernière fois, Permettre à tes destins de changer à ton choix. Le présent, l'avenir, et jusqu'à ta naissance, Tout ton être, en un mot, est dans ma dépendance. Je puis au plus haut rang d'un seul mot t'élever, Te laisser dans les fers, te perdre ou te sauver. Élevé loin des cours et sans expérience, Laisse-moi gouverner ta farouche imprudence. Crois-moi, n'affecte point, dans ton sort abattu, Cet orgueil dangereux que tu prends pour vertu, Si dans un rang obscur le destin t'a fait naître, Conforme à ton état, sois humble avec ton maître. Si le hasard heureux t'a fait naître d'un roi, Rends-toi digne de l'être, en servant près de moi. Une reine en ces lieux te donne un grand exemple; Elle a suivi mes lois, et marche vers le temple. Suis ses pas et les miens; viens au pied de l'autel Me jurer à genoux un hommage éternel. Puisque tu crains les dieux, atteste leur puissance, Prends-les tous à témoin de ton obéissance. La porte des grandeurs est ouverte pour toi. Un refus te perdra; choisis, et réponds-moi.
Egis. Tu me vois désarmé, comment puis-je répondre ? Tes discours, je l'avoue, ont de quoi me confondre; Mais rends-moi seulement ce glaive que tu crains, Ce fer que ta prudence écarte de mes mains: Je répondrai pour lors, et tu pourras connaître
Qui de nous deux, perfide, est l'esclave ou le maître; Si c'est à Polyphonte à régler mes destins,
Et si le fils des rois punit les assassins.
Pol. Faible et fier ennemi, ma bonté t'encourage: Tu me crois assez grand pour oublier l'outrage, Pour ne m'avilir pas jusqu'à punir en toi Un esclave inconnu qui s'attaque à son roi. Eh bien! cette bonté, qui s'indigne et se lasse, Te donne un seul moment pour obtenir ta grâce. Je t'attends aux autels, et tu peux y venir: Viens recevoir la mort, ou jurer d'obéir. Gardes, auprès de moi vous pourrez l'introduire; Qu'aucun autre ne sorte, et n'ose le conduire. Vous, Narbas, Euryclès, je le laisse en vos mains. Tremblez; vous répondrez de ses caprices vains. Je connais votre haine, et j'en sais l'impuissance; Mais je me fie au moins à votre expérience. Qu'il soit né de Mérope, ou qu'il soit votre fils, D'un conseil imprudent sa mort sera le prix.
Egisthe, Narbas, Euryclès.
Egis. Ah! je n'en recevrai que du sang qui m'anime.
Hercule! instruis mon bras à me venger du crime; Éclaire mon esprit du sein des immortels!
Polyphonte m'appelle aux pieds de tes autels,
Nar. Ah! mon prince, êtes-vous las de vivre ?
Eur. Dans ce péril du moins si nous pouvions vous suivre !
Mais laissez-nous le temps d'éveiller un parti,
Qui, tout faible qu'il est, n'est point anéanti.
Egis. En d'autres temps mon courage tranquille Au frein de vos leçons serait souple et docile : Je vous croirais tous deux: mais dans un tel malheur, Il ne faut consulter que le ciel et son cœur. Qui ne peut se résoudre, aux conseils s'abandonne; Mais le sang des héros ne croit ici personne. Le sort en est jeté... Ciel! qu'est-ce que je voi!! Mérope!
Je voi, pour je vois. Licence poètique.
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