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Léonor. Pardonnez-moi, monsieur; j'étais dans un état à ne pouvoir paraître devant vous avec bienséance.

Verteuil. Une jeune demoiselle doit être toujours en état de paraître avec bienséance devant un honnête homme. Un déshabillé modeste et décent, est toute la parure qui lui convient pour cela dans la maison.

Madame Beaumont. Oui; mais pour recevoir un hôte comme vous, le respect demande...

Verteuil. Une plume de moins, et quelques empressemens de plus à venir au-devant d'un ami qui fait quinze lieues pour vous voir. Oui, je l'avoue, mon cœur aurait été mille fois plus flatté de voir mes enfans (car ils le sont par la tendresse qu'ils m'inspirent, et par mon amitié pour leur père) de les voir, dis-je, accourir à moi les bras ouverts, et m'accabler de leurs touchantes caresses.

Madame Beaumont. C'est la vénération dont vous l'avez d'abord saisie...

Verteuil. N'en parlons plus. Vous me recevrez une autre fois avec plus d'amitié, n'est-ce pas, ma chère Léonor?

Léonor. Ce sera beaucoup d'honneur pour moi.

Verteuil. Mais comme vous vous êtes formée, depuis que je ne vous ai vue! Une taille élégante, des manières aisées,

un noble maintien...

Madame Beaumont. Oh! charmante! adorable!

Verteuil. Tous ces avantages cependant ne sont rien sans les grâces de la modestie, le charme de l'affabilité, l'expression ingénue des mouvemens de l'âme, et la culture des talens de l'esprit.

Madame Beaumont. Oui, oui, de ces talens qui donnent de la considération dans le grand monde.

Est-ce que

Verteuil. Dans le grand monde, madame? Léonor doit y paraître? Si elle possède seulement les qualités qui peuvent l'honorer dans une société choisie et dans l'intérieur de sa maison, devant sa conscience et aux regards de Dieu, je n'ai plus rien à désirer.

Madame Beaumont. Oh! sûrement, cela s'entend de soimême, M. Verteuil. Je veux dire qu'elle est en état de se présenter partout avec honneur. Venez, ma chère Léonor, faites-nous entendre quelque joli morceau sur le piano. Léonor. Non, ma tante, cela pourrait déplaire à M. Verteuil.

Verteuil. Que dites-vous, ma chère enfant ? Je suis trèssensible au charme de la musique; et je ne connais point d'amusement plus convenable à une jeune demoiselle.

Madame Beaumont. Eh! quoi de plus digne de notre admiration que ces talens enchanteurs, le dessin, la danse, la musique! Léonor, chantez-nous cette charmante ariette ! (Léonor va d'un air boudeur au piano, prélude un moment, et commence une sonate.) Non, non, il faut aussi chanter. Elle a une voix, M. Verteuil! Vous allez l'entendre. Si vous saviez combien d'applaudissemens elle a reçus dans le dernier concert! Mais elle a un peu d'amour-propre, et il faut

la prier beaucoup.

Verteuil. J'espère bien que j'obtiendrai quelque chose sans cette cérémonie. N'est-il pas vrai, Léonor?

Léonor. Vous n'avez qu'à ordonner, monsieur.

Verteuil. Non, cela n'est pas dans mon caractère, je vous en prie seulement.

Léonor, (bas à sa tante, en ouvrant son cahier avec dépit.) Je vous suis bien obligée, vraiment !

Madame Beaumont, (bas à Léonor.) Au nom du Ciel, ma chère, obéissez; votre fortune en dépend.

Verteuil. Si elle n'est pas en voix aujourd'hui, je puis attendre.

Léonor chante en s'accompagnant sur le piano.

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(Et à peine a-t-elle fini, que Madame Beaumont s'écrie, en battant des mains.) Bravo! bravo! bravissimo!

Verteuil. En effet, ce n'est pas mal pour un enfant de son âge. J'aurais pourtant désiré une chanson plus rapprochée des principes que vous lui inspirez sans doute.

Madame Beaumont. Eh bien! monsieur, n'en sentez-vous pas la morale? (Elle chante :)

Mais sur ta tige
Tu vas languir
Et te flétrir, &c.

C'est-à dire qu'une jeune personne doit se produire dans le monde, si elle veut tirer quelque avantage de ses talens, et ne pas mourir ignorée au fond de sa retraite.

Verteuil. Croyez-moi, madame, c'est-là de préférence qu'un époux digne d'elle viendra la chercher. (Il aperçoit un dessin suspendu à la muraille, représentant une jeune bergère surprise dans son sommeil par un faune. Il le considère avec étonnement.)

Madame Beaumont. Ha, ha! comment le trouvez-vous ? Verteuil. Fort bien, si Léonor l'a fait sans le secours de son maître.

Madame Beaumont. Véritablement, il l'a un peu retouché.

Verteuil. Je crois qu'il aurait pu mieux faire encore, en lui choisissant un sujet plus heureux, quelque trait de bienfaisance, une action vertueuse, qui aurait élevé son âme en perfectionnant son talent.

SCÈNE V.

Madame Beaumont, Verteuil, Léonor, Finette.

Finette, (à Verteuil.) Monsieur, vos malles viennent d'arriLes ferai-je porter dans votre appartement?

ver.

Verteuil, (à Madame Beaumont.) Vous avez donc la bonté de me loger, madame?

Madame Beaumont. Je m'en fais autant d'honneur que de plaisir.

Verteuil. Je vous en remercie. Je vais donner un coup d'œil à mes affaires, et je reviens. (Il sort avec Finette.)

SCÈNE VI.

Madame Beaumont, Léonor.

Léonor. Bon! le voilà dehors. Je respire.

Madame Beaumont. Doucement, doucement, Léonor; qu'il

ne puisse vous entendre.

Léonor. Qu'il m'entende s'il veut.

Je suis si piquée, que

je briserais volontiers mon piano, et que je mettrais en pièces tous mes dessins et mes cahiers de musique.

Madame Beaumont. Calmez-vous donc, mon enfant, vous avez besoin ici de toute votre modération.

Léonor. C'est bien assez, je crois, de m'être retenue en sa présence. Ne l'avez-vous pas vu? Ne l'avez-vous pas entendu ?

Madame Beaumont. Les personnes de son âge ont leurs bizarreries.

Léonor. Pourquoi donc m'y exposer ? Il ne fallait pas me faire chanter devant lui. Je ne le voulais pas. Voilà ce que c'est que d'en faire toujours à sa tête' comme vous. Mais il n'a qu'à y revenir.

Madame Beaumont. Ma chère Léonor, je vous en conjure.

1 Faire à sa tête, agir sans consulter personne.

Vous ignorez peut-être que votre fortune dépend absolument de monsieur Verteuil ?

Léonor. Ma fortune?

Madame Beaumont. Hélas! oui. Faut-il que je vous avoue ce que vous tenez déjà de ses bontés?

Léonor. Oh! je le sais. De petits présens qu'il me fait de loin en loin. Je puis fort bien me passer de ses cadeaux. Madame Beaumont. Ah! ma chère enfant, sans lui vous seriez bien malheureuse. Ce que votre père vous a laissé pour héritage est si peu de chose! De mon côté, je n'ai qu'un revenu très-médiocre. Comment aurais-je pu, avec ces seuls moyens, fournir aux dépenses de votre éducation?

Léonor. Est-il possible, ma tante? Quoi! c'est à monsieur Verteuil que je suis si redevable? S'occupe-t-il aussi de mon frère?

Madame Beaumont. C'est lui qui paie également sa pension et ses maîtres.

Léonor. Vous me l'aviez toujours caché.

Madame Beaumont. Pourvu que rien ne manquât à vos besoins, que vous importait cette connaissance? Vous voyez par-là combien il est important de le ménager, de lui montrer des égards et du respect. Mais ce n'est pas tout; il a voulu vous voir, votre frère et vous, avant d'écrire son testament, afin de régler ses dispositions en votre faveur.

Léonor. Oh! que je suis à présent fâchée de lui avoir montré de l'humeur et du dépit !

Madame Beaumont. C'est aussi fort mal de sa part d'écouter froidement votre voix brillante! de ne pas être transporté de plaisir à votre exécution sur le piano! Quoi qu'il en soit, il faut le flatter; autrement toutes ses préférences seront pour Didier.

Léonor. Ah! il les mérite mieux que moi, je le sens. Madame Beaumont. Que dites-vous, Léonor? Rendezvous plus de justice. C'est bien peu vous connaître. Et quelle serait votre destinée! son chemin dans le monde. source peut-elle avoir ?

Un homme sait toujours faire
Mais une femme, quelle res-

Léonor. Il est vrai. Vous me faites sentir par-là que j'aurais dû apprendre des choses plus utiles que le dessin, la danse et la musique.

Madame Beaumont. Que vous êtes folle! Avec la fortune que vous pouvez espérer, qu'est-ce qu'une jeune demoiselle doit désirer de plus que des talens agréables pour briller dans la société? Il ne s'agit que d'intéresser M. Verteuil en votre

faveur. Avec des attentions et des complaisances, nous en ferons ce qu'il nous plaira.

SCÈNE VII.

Madame Beaumont, Léonor, Finette.

Finette. Mademoiselle, monsieur Dupas vous attend pour vous donner leçon.

Madame Beaumont. Dis-lui de monter ici. (Finette sort.) Léonor. Non, ma tante, renvoyez-le, je vous en prie. Si j'allais encore déplaire à M. Verteuil !

Madame Beaumont. Comment donc ! il faut qu'il vous voie danser. Vous dansez avec tant de grâce! Vous lui tournerez la tête, j'en suis sûre. (Elle va à la porte.) Entrez, entrez, M. Dupas.

SCÈNE VIII.

Madame Beaumont, Léonor, Dupas.

Madame Beaumont, (à Dupas.) N'est-il pas vrai, monsieur, que ma nièce danse à merveille?

Dupas, (en s'inclinant.) À merveille, madame, à merveille. Madame Beaumont. Son tuteur assistera peut-être à la leçon. Songez, monsieur, à faire briller le talent de Léonor de tout son éclat.

Dupas. Oui, madame, et le mien aussi, je vous en réponds. (Verteuil paraît.)

SCÈNE IX.

Madame Beaumont, Verteuil, Léonor, Dupas.

Madame Beaumont, (prenant Verteuil par la main.) Venez vous asseoir à mon côté, M. Verteuil. Je veux que vous voyiez danser Léonor. C'est un vrai zéphir. M. Dupas, cette allemande nouvelle de votre composition.

Léonor. Mais je ne la danserai pas toute seule.

Madame Beaumont. M. Dupas la dansera avec vous, je vais la frédonner. N'ayez pas peur; je vous conduirai bien. Verteuil. Permettez-moi, madame, de demander de préfé

rence un menuet.

Dupas. Je ne pourrai y mettre beaucoup de grâces, s'il faut que je joue en même temps.

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