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Ont répandu le trouble et la terreur subite
Dont Gédéon frappa le fier Madianite.
Les Tyriens, jetant armes et boucliers,
Ont, par divers chemins, disparu les premiers:
Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite:
Mais de Dieu sur Joas admirant la conduite,
Le reste à haute voix s'est pour lui déclaré.
Enfin, d'un même esprit tout le peuple inspiré,
Femmes, vieillards, enfants, s'embrassant avec joie,
Bénissent le Seigneur et celui qu'il envoie :
Tous chantent de David le fils ressuscité.
Baal est en horreur dans la sainte cité;
De son temple profane on a brisé les portes;
Mathan est égorgé.

Ath.

Dieu des Juifs, tu l'emportes!
Oui, c'est Joas: je cherche en vain à me tromper;
Je reconnais l'endroit où je le fis frapper;

Je vois d'Ochozias et le port et le geste;
Tout me retrace enfin un sang que je déteste.
David, David triomphe; Achab seul est détruit.
Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit!
C'est toi qui, me flattant d'une vengeance aisée,
M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée ;
Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors
Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage.
Qu'il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage !
Et que pour signaler son empire nouveau,
On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau !
Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère :
Que dis-je souhaiter! je me flatte, j'espère
Qu'indocile à ton joug, fatigué de ta loi,
Fidèle au sang d'Achab qu'il a reçu de moi,
Conforme à son aïeul, à son père semblable,
On verra de David l'héritier détestable
Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
Et venger Athalie, Achab et Jézabel.

(Athalie sort, les lévites la suivent.) Joad. Qu'à l'instant hors du temple elle soit emmenée,

Et que la sainteté n'en soit point profanée.
Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris,
De leur sang par sa mort faire cesser les cris.
Si quelque audacieux embrasse sa querelle,
Qu'à la fureur du glaive on le livre avec elle.

SCÈNE VII.

Joas, Joad, Josabet, Abner, et tous les acteurs de la scène précédente.

Joas, (descendu de son trône.)

Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
D'étournez loin de moi sa malédiction,

Et ne souffrez jamais qu'elle soit accomplie :
Faites que Joas meure avant qu'il vous oublie.
Joad, (aux lévites.)

Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi :
Qu'il lui vienne en ses mains renouveler sa foi.
Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance,
De Jacob avec Dieu confirmer l'alliance,

Et, saintement confus de nos égarements,
Nous rengager à lui par de nouveaux serments.
Abner, auprès du roi reprenez votre place.

SCÈNE VIII.

Un Lévite, Joas, Joad, et tous les acteurs de la scène précédente.

Joad, (au lévite.)

Hé bien, de cette impie a-t-on puni l'audace?

Le Lévite. Le fer a de sa vie expié les horreurs.
Jérusalem, long-temps en proie à ses fureurs,
De son joug odieux à la fin soulagée,
Avec joie en son sang la regarde plongée.

Joad. Par cette fin terrible, et due à ses forfaits,
Apprenez, roi des Juifs, et n'oubliez jamais
Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,
L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père.

CINNA,

OU

LA CLÉMENCE D'AUGUSTE,

TRAGÉDIE EN CINQ ACTES.

PAR CORNEILLE.

[PIERRE CORNEILLE, né à Rouen en 1606, est le père de la scène tragique en France.

Ce génie vigoureux et sublime est remarquable dans l'art d'imaginer des plans hardis, de les varier et d'y faire agir ces puissants ressorts qui attachent le cœur et l'esprit par la grandeur des images. Son style n'est pas toujours très pur, et se ressent parfois de la rudesse du temps où il vivait; mais quand il exprime une idée sublime, il ne manque jamais d'unir la force à la précision. C'est le Shakspeare des Français. Ses chefs-d'œuvre sont: le Cid, Cinna, Horace, Polyeucte, Rodogune, Pompée. Il mourut à Paris en 1684.]

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Impatients désirs d'une illustre vengeance
Dont la mort de mon père a formé la naissance,
Enfants impétueux de mon ressentiment,

Que ma douleur séduite embrasse aveuglément,
Vous prenez sur mon âme un trop puissant empire;

Durant quelques moments souffrez que je respire,
Et que je considère, en l'état où je suis,

Et ce que je hasarde, et ce que je poursuis.
Quand je regarde Auguste au milieu de sa gloire,
Et
que vous reprochez à ma triste mémoire
Que par sa propre main mon père massacré,
Du trône où je le vois fait le premier degré ;
Quand vous me présentez cette sanglante image,
La cause de ma haine et l'effet de ma rage;
Je m'abandonne toute à vos ardents transports,
Et crois pour une mort lui devoir mille morts.
Au milieu toutefois d'une fureur si juste,
J'aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste;
Et je sens refroidir ce bouillant mouvement,
Quand il faut pour le suivre exposer mon amant.
Oui, Cinna, contre moi moi-même je m'irrite
Quand je songe aux dangers où je te précipite.
Quoique pour me servir tu n'appréhendes rien,
Te demander du sang, c'est exposer le tien.
D'une si haute place on n'abat point de têtes
Sans attirer sur soi mille et mille tempêtes;
L'issue en est douteuse, et le péril certain.
Un ami déloyal peut trahir son dessein;
L'ordre mal concerté, l'occasion mal prise,
Peuvent sur son auteur renverser l'entreprise,
Tourner sur toi les coups dont tu le veux frapper;
Dans sa ruine même il peut t'envelopper;
Et quoi qu'en ma faveur ton amour exécute,
Il te peut en tombant écraser sous sa chûte.
Ah! cesse de courir à ce mortel danger:

Te perdre en me vengeant ce n'est pas me venger.
Un cœur est trop cruel quand il trouve des charmes
Aux douceurs que corrompt l'amertume des larmes ;
Et l'on doit mettre au rang des plus cuisants malheurs
La mort d'un ennemi qui coûte tant de pleurs.

Mais peut-on en verser alors qu'on venge un père ?
Est-il perte à ce prix qui ne semble légère?
Et quand son assassin tombe sous notre effort,
Doit-on considérer ce que coûte sa mort?
Cessez, vaines frayeurs, cessez lâches tendresses,
De jeter dans mon cœur vos indignes faiblesses;
Et toi qui les produis par tes soins superflus,
Amour, sers mon devoir, et ne le combats plus.
Lui céder c'est ta gloire, et le vaincre ta honte ;

Montre-toi généreux, souffrant qu'il te surmonte;'
Plus tu lui donneras, plus il te va donner,
Et ne triomphera que pour te couronner.

SCÈNE II.

Emilie, Fulvie.

Emi. Je l'ai juré, Fulvie, et je le jure encore,
Quoique j'aime Cinna, quoique mon cœur l'adore,
S'il me veut posséder, Auguste doit périr;

Sa tête est le seul prix dont il peut m'acquérir:
Je lui prescris la loi que mon devoir m'impose.
Ful. Elle a, pour la blâmer, une trop juste cause:
Par un si grand dessein vous vous faites juger
Digne sang de celui que vous voulez venger.
Mais, encore une fois, souffrez que je vous die3
Qu'une si juste ardeur devrait être attiédie:
Auguste chaque jour, à force de bienfaits,
Semble assez réparer les maux qu'il vous a faits ;
Sa faveur envers vous paraît si déclarée
Que vous êtes chez lui la plus considérée ;

Et de ses courtisans souvent les plus heureux
Vous pressent à genoux de lui parler pour eux.

Emi. Toute cette faveur ne me rend pas mon père;
Et de quelque façon que l'on me considère,
Abondante en richesse, ou puissante en crédit,
Je demeure toujours la fille d'un proscrit.

Les bienfaits ne font pas toujours ce que tu penses;
D'une main odieuse ils tiennent lieu d'offenses:
Plus nous en prodiguons à qui nous peut haïr,
Plus d'armes nous donnons à qui nous veut trahir.
Il m'en fait chaque jour sans changer mon courage;
Je suis ce que j'étais, et je puis davantage;
Et des mêmes présents qu'il verse dans mes mains
J'achète contre lui les esprits des Romains.
Je recevrais de lui la place de Livie

Comme un moyen plus sûr d'attenter à sa vie :
Pour qui venge son père il n'est point de forfaits,
Et c'est vendre son sang que se rendre aux bienfaits.
Ful. Quel besoin toutefois de passer pour ingrate ?

1 Permettant à mon devoir de te maîtriser.

Pour auquel il peut.

Pour dise. Licence poétique.

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