Images de page
PDF
ePub

Didier. Oui, comme nous le sommes. Mais même si elles possédaient une fortune immense; ces instructions-là ne leur seraient pas inutiles. Il faut bien qu'elles connaissent le travail d'une maison, pour le faire exécuter par leurs domes. tiques. Si elles n'y entendent rien, tout le monde s'accordera pour les tromper; et plus elles seront riches, plutôt elles seront ruinées.

Léonor. Tu m'épouvantes, mon frère. J'ignore absolument tout cela. À peine sais-je manier une aiguille. Cependant, je viens d'apprendre que nous n'avons rien que ce que nous tenons de M. Verteuil.

Didier. Tant pis, ma chère Léonor; car s'il venait à nous abandonner, ou si nous avions le malheur de le perdre... Mais peut-être que ma tante est riche ?

Léonor. Oh! non, elle ne l'est pas, elle me l'a dit tout-àl'heure. À peine aurait-elle de quoi vivre elle-même. Que

deviendrions-nous tous les deux ?

Didier. Je serais un peu embarrassé d'abord. Mais je mettrais ma confiance en Dieu, et j'espère qu'il ne m'abandonnerait pas. Il se trouve toujours des personnes généreuses dont nous gagnons l'amitié par nos talens, et qui se font un plaisir de nous employer. Par exemple, dans quelques années, lorsque je serais un peu plus avancé dans ce que j'apprends, je pourrais montrer à des enfans moins instruits que moi, ce que je saurais. Je m'instruirais tous les jours davantage; et avec du courage et de la conduite, l'habitude du travail et de l'application, on s'ouvre tôt ou tard un chemin pour arriver à la fortune.

Léonor. Et moi, à quoi me serviraient mon chant et ma musique, mon dessin et ma danse? Je mourrais de misère avec ces vaines perfections.

Didier. Voilà pourquoi notre tuteur demandait si l'on ne t'avait pas fait apprendre des choses plus utiles que celles qui ne servent qu'au plaisir et à l'agrément.

Léonor. Oui, et quelquefois au chagrin; car lorsque je danse, ou que je fais de la musique dans la société, si l'on ne me donne pas autant de louanges que je m'en crois digne, je suis d'une humeur... Je t'avouerai que je m'y ennuie aussi fort souvent.

Didier. Et de quoi vous entretenez-vous donc ?

Léonor. De modes, de parure, de comédies, de promenade, d'histoires de la ville. Nous répétons dans une maison ce que nous avons appris dans l'autre ; mais tout cela est bientôt épuisé.

Didier. Je le crois. Ce sont des sujets bien pauvres, quand on pense à tout ce que la nature offre d'admirable à nos yeux, et à tout ce qui se passe autour de nous dans la grande société de l'univers. Voilà les objets dignes de nous occuper, et qui peuvent nous apprendre à réfléchir sur nous-mêmes.

Léonor. Tu viens de m'en convaincre. Quoique plus jeune de deux ans, tu es déjà bien plus formé que moi. Oh! combien ma tante a négligé de choses utiles dans mon éducation !

SCÈNE XIII.

Madame Beaumont, Léonor, Didier.

Madame Beaumont, (qui a entendu les dernières paroles de Léonor.) Et quelles sont donc les choses utiles que j'ai négligées dans votre éducation, petite ingrate? Mais je m'aperçois que c'est ce vaurien de Didier...

Didier. Votre serviteur très-humble, ma chère tante; je vais rejoindre M. Verteuil dans son appartement. (Il sort.)

SCÈNE XIV.

Madame Beaumont, Léonor.

Madame Beaumont. Ce petit coquin! Son tuteur une fois parti, qu'il s'avise de remettre le pied dans ma maison! Mais qu'est-ce donc qu'il vous a conté pour vous faire croire que votre éducation était négligée ?

Léonor. Cela est pourtant vrai, ma tante. Les connaissances essentielles qu'une jeune personne bien élevée doit posséder, m'en avez-vous fait instruire?

Madame Beaumont. Eh! ma chère Léonor! que manquet-il à vos perfections; vous qui êtes la fleur de toutes nos jeunes demoiselles ?

Léonor. Oui, je sais les choses qui ne sont propres qu'à inspirer de la vanité; mais celles qui ornent l'esprit, la géographie, l'histoire, le calcul, en ai-je seulement une idée?

Madame Beaumont. Tout cela n'est que pédanterie, mon enfant. Je serais au désespoir de vous avoir fait rompre la tête de ces balivernes; elles ne sont bonnes tout au plus que pour un écolier de latin. Avez-vous jamais entendu rien de pareil dans les cercles de femmes où je vous mène ?

Léonor. J'en conviens. Mais pourquoi du moins ne m'a. voir pas fait connaître les travaux dont une personne de mon

sexe doit s'occuper? Sais-je manier l'aiguille? Serais-je en état de conduire un ménage?

Madame Beaumont. Aussi n'ai-je pas voulu faire de vous une marchande de modes, ni une cendrillon.

Léonor. Mais si nous venions à perdre' M. Verteuil, si je tombais dans la misère, quelles seraient mes ressources pour gagner ma vie?

Madame Beaumont. Oh! s'il ne tient qu'à cela, je puis d'un seul mot calmer vos inquiétudes. L'argent ne vous manquera jamais. Vous nagerez dans l'abondance. J'ai si bien tourmenté M. Verteuil pour qu'il vous fît son héritière, qu'il va faire aujourd'hui son testament en votre faveur. Mais le voici qui vient lui-même. Je vous laisse avec lui.

Il veut vous instruire de ses dispositions. (Elle sort.)

SCÈNE XV.

Verteuil, Léonor, Didier.

Didier, (courant à Léonor.) Tiens, tiens, ma sœur! regarde. (Il lui fait voir une montre.)

Léonor. Comment! une montre d'or!

Didier. Oui, comme tu vois. Ô M. Verteuil! je suis transporté de plaisir. Permettez-vous que j'aille la faire voir à mon maître ? Je cours, et je reviens comme le vent.

Verteuil. Je le veux bien. Dites-lui que je ne vous l'ai pas donnée pour flatter puérilement votre vanité, mais pour vous apprendre à distinguer les heures de vos exercices, et vous empêcher de les confondre.

Didier. Oh! cela ne m'arrivera plus maintenant.

Verteuil. Demandez-lui congé pour la journée, et annoncezlui ma visite dans l'après-midi.

Didier. Fort bien, fort bien. (Il sort en courant.)

SCÈNE XVI.

Verteuil, Léonor, (qui paraît triste et pensive.)

Verteuil. Qu'avez-vous donc, ma chère Léonor? Pourquoi cet air abattu?

Léonor. Ce n'est rien, monsieur, rien du tout.

1 S'il nous arrivait de perdre.
'S'il ne dépend que de cela.

Verteuil. Êtes-vous fâchée de ce que votre frère a une

montre ?

Léonor. Elle lui durera long-temps, je crois ! Il saura bien comment la gouverner!

Verteuil. Je viens de lui en apprendre la manière, et ce n'est pas difficile. Vous savez qu'il en avait grand besoin. Léonor, (d'un ton ironique.) Certainement je n'en ai pas besoin, moi.

Verteuil. Je l'ai pensé. Il y a une pendule dans la maison. Léonor. Cependant mes égales ont aussi des montres dans notre société.

Verteuil. Tant mieux, vous pourrez leur demander l'heure qu'il est.

Léonor. Et quand les autres me le demanderont à moi, je pourrai leur dire que je n'en sais rien.

Verteuil. Léonor! Léonor! vous êtes une petite envieuse; mais pour vous faire voir que je ne vous ai pas oubliée... (Il lui donne un étui.)

Léonor, (en rougissant.) Ô monsieur Verteuil !

Verteuil. Eh bien! vous ne savez pas l'ouvrir! (Il l'ouvre lui-même, et en tire des boucles d'oreilles de diamans.) Êtesvous contente à présent?

Léonor. Oh! si vous étiez aussi content de moi! Verteuil. Je ne puis vous cacher que je ne le suis pas tout-à-fait. Nous voilà seuls. Il faut que je vous parle avec franchise. Votre chère tante n'a rien épargné pour vous procurer des talens agréables. Je reconnais, à ces soins, son goût et sa tendresse. J'aurais seulement désiré qu'elle se fût occupée de vous en donner en même temps de plus solides.

Léonor. Mon frère me l'a déjà fait sentir; mais qui pourrait m'instruire de ce que j'ignore?

Verteuil. Je connais une digne personne qui prend en pension de jeunes demoiselles, pour les former dans tout ce qui convient à votre âge et à votre sexe.

Léonor. Ma tante m'a pourtant dit que vous me mettriez en état de n'en avoir pas besoin.

Verteuil. J'entends! Eh bien! je vous laisse la liberté de suivre le genre de vie qu'elle vous a fait prendre, puisqu'il s'accorde avec vos goûts. Reposez-vous sur ma tendresse. Après ma mort vous posséderez tous mes biens.

Léonor. Tous vos biens, monsieur Verteuil ?

Verteuil. Oui, Léonor. Hélas! je crains qu'ils ne puissent encore suffire pour vous empêcher de vivre dans la misère.

Léonor. Que me dites-vous?

Verteuil. Êtes-vous en état de vous rendre à vous-même le plus léger service? de travailler de vos mains, et je ne dis pas à la moindre partie de votre parure, mais à vos premiers vêtemens ?

Léonor. Je ne l'ai jamais appris.

Verteuil. Il vous faudra donc sans cesse autour de vous une foule de personnes pour suppléer à votre ignorance, et à votre paresse. Êtes-vous assez riche pour les soudoyer? Léonor. Vous m'avez dit que non, monsieur Verteuil. Verteuil. D'ailleurs, quand viendra l'âge de vous établir, quel est l'homme raisonnable qui vous prendrait pour des talens frivoles, inutiles à son bonheur? Vous ne pourrez être recherchée que par rapport à la fortune dont vous apporterez la possession avec votre main. Ainsi je me vois de plus en plus dans la nécessité de vous assurer la mienne. Léonor. Mais, mon frère?

Verteuil. Il faudra bien qu'il se contente de ce que je ferai pour lui pendant ma vie, et de ce que vous voudrez bien faire vous-même en sa faveur après ma mort. Qu'il s'instruise dans tous les moyens honorables de se former un état. Je lui en ai donné un exemple; il n'a qu'à le suivre. Je vous laisse réfléchir sur mes intentions. Je veux les communiquer à votre frère aussitôt qu'il sera de retour. (Il sort.)

SCENE XVII. .
Léonor, seule.

Oh! quelle joie! héritière de tous les biens de M. Verteuil! Voilà ce que ma tante désirait avec tant d'ardeur. Je voudrais bien savoir ce que va dire mon frère. Il sera jaloux. Mais je ne l'oublierai pas certainement, pourvu qu'il me reste encore quelque chose après tous mes besoins. J'entends M. Verteuil qui revient avec lui. Je vais me cacher dans ce cabinet pour les écouter. (Elle sort sans être aperque de Verteuil ni de son frère.)

SCENE XVIII.

Verteuil, Didier.

Verteuil. Votre maître est donc bien aise que je vous aie fait ce cadeau ?

« PrécédentContinuer »