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Didier. Oui, mon cher tuteur, il en est enchanté; mais pour moi, cela me fait de la peine à présent.

Verteuil. En quoi donc, mon ami?

Didier. La pauvre Léonor! Elle est peut-être fâchée de ce que j'ai une montre, et de ce qu'elle n'en a point. Je ne voudrais pas vous paraître indifférent pour vos bienfaits; mais si j'osais vous prier...

Verteuil. Généreux enfant! soyez tranquille.

Elle a reçu des boucles d'oreilles qui valent deux fois votre montre. Didier. Ô mon cher M. Verteuil! combien je vous re

mercie!

Verteuil. Et je ne bornerai pas à ces bagatelles les témoignages de mon amitié.

Didier. Ah, tant mieux! tant mieux !

Verteuil. Je vois avec regret que son éducation n'est propre qu'à lui préparer des chagrins.

Didier. Oui, ma chère tante imagine qu'un peu de dessin, de danse et de musique est tout ce qu'il y a de nécessaire dans le monde pour être heureux.

Verteuil. C'est à ces frivoles agrémens qu'elle sacrifie le soin de cultiver son esprit, et d'inspirer à son cœur les vertus qui peuvent seules lui attirer une véritable considération. Comme la raison de Léonor a été négligée, elle se contente aujourd'hui de quelques malins applaudissemens par lesquels on se joue de sa vanité. Mais lorsque, dans le progrès des années, elle verra combien d'instructions utiles, et quel temps précieux elle a perdus, c'est alors qu'elle rougira d'ellemême, et qu'elle maudira ses lâches flatteurs, qui paieront sa haine par leurs railleries et leurs mépris.

Didier. Oh, monsieur, vous me faites frémir pour elle.

Verteuil. Et puis, qui voudra se charger d'une femme remplie d'orgueil et dépourvue de connaissances; qui, loin de pouvoir établir l'ordre et l'économie dans une maison, renverserait la fortune la mieux assurée, par le goût du luxe et une profonde incapacité; également indigne de l'estime de son époux, de l'attachement de ses amis et du respect de ses enfans? Il faudra donc qu'elle demeure sur la terre, étrangère à tout ce qui l'entoure. Que deviendra-t-elle alors sans mes secours!

Didier. Oh! je vous en conjure, ne lui retirez pas vos bontés!

Verteuil. Non, je veux au contraire assurer dès aujourd'hui son destin.

Didier. Oui, mon cher M. Verteuil, procurez-lui une édu

cation plus soignée. Elle ne manque point d'intelligence, et j'ose vous répondre de la bonté de son cœur.

Verteuil. Je le voudrais; mais dans son amollissement pourra-t-elle adopter des principes plus sévères ? Non, je vois qu'il vaut mieux m'occuper d'elle pour le temps où je ne serai plus.

Didier. Ne me parlez point de ce malheur,, je vous prie ; les larmes me viennent aux yeux d'y penser. Non; vous vivrez encore long-temps pour notre avantage. Le Ciel ne voudra pas nous ravir si tôt un second père.

Verteuil. Je suis sensible à votre tendresse ; mais la prévoyance de la mort n'en avance point le moment fatal. Le sort de votre sœur me cause de plus vives inquiétudes. Enfin, j'ai résolu de lui laisser tout ce que je possède, pour qu'elle ait au moins de quoi se préserver de l'indigence.

Didier, (lui prenant la main.) Oh! je vous en remercie mille et mille fois. Combien je me réjouis! Irai-je lui annoncer cette heureuse nouvelle ? Mais non, il vaut mieux qu'elle l'ignore. Qu'elle apprenne d'abord des choses utiles, comme si elle devait vivre de son travail. Elle en saura gouverner plus sagement sa fortune. Ô ma chère sœur, je puis donc espérer de te voir heureuse!

Verteuil. Vous êtes un bien digne enfant! Votre raison ne me charme pas moins que votre générosité. Venez, mon cher Didier, que je vous embrasse. Moi, ne vous rien laisser, et donner tout à votre sœur! Comment pourrais-je commettre une telle injustice? Cette pensée était loin de mon esprit. Je voulais seulement vous mettre à l'épreuve. C'est vous qui serez mon héritier universel; et je cours faire mon testament à votre avantage.

Didier. Non, non, monsieur Verteuil, gardez vos premières intentions. Laissez tout à ma sœur. J'en deviendrai plus studieux et plus appliqué. J'acquerrai des talens utiles; je serai honnête homme. Avec cela, je ne suis pas inquiet

de mon avancement.

Verteuil. Rassurez-vous quant à Léonor: je lui laisserai un petit legs, pour qu'elle ne manque jamais du nécessaire. Didier. Eh bien, faisons un échange. Le petit legs à moi, comme un souvenir de votre amitié, et le reste pour ma

sœur.

SCÈNE XIX.

Verteuil, Didier, Léonor, qui s'élance hors du cabinet, et court se jeter au cou de son frère.

Léonor. Ô mon frère ! mon cher Didier! ai-je mérité de ta part?...

Didier. Tout, ma chère Léonor, si tu veux répondre à mes souhaits et à ceux de notre digne bienfaiteur.

Léonor. Oui, je le ferai, je le ferai. Je vois combien la différence de notre éducation a élevé ton âme au-dessus de la mienne, quoique je sois l'aînée. Disposez de moi, monsieur Verteuil, selon votre amitié. Je veux aussi m'instruire, et prendre mon frère pour modèle.

Verteuil. Vous ferez votre bonheur si vous persistez dans cette sage résolution. Mais d'où naît ce changement dans vos idées ?

Léonor. Ah! je viens d'entendre les vœux de Didier. Son noble désintéressement, son sacrifice généreux; j'ai tout entendu! Je n'ai plus contre lui aucun sentiment de jalousie. Il sera toujours mon guide et mon meilleur ami.

Didier. Oui, ma sœur, je veux l'être : j'en ferai toute ma gloire, tout mon plaisir.

Verteuil. De quels doux sentimens vous me pénétrez l'un et l'autre ! Ô mes chers amis ! je ne sens plus de regret d'être privé d'enfans. Vous m'en tiendrez lieu désormais, car j'éprouve pour vous l'affection la plus tendre. Je crois voir votre père qui, du haut du ciel, tressaille de joie de m'avoir laissé ces gages de sa tendresse. (Léonor et Didier lui serrent les mains, et les arrosent de larmes.)

Léonor. Ne perdons pas un moment, mon cher bienfaiteur. Où est la personne dont vous m'avez parlé pour une meilleure éducation ?

Verteuil. Je vous la ferai bientôt connaître. Je me propose de passer encore quelques jours auprès de vous, pour préparer de loin l'esprit de votre tante à seconder mes desseins. Il faut être bien attentifs à ne pas l'offenser: elle mé. rite toujours vos respects et votre reconnaissance. Elle s'est méprise, Léonor, sur le véritable objet de votre bonheur; mais ses plus vifs désirs n'en étaient pas moins de vous rendre heureuse.

Léonor. Oui, je le sens ; mais je renonce dès aujourd'hui à toutes les futilités dont elle m'avait occupée. Plus de mu. sique, de danse, ni de dessin.

Verteuil. Non, ma chère amie; cultivez toujours ces talens aimables. Songez seulement qu'ils ne forment pas tout le mérite d'une femme. Ils peuvent la faire recevoir avec agrément dans la société, la délasser des travaux de sa maison, et lui en faire aimer le séjour, ajouter un lien de plus à l'attachement de son mari, la guider dans le choix des maîtres qu'elle donne à ses enfans, et accélérer leur progrès. Ils ne sont dangereux pour elle que lorsqu'ils lui inspirent une vanité ridicule, qu'ils lui donnent le goût de la dissipation et du mépris pour les fonctions essentielles de son état. Ce sont des fleurs dont il ne faut pas ensemencer tout son domaine, mais qu'on peut élever, pour ses plaisirs, à côté du champ qui produit d'utiles moissons.

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