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d'une mère vous joignez toute la finesse d'une femme.

Je ne puis m'empêcher de vous admirer. (Reprenant un ton sérieux.) Monsieur, chacun a ses principes. J'ai les miens. Quand je veux avancer un officier, je commence par l'envoyer aux arrêts. Que vous en semble?

Remettez votre épée

Je

L'Enseigne, (effrayé.) Monseigneur... Le Prince. Oui, c'est ma manière. au capitaine. Un air plus modeste aurait tout excusé. Mais ce ton assuré, cette hardiesse !... Avec une conscience comme la vôtre, qu'attendre d'un homme aussi effronté? qui devrait sentir qu'il a mérité ma disgrâce; qui sait avec quelle indignité il en a agi avec la meilleure des mères; et qui cependant... Monsieur, qu'il soit aux arrêts pour un mois. ne veux point d'éclaircissemens sur ce qui s'est passé. C'est à votre considération, madame, et à cause de la manière dont je m'en suis instruit ; et surtout parce que les circonstances me font présumer que sa faute est très-grave... (D'un ton ferme et sévère.) Monsieur le capitaine, si dans la suite il se passait quelque chose, je veux en être informé sur-lechamp; vous m'entendez, sur-le-champ. J'ai dessein d'avancer ce jeune homme: et ni vous, (au capitaine,) ni (d'un ton plus doux) vous, madame, ne dérangerez mon plan... (s'adressant particulièrement à elle.) Ne lui donnez jamais rien; jamais, ne fût-ce qu'une bagatelle, à titre de présent. Ses appointemens peuvent lui suffire. Qu'il apprenne à borner sa dépense. (Il lui fait signe avec la main.) Allez, monsieur, rendez-vous aux arrêts. (Les deux officiers sortent.)

SCÈNE XIV.

Le Prince, Madame de Detmond, et le Page.

Le Prince, (la regardant.) Eh bien! madame, vous êtes

triste ?

Madame de Detmond, (respectueusement.) Monseigneur, je 'suis mère.

Le Prince. Mais vous n'êtes pas une de ces mères faibles qui, pour épargner à leurs enfans quelques mortifications, aiment mieux ne les pas corriger?

Madame de Detmond. Ce serait une tendresse mal entendue. Non je crains seulement qu'il n'ait perdu à jamais les bonnes grâces de son prince.

Le Prince. Rassurez-vous. Mon intention n'a été que de le rendre digne des grâces que je veux répandre sur lui. Indul

gent pour la jeunesse, je lui pardonne volontiers son inconséquence et ses étourderies; mais je ne le puis pas toujours. Ce qui dans l'un ramène, avec le repentir, l'amour de la vertu, fortifie dans l'autre son penchant pour le vice. Au demeurant,' soyez sans inquiétude. Ce jeune homme deviendra raisonnable; et je mesurerai mes bontés sur son changement. (Se tournant vers le page.) Quant à cet enfant, savez-vous quelles sont mes vues?

Madame de Detmond. Non, monseigneur. Quelles qu'elles soient, elles ne tendront qu'à assurer son bonheur. Ô mon prince! je n'ai jamais laissé passer un jour sans payer à vos vertus le tribut de mon hommage; mais je sens bien aujour d'hui combien il était peu digne de vous.

Le Prince. Que voulez-vous dire, madame? Vous ne me connaissez point. Mon but est de donner un brave homme à l'état, à moi-même un serviteur fidèle, et d'élever pour mon fils un ami qui soit disposé à sacrifier sa vie pour lui, comme son père l'a fait pour moi.

SCÈNE XV.

Le Prince, Madame de Detmond, le Page, un Valet-dechambre.

Le Valet-de-chambre. Monseigneur ! monsieur le Directeur. Le Prince. Qu'il entre! J'espère, madame, qu'il suffira que vous soyez instruite de mes intentions pour les approu

ver.

SCÈNE XVI.

Le Prince, Madame de Detmond, le Page, le Directeur.

Le Directeur, (s'inclinant.) Je me rends à vos ordres, monseigneur.

Le Prince. Bonjour, monsieur. Je suis charmé de vous voir. De combien est la pension des enfans de la première qualité ?

Le Directeur. De douze cents livres, monseigneur.

Le Prince. Bon. J'ai ici un enfant que je veux vous envoyer. Je prétends, en lui servant de père, faire autant pour lui que les meilleurs gentilshommes pour leurs fils. Mais, dites-moi, qui est chargé de veiller sur ces jeunes gens? car c'est le point essentiel.

Le Directeur. Monseigneur, ce sont des maîtres.

1 Du reste,

l'emploi qu'on leur donC'est à vous seul, monVous avez gagné ma

Le Prince. Dignes, sans doute, de ne? Mais je ne les connais pas. sieur, que je veux m'en rapporter. confiance. Voudriez-vous bien vous charger vous-même du soin particulier d'élever cet enfant ?

Le Directeur. C'est mon devoir, monseigneur.

Le Prince. Je ne prétends pas vous en faire un devoir. Y consentirez-vous avec plaisir ?

Le Directeur. Je trouve mon plaisir dans mon devoir.

Le Prince. Fort bien! Vous pouvez compter sur ma reconnaissance. (Au page, en le prenant par la main.) Viens, mon ami: tu vois bien monsieur; il est bon et doux. Voudrais-tu aller vivre avec lui?

Le Page, (après avoir regardé un moment le directeur.) Oui, monseigneur.

Le Prince. Mais aussi, apprends comment il faut regarder monsieur: comme ton maître, comme ton bienfaiteur. Tu auras pour lui la plus grande obéissance, le respect le plus tendre. Et si jamais il avait à se plaindre de toi... Le Page. Ah! monseigneur, jamais!

Le Prince. Tu as vu que je sais être aussi sévère que je suis bon. Ainsi, à la moindre plainte...

Le Page, (au directeur, en lui baisant respectueusement la main.) Non, monsieur, non, jamais vous n'aurez à vous plaindre de moi.

Le Prince. Comment trouvez-vous cet enfant ?

Le Directeur. Il suffit, monseigneur, que je le reçoive de vos mains, pour qu'il me soit déjà cher comme mon propre fils.

Le Prince. Il peut donc aller avec vous. Y consentezvous, madame ?

Madame de Detmond. Dieu! si j'y consens.

Le Prince. Va donc, ne t'écarte jamais du chemin de l'honneur et de la vertu. Pour ce qui est du reste, sois sans inquiétude, tu ne manqueras jamais de rien... (Le regardant.) Mais pourquoi cet air triste?

Le Page, (prenant la main du prince.) Vivez heureux, monseigneur.

sois heureux.

Je

Le Prince, (ému.) Et toi aussi, mon petit ami. Mon fils, Comme son cœur est déjà reconnaissant! vous laisse, monsieur. Et vous, madame, suivez-le, et voyez où va votre enfant.

Madame de Detmond, (se jetant à ses genoux.) Monseigneur, puis-je me retirer sans que mon cœur...

Le Prince, (la relevant.) Que faites-vous, madame! Je ne puis souffrir que l'on se mette à mes genoux.

Madame de Detmond. Eh bien! je vous obéis; et je me retire... (Levant les mains au ciel.) C'est devant Dieu que je me prosternerai, pour le prier de conserver à jamais un prince si généreux.

Le Prince, (l'accompagnant quelques pas avec bonté.) Adieu, madame, soyez heureuse.

SCÈNE XVII.

Le Prince, seul, regardant de tous côtés.

Le Prince. La belle matinée! À quelle partie de plaisir l'emploierai-je ? Du plaisir! Ne viens-je pas de goûter le plus grand? Je vais travailler, oui, travailler. J'y suis disposé à merveille, car je suis content de moi.

LA MANSARDE DES ARTISTES,

COMÉDIE-VAUDEVILLE EN UN ACTE,

PAR E. SCRIBE.

[EUGENE SCRIBE, membre de l'Académie Française, né à Paris en 1791, a enrichi la scène française d'un très grand nombre de comédies et de vaudevilles. Son style est pur et souvent élégant; ses intrigues sont simples et se développent sans peine, et ses dénouements, souvent imprévus, sont toujours naturels.]

PERSONNAGES.

VICTOR, peintre.

AUGUSTE, musicien.

SCIPION, étudiant en médecine.

CAMILLE, jeune orpheline.

DUCROS, propriétaire.
FRANVAL, professeur de médecine.

La scène se passe à Paris, dans un sixième étage.

Le Théâtre représente une mansarde. Porte d'entrée dans le fond. Portes latérales. Sur le premier plan, à droite du spectateur, une croisée. Sur le second, une cheminée; à gauche, un grand tableau sur un chevalet. Une petite table auprès de la croisée.

SCÈNE PREMIÈRE.

Victor, Auguste. (Victor, à gauche du spectateur, est assis près de son chevalet, et travaille; Auguste, de l'autre côté, son habit à moitié passé, écrit debout sur une partition.)

Auguste.

Air d'Amédée de Beauplan.

Bravo! m'y voici, je crois,
Sautez, fillettes,
À ma voix.

D'ici, j'entends à la fois
Musettes
Et hautbois.

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