Images de page
PDF
ePub

passion sur la scène et dans la salle! quels tonnerres d'applaudissements pour toutes deux; car les deux camps finissaient par se confondre dans un enthousiasme réciproque, les partisans de Sontag battaient des mains à Malibran, les champions de Malibran criaient bis à Sontag. Entrer aux Italiens, même en payant le triple de sa place, était une faveur rare et la queue réunissait souvent Meyerbeer, Halévy, Auber, Rossini; temps regrettable où l'art occupait toutes les têtes et absorbait les passions politiques!

L'union était si sincère entre ces deux cœurs incapables d'envie, que madame Sontag avait pour confidente Malibran, sa rivale de théâtre. L'illustre cantatrice fut pendant longtemps l'unique dépositaire du secret de madame Sontag, et malgré ce qu'on dit du bavardage des femmes, jamais secret ne fut mieux gardé. A Malibran seule elle avoua sa préférence cachée pour le seul de ses admirateurs qu'elle eût distingué, c'est-à-dire le comte Rossi, qui était alors conseiller d'ambassade à la légation de Sardaigne. Leur mariage fut célébré sans éclat. Le comte craignait les répugnances de ses nobles parents.

Le roi de Prusse, qui porta toujours à la jeune cantatrice un intérêt paternel, ayant été informé de ce mariage, donna sans être sollicité des lettres de noblesse à madame Sontag et le nom de Lauenstein, avec sept ancêtres, car le roi ne s'était pas contenté de l'anoblir, il lui avait accordé sept quartiers rétrospectifs.

Ce fut peu de temps après son mariage que madame Sontag débuta à Londres où elle fit une nouvelle mois'son de guinées et de couronnes.

Son succès eut un tel retentissement que le roi de Sardaigne consentit à approuver le mariage du comte Rossi avec une artiste si éminente. Un noble sarde peut

bien épouser une diva à qui le roi de Prusse a fait cadeau de sept aïeux, et les perles de la couronne de comtesse peuvent se mêler sans honte aux feuilles d'or du laurier poétique.

A partir de ce moment la femme du monde succéda à la femme artiste; ce fut d'abord à la Haye que le comte Rossi présenta Desdémone à la cour et au corps diplomatique.

Madame la comtesse Rossi fut parfaitement reçue par cette aristocratie la plus hautaine, la plus observée à ne pas ouvrir ses rangs à quiconque ne figure pas depuis des siècles dans l'Almanach de Gotha; et certes, c'est là une de ces conquêtes à décourager les plus fermes courages, de se faire adopter par un cercle de douairières allemandes lorsqu'on a encore sur la joue le fard à peine essuyé de l'actrice. L'on ne saurait croire combien, tout en affectant de les dédaigner, les femmes du monde sont jalouses de ces couronnes, de ces applaudissements, de ces ovations, de cet éclat qui accompagnent la cantatrice, et comme elles pardonnent difficilement à une femme d'avoir accaparé pour elle seule l'attention et l'admiration générales. A force de tact, de bon goût, de distinction, madame la comtesse Rossi sut se maintenir dans ce milieu difficile sur le pied de la plus parfaite égalité.

Bientôt après le comte Rossi fut envoyé à Saint-Pétersbourg, où sa femme fut comblée de marques d'attention par la cour impériale. L'impératrice voulut donner des représentations dans son palais d'hiver; mais la comtesse Rossi avait pris l'engagement avec le roi de Sardaigne de ne paraître sur aucun théâtre du moment où elle était reconnue publiquement pour la femme de l'ambassadeur. Cependant, grâce à un échange de notes diplomatiques, et par les habiles négociations du comte de

Nesselrode, le monarque sarde céda aux instances de la princesse russe, ce qui empêcha un refroidissement entre les deux cours.

Enfin madame Rossi obtint les mêmes égards, les mêmes hommages de la cour de Prusse pendant le séjour diplomatique de son mari à Berlin; elle vivait, du reste, dans la fréquentation assidue de toutes les illustrations contemporaines qui s'y trouvaient, telles que Meyerbeer, Humboldt, Mendelssohn, et le grand-duc de Mecklembourg-Strelitz l'affectionnait et la traitait comme

sa fille.

L'année révolutionnaire de 1848 vint mettre tout à coup terme à ces longues prospérités. La fortune de madame de Rossi fut renversée par les secousses des insurrections d'Allemagne; les événements de Sardaigne amenèrent en même temps la ruine du comte.

La direction du théâtre de Sa Majesté à Londres fit faire aussitôt des offres à madame Rossi de la manière la plus délicate. Ces offres furent d'abord refusées; l'administration les renouvela. En même temps de nouvelles pertes achevèrent de détruire les dernières ressources du comte Rossi. Madame Rossi, pleine de sollicitude pour l'avenir de ses enfants, s'efforça de faire consentir son mari à la laisser remonter sur la scène. Un artiste d'une réputation européenne, Thalberg, qui se trouvait à Vienne, associa ses efforts à ceux de la comtesse. M. Rossi fut enfin ébranlé. Il alla à Turin pour obtenir de son souverain l'autorisation de se retirer momentanément des affaires. Le roi consentit en approuvant d'une manière flatteuse la détermination de la comtesse.

Le comte revint donc à Berlin où M. Lumley était arrivé à point pour faire signer l'engagement. Une semaine après madame Sontag reparaissait sur la scène, et avec

quel succès! on le sait. La prodigieuse vogue de Jenny Lind était retrouvée. Le public ne s'aperçut pas que vingt ans s'étaient écoulés depuis la dernière représentation de l'illustre cantatrice, et s'il pouvait y avoir des degrés dans la perfection, madame Rossi l'emporterait sur mademoiselle Sontag.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]
[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »