Images de page
PDF
ePub

Houssaye, Philoxène Boyer, Théodore de Bauville, Champfleury, etc., auxquels il dédie plusieurs de ses pièces de vers, il appartient évidemment à l'école pittoresque; mais il ne s'y enferme pas tout entier, et on reconnaît à certains accents la chaleur généreuse de la jeunesse et le souvenir de l'idéal sans lequel il n'y a point de poésie.

5

La muse des sentiments gracieux. Alliance du luxe typographique et de la poésie. MM. Juillerat et J. Soulary.

Si je voulais donner la plus haute idée du culte que l'homme du monde peut encore vouer de nos jours à la poésie, au milieu des loisirs laissés par les relations de société ou les fonctions publiques, je choisirais volontiers le beau volume de vers publié par M. Paul Juillerat sous le titre de Soirs d'octobre 1. A prendre ce livre par le dehors, il est impossible de faire à la poésie un plus complet hommage des merveilles que le luxe typographique a inventées autrefois et retrouvées aujourd'hui. Dans son amour pour la muse, l'auteur ne croit pas qu'il y ait rien de trop beau pour une telle maîtresse, et M. Louis Perrin a fourni, comme à M. Soulary, toutes les ressources de son art pour encadrer ses vers dans une riche monture.

Quant aux vers eux-mêmes, ils se recommandent surtout par la vérité du sentiment et le naturel de l'expression. L'auteur des Soirs d'octobre2, qui n'en est pas à son pre

1. Dentu, in-18, 432 p.; imprim. de Louis Perrin.

2. Parmi les autres ouvrages de M. P. Juillerat, on cite: les Lueurs Matinales (in-12); les Solitudes (in-8); Nouvelles (in-12); la Reine de Lesbos, drame en un acte et en vers (in-18); le Lièvre et la Tortue, comédie en un acte et en vers (in-18); les Deux Balcons (in-18).

mier recueil, a pris pour épigraphe générale de celui-ci cette jolie pensée de Charles Nodier:

En vain une muse fardée
S'enlumine d'or et d'azur ;
Le naturel est bien plus sûr :
Le mot doit mûrir sur l'idée,

Et puis tomber comme un fruit mûr.

Il se montre fidèle à des habitudes de simplicité élégante et gracieuse, qui valent bien les excès d'ornementation si chers à l'école de la ciselure littéraire. Le naturel en poésie a pourtant un écueil, le prosaïsme, et il faut l'éviter avec soin, parce qu'il semble donner des armes contre le bon sens à ces auteurs ambitieux qui, par dédain de la langue ordinaire, font consister la poésie dans les idées quintescencées et le talent de l'écrivain dans la bizarrerie des effets de style.

M. P. Juillerat embrasse dans les Soirs d'octobre le cadre entier du genre gracieux. Il parcourt, dans sa variété, toute la gamme des tons doux; il chante sous ses formes les plus pures ce thème éternel de la poésie : l'amour. Il marie ce sentiment passionné aux plus nobles émotions; il le soumet à l'épreuve de la douleur; il l'élève par la vertu. Sa muse est tendre et chaste; le sentiment poétique s'unit mélancoliquement en lui au sentiment chrétien.

Familier, comme on l'est aujourd'hui, avec le mécanisme de la versification, M. P. Juillerat a une grande expérience du rhythme; il en manie les diverses combinaisons avec facilité. Les plus simples ne sont pas les moins harmonieuses, témoin les stances de la Valse des feuilles :

Le vent d'automne passe
Emportant à la fois

Les oiseaux dans l'espace,
Les feuilles dans les bois.

Jours tièdes, brises molles,

Pour longtemps sont chassés :
Valsez comme des folles

Pauvres feuilles, valsez.

Quelquefois il trouve des effets originaux par le rapprochement un peu bizarre de rhythmes incohérents et dont l'harmonie ne répond pas à la pensée. Telles sont les strophes du Berceau vide, dont voici la dernière :

Puisque le ciel a pris l'enfant, plante éphémère,
La mère

Ne restera pas seule au terrestre chemin

Demain.

Préparez son tombeau, car toute angoisse amère
Frappe mieux qu'un poignard dans une forte main.
Quoi que puisse dire la foule,

Il est de mortelles douleurs;
Et notre vie hélas! s'écoule

Moins par le sang que par les pleurs!

Le début prépare-t-il le trait final? Ces vers monosyllabiques ne sont-ils pas de bien petits échos pour cette grande douleur? Les détails du style soutiennent-ils aussi convenablement l'idée ? Ne pourrait-on pas désirer, avec une expression plus forte, des rimes moins usées? On voit l'élan du poëte, on devine son aspiration, mais il lui manque le souffle, le coup d'aile. N'est-ce pas la faute du cadre trop étroit et trop ingénieusement artificiel où il a voulu s'enfermer?

Je suis tenté de le croire, car lorsque M. Juillerat saisit une idée féconde et s'abandonne librement à ses développements, il ne laisse rien à désirer pour la largeur et la vérité des effets. Qu'on voie, par exemple, la première pièce du volume: Hier et aujourd'hui. C'est le contraste de deux tableaux, de celui du passé, tel que le présentent les panégyristes enthousiastes, et celui du présent, tel que le fait comprendre la foi au progrès. « Il y a du vent dans

les voiles de l'humanité, >> dit un auteur cité en tête de cette pièce; il y a aussi du vent dans les voiles de la poésie à laquelle M. Juillerat ouvre une si belle carrière.

Non, non; la poésie est vivante, immortelle,
Elle est partout avec la houille qu'on attelle,
Dans les rayonnements du monde intérieur,
Près du vieillard pensif et de l'enfant rieur,
Sur l'arbre du chemin et dans le chloroforme,
Dans le plus frais vallon, sur le plus haut sommet:
Elle est au cœur de l'homme, et c'est Dieu qui l'y met.

Pour achever de faire connaître l'auteur des Soirs d'octobre, j'ajouterai que chacune de ses soixante-deux pièces de vers est précédée d'une demi-douzaine au moins d'épigraphes empruntées aux œuvres poétiques des auteurs les plus divers. Tous les contemporains, ceux du second ordre surtout, sont là représentés par une foule de citations dont quelques-unes sont remarquables de grâce et de finesse. C'est comme une communion qui s'établit entre l'auteur et ses frères de lettres; c'est une sorte de tournoi poétique où M. P. Juillerat présente, sous leurs meilleures armes, les rivaux contre lesquels il va lutter.

1

M. Josephin Soulary, dont les Sonnets humoristiques avaient révélé un poëte si distingué, en faisant un singulier honneur aux presses lyonnaises de M. Louis Perrin, vient de faire paraître dans les mêmes conditions typographiques un nouveau recueil, où le sonnet se mêle à des rhythmes variés : ce sont les Figulines, suivies du Rêve de l'Escarpolette. Le poëte ici s'efface modestement devant le typographe. « Ce livre n'est pas un livre, dit-il; c'est un prétexte que je fournis à mon excellent ami, Louis Perrin, le bon imprimeur, de faire étinceler dans un écrin renou

་་

1. Voy. t. II de l'Année littéraire, p. 42-48.

2. Lyon, Scheuring, pet. in-4°, 100 p.

velé de Jean de Tournes, ces caractères augustaux, d'un œil si provoquant, si souples de forme, si gaulois d'allure, qui furent les joyaux de la Typographie à l'époque où la Typographie était une très honneste et très grande dame de hault pairage. »

Mais la critique doit voir le fond, même sous la plus belle forme. Les Figulines sont un simple délassement poétique entre une œuvre accomplie et les œuvres attendues. Elles n'augmenteront pas la réputation de l'auteur des Sonnets; elles peuvent seulement l'entretenir. Ce ne sont que de petits essais et, pour ainsi dire, de simples ébauches. Le titre, d'une modestie un peu recherchée, indique plutôt la matière à mettre en œuvre que l'art lui-même. La plupart ont pour sujet l'amour, pris sous l'une de ses nombreuses formes, celle du plaisir. Je trouve, dans le nombre, un sonnet qui tranche un peu sur le reste par l'idée sérieuse mêlée au sentiment. C'est le seul que je citerai.

UN GRAND PEUT-ÊTRE.

Le sein, l'enfant l'ignore aussitôt que sevré,
Cependant que du lait la force en lui demeure.
Ainsi du corps d'hier fraîchement délivré,
Peut-être ai-je oublié ma vie antérieure.

Je vis; donc j'ai vécu! je meurs; donc je vivrai!
Épuiserais-je tout dans un réveil d'une heure?
Et mon Père infini m'aurait-il fait un leurre
De la soif d'infini dont je suis dévoré?

Dans ses migrations où j'emporte sans trêve
Ton âme altière, Adam, ta chair folle, ô belle Ève!
Je vous sens moins rivaux en moi de jour en jour,

Et comme en un creuset l'alliage s'épure,
Chaque fois qu'au tombeau je vous jette souillure,
Du berceau chaque fois je vous dégage amour.

Il y a, dans ce mysticisme pythagoricien, une solution

« PrécédentContinuer »