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à l'intérêt sombre du sujet, et à l'autorité acquise par teur en matière de stratégie. Dans ce grand tournoi d'historiens et de tacticiens, le grand chapitre des Misérables sur Waterloo ne fait plus l'effet que d'une brillante variation1.

Les travaux historiques que nous avons vu entreprendre sur les temps encore plus rapprochés de nous se poursuivent ou s'achèvent également. M. L. de Viel-Castel a donné son cinquième volume de l'Histoire de la Restauration 2. M. Garnier-Pagès a terminé son Histoire de la révolution de 1848, que les premiers volumes ont fait louer pour l'abondance et la précision des souvenirs, ainsi que pour les efforts d'impartialité au milieu de faits si récents.

Sous un point de vue particulier, M. Duvergier de Hauranne reprend le tableau comparé des quatre derniers régimes. Son Histoire du gouvernement parlementaire en France s'est augmentée d'un cinquième volume. Il en est de même des Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps5 par M. Guizot, entre les mains savantes duquel nous avons déjà vu la biographie d'un homme et l'histoire d'un demisiècle jeter l'une sur l'autre une lumière réciproque.

Tous ces travaux sont dignes, à divers égards, de l'attention qu'ils ont excitée, et la plupart ont été pour nous dans nos précédents volumes l'objet d'études et d'appréciations que nous ne pourrions que répéter. Nous laisserons donc, pour le moment, toutes ces importantes publications, sauf à revenir plus tard sur quelques-unes, et nous passerons en revue un certain nombre de travaux historiques moins considérables ou moins célèbres, mais qui donnent

1. Voy. ci-dessus, p. 51 et suiv.

2. Michel Lévy frères. In-8, 523 pages.

3. Pagnerre. Tome VI-VIII, in-8, d'environ 500 pages. Plus une Liste des personnes dont le nom est cité, etc. In-8, 40 pages.

4. Michel-Lévy frères. T. V. In-8, 592 pages.

5. Même librairie. Tome V, in-8, 525 pages.

encore une idée suffisante de l'activité de notre époque dans cette carrière d'études favorites et de leurs résultats.

Les excès de l'école pittoresque : l'exemple donné par son chef, M. Michelet.

Le genre historique avait jusqu'ici des qualités qui lui étaient propres; une simplicité qui n'exclut pas la force, une certaine austérité qui n'est pas sans grâce, distinguaient le style des grands historiens. M. Michelet a changé tout cela. Chercheur infatigable, évocateur puissant, il ne lui suffit pas de nous enseigner le passé, il le fait revivre devant l'imagination et les yeux; il le met en drames, en tableaux de féeries, en décors d'opéras. En cela consiste le système de l'école pittoresque dont M. Michelet est un des chefs, et l'on sait comment il l'a suivi et outré dans les derniers volumes de son Histoire de France, découpée, soit par périodes soit par épisodes, en scènes fantasmagoriques.

Ce système, M. Michelet l'exagère encore davantage, si c'est possible, dans ses monographies. Telle est la dernière qu'il nous donne sous ce titre : la Sorcière1. C'est l'histoire rapide de la foi en Satan dans le monde chrétien; origine de la croyance au diable, progrès de cette croyance, son influence sur les esprits et les mœurs, rôle de Satan dans la société laïque et dans l'église, fêtes en son honneur, rigueurs exercées contre lui, contre ses ministres ou ses victimes; pactes, possessions, exorcismes, procès scandaleux et supplices célèbres : voilà l'objet des recherches de M. Michelet et de ses peintures hautes en couleurs.

1. Dentu, Collection Hetzel, in-18, 460 pages. Voy. sur les derniers écrits de M. Michelet, l'Année littéraire, t. I, p. 80-92; t. II, p. 146154; t. IV, p. 110-115.

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Le ministre ordinaire de Satan c'est la Femme. « Pour un sorcier, disait-on jadis, dix mille sorcières. » M. Michelet en donne de singulières raisons : « Nature les fait sorcières. C'est le génie propre à la Femme et son tempérament. Elle naît Fée. Par le retour régulier de l'exaltation, elle est Sibylle. Par l'amour, elle est Magicienne. Par sa finesse, sa malice (souvent fantasque et bienfaisante) elle est Sorcière et fait le sort, du moins endort, trompe les maux. » Ainsi parle M. Michelet dès le début, avec force majuscules. Que devons-nous attendre d'un tel exorde? des rapprochements ingénieux, mais puérils; des finesses, des subtilités, du nouveau à tout prix du nouveau dans les faits, par l'exhumation de souvenirs perdus, du nouveau dans la forme, par des accouplements de mots ou d'idées, excentriques, bizarres.

Chez M. Michelet tout est brisé, haché, sujet et style. Les scènes se suivent et ne s'enchaînent pas. Alinéas multipliés, phrases courtes et sans cesse suspendues, abus étrange de toutes les sortes de points, interrogations, exclamations, invocations perpétuelles. Et l'on ne sait jamais si ces transports, cette exaltation sont pour son propre compte ou pour celui de ses personnages. Une sorcière qui a reçu la visite consolante du diable et qui attend son retour, confie ce secret à une amie; et M. Michelet de s'écrier :

Bonheur qui n'est pas sans péril. Que serait-ce de l'imprudente, si l'Église savait qu'elle n'est plus veuve ? que, ressuscitée par l'amour, l'esprit revient la consoler ?

Chose rare, le secret est gardé ! Toutes s'entendent, cachent un mystère si doux. Qui n'y a intérêt? qui n'a perdu? qui n'a pleuré? qui ne voit avec bonheur se créer ce pont entre les deux mondes?

« O bienfaisante sorcière !.... Esprit d'en bas, soyez béni ! »><

Qui pousse ce dernier cri? Est-ce l'amie, la confidente de la sorcière? est-ce M. Michelet lui-même? Il jette tant

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de petits cris autour de chacun de ses personnages, que la prosopée chez lui passe à l'état chronique. C'est à Satan qu'il fait surtout l'honneur de la mise en scène la plus vive. Satan est pour lui non-seulement un être réel, c'est un familier, une vieille connaissance. Il l'appelle le rusé, le gaillard; il s'intéresse à ses œuvres, rit de ses tours et stratagèmes; il le voit sans étonnement prendre toutes sortes de formes, devenir, à la voix de la sorcière, une flamme ou une cendre et mourir tout à son aise; car le gaillard est sûr de vivre. « Eh bien, mon bon Satan, partons,» lui dit la sorcière, et M. Michelet avec elle.

Cette mise en action peut être ridicule dans les scènes de sorcellerie et de sabbat; elle devient scabreuse dans les histoires de possession, surtout de possession de femmes. Ici la sorcellerie touche à la dépravation des mœurs ou à l'hystérie; M. Michelet ne recule ni devant les crises physiologiques ni devant les turpitudes morales. La possession produit chez certaines religieuses des effets obscènes et les remèdes sont souvent plus obscènes encore. M. Michelet nous décrit toutes les espèces d'exorcisme, les exorcismes secrets de préférence. L'auteur de l'Amour et de la Femme se retrouve ici tout entier, avec sa fureur d'indiscrétion. C'est un médecin, un confesseur de femmes qui ne pénètre si avant dans le mystère des faiblesses naturelles ou de la corruption de ses clientes, que pour les exhiber devant tout le monde avec éclat. Singulière manie, et singulière littérature! Quand on voit cette fièvre d'études pathologiques sur l'hystérie, dans des livres qui ne sont pas des livres de médecine, on se demande qui est le plus atteint de cette maladie, des héroïnes ou de l'auteur.

Il n'y a pas à tenter ni à espérer de ramener M. Michelet par la critique de ces voies scabreuses où il se perd de gaieté de cœur. Disons, pour être justes, que le grand écrivain d'une époque meilleure ne s'évanouit pas tout entier dans ces malheureuses tentatives de transformation. Dans

ce chaos d'imaginations ou de formes extravagantes, on sent passer quelquefois le souffle des grandes idées et des sentiments généreux des éclairs sillonnent encore cette nuit qu'un homme d'un si grand talent fait sur lui-même, et l'on reconnaît, à la vigueur de certaines atteintes contre leurs ennemis renaissants, la main qui défendit si vaillamment de nobles causes.

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Les recherches savantes préférées à la mise en œuvre littéraire : L'Ecole des chartes. M. H. d'Arbois de Jubainville.

Tous les historiens n'ont pas cette fièvre de mise en scène reprochée à l'école pittoresque. Il en est, et de trèssavants, qui, par un excès contraire, négligent trop d'orner leur sujet. L'exagération du mouvement, de la couleur, des effets de style jettent l'écrivain hors du genre historique dans la fantaisie; le dédain de l'art de raconter, de peindre, de vivifier le passé évanoui, laisse les ouvrages les plus méritants au-dessous de l'histoire dans la chronique et les répertoires de faits et de dates. C'est le tort de plusieurs recueils dus à l'activité persévérante d'anciens élèves de l'Ecole des chartes, devenus archivistes dans nos départements. A la source de documents souvent précieux, ils y puisent avec ardeur; ils tirent des richesses de la nuit où elles étaient enfouies; ne reculant ni devant la dépense ni devant le travail, ils livrent généreusement leurs découvertes à qui voudra les mettre en œuvre, trop modestes pour tenter de faire eux-mêmes des livres qui appellent le public par l'attrait de la forme littéraire.

Ces réflexions me sont inspirées par le dernier et le principal ouvrage de l'un de nos plus laborieux archivistes, M. H. d'Arbois de Jubainville, son Histoire des ducs et des

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