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ces chrétiens, si austères et si durs pour eux-mêmes, se montrer si miséricordieux et si compatissants pour les

pauvres. >>

Selon le même critique, M. Feillet a surtout donné dans son ouvrage une preuve de cette grande foi sociale que l'administration politique ne vaut pas, pour la charité, l'effort individuel soutenu, excité par la religion et l'humanité.

L'auteur de la Misère au temps de la Fronde ne s'est pas enfermé strictement dans le sujet qu'il annonçait. A côté des maux extrêmes dont il retrace le tableau et des extrêmes efforts faits par la charité pour y remédier, il se laisse aller volontiers à des récits politiques plus ou moins étrangers à cette histoire du paupérisme en France dont il voulait seulement écrire un chapitre. Ces récits offrent du moins beaucoup d'intérêt, une érudition étendue et sûre, une fermeté d'appréciation remarquable. Incidemment, l'auteur donne des détails curieux et inédits sur deux généraux inégalement célèbres. D'un côté, Condé, par sa cruauté et son avidité, se met au niveau des plus terribles ravageurs de la guerre de trente ans, les Wallenstein, les Tilly, les Mansfeld : les immortelles louanges de Bossuet ne doivent pas étouffer les justes sévérités de l'histoire. D'un autre côté, M. Feillet éclaire d'un jour aussi nouveau mais plus pur la figure du premier maréchal plébéien, Fabert, qu'on pourrait appeler un Vauban anticipé. Son chapitre intitulé: Massacre et incendie de l'hôtel de ville nous montre comment il sait traiter, dans ses épisodes les moins connus, l'histoire de Paris. Aux lumières nouvelles qu'il jette sur des faits restés obscurs jusqu'ici, à la vigueur qu'il met dans les portraits de certains personnages, on reconnaît qne si M. Feillet ne s'était pas imposé un cadre aussi restreint, l'époque entière de la Fronde aurait pu trouver en lui un historien de plus et l'un de ses meilleurs.

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Suite de la monographie historique de Sainte-Barbe.
M. J. Quicherat.

Nous avons à signaler la suite d'une intéressante monographie dont nous avons fait connaître, l'année dernière, la première partie à nos lecteurs. M. J. Quicherat, continuant, sur une échelle aussi vaste, son Histoire de SainteBarbe, suit les destinées de cette chère institution depuis la dernière moitié du dix-septième siècle jusqu'à la fin du dix-huitième. Cette période est remplie pour Sainte-Barbe, d'événements publics. Ce sont des changements de direction intérieure, des réformes dans l'administration et les études; des luttes avec l'Université ou les jésuites, des procès avec les voisins, de petites guerres intestines, des révoltes même où le sang ne coule pas, des relations honorables avec de grands personnages, des dynasties de maîtres et des généalogies d'élèves; en un mot tout un ensemble de souvenirs qu'une aussi ancienne institution, à l'exemple des antiques familles, aime à garder dans le trésor des archives domestiques.

L'histoire générale, littéraire, religieuse ou politique aurait encore plus d'un fait, plus d'un document à recueillir dans cette monographie. Le poëte Santeuil écrit en l'honneur de Sainte-Barbe où il fit ses humanités, quelquesuns de ces bons vers latins si goûtés de son temps. C'est là qu'il a puisé, au milieu de camarades et de maîtres ardents l'amour de la poésie et de la gloire.

Nos pueri fuimus; tunc, pulchro laudis amore,
Omnia præclaro tentabam scribere versu.

1. Hachette et Cie. Tome II, in-8, 416 pages. Voy. t. IV de l'Année littéraire, p. 317-323.

Plaudebant juvenes, mihi non minus ipse placebam,
Et me grandiloquis jam tum miscere poetis
Stultus ego audebam et cœlum tetigisse videbar.
Addiderant animos, dum laudant multa magistri :

Spondebantque omnes me magnum in nomen iturum.

Les querelles religieuses du siècle ont leur écho dans l'Histoire de Sainte-Barbe. M. Quicherat est conduit par son sujet même, à nous donner de curieux détails sur la presse clandestine des jansénistes et sur les convulsions de saint Médard, dont les bizarres merveilles avaient leur théâtre dans le voisinage. Sainte-Barbe, compromise par l'esprit de prosélytisme, recevait les visites de la police du roi. Une crise plus terrible approchait, celle de la Révolution. L'esprit du temps avait fait invasion dans la communauté malgré la résistance du préfet des humanités, l'abbé Nicolle. Sainte-Barbe était recommandée à l'assemblée nationale et offrait des dons patriotiques. Mais ces beaux jours devaient avoir un triste lendemain; la constitution civile du clergé était proclamée, les supérieurs refusaient de s'y soumettre, l'abbé Nicolle avait émigré, la communauté était dissoute, et Sainte-Barbe recevait un supérieur constitutionnel provisoire, en attendant son extinction prochaine. Leur dernier supérieur, l'abbé Antoine Baduel était assassiné. Les ci-devant barbistes dispersés se refugièrent dans diverses carrières, quelques-uns avec les frères Bertin, dans le journalisme d'opposition monarchique, la plupart avec toute la jeunesse du temps dans la carrière militaire. M. J. Quicherat nous dira dans un troisième volume ce que devinrent dans l'ordre civil ou dans l'armée les plus distingués d'entre eux.

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Part de l'histoire dans les études historiques suscitées
par le doctorat ès lettres. M. Guichardin.

Depuis plus d'une vingtaine d'années les épreuves du doctorat ès lettres ont été fécondes, dans l'Université, en travaux utiles. Les thèses soutenues à la Sorbonne de Paris sont souvent de véritables livres et de bons livres. Il serait intéressant d'en passer la revue; et rien ne serait plus facile, en prenant la notice sur le doctorat ès lettres de M. A. Mourier pour guide1. Le choix des sujets ferait voir quelles ont été successivement les prédilections des membres les plus distingués de l'enseignement, au milieu des transformations de l'esprit public. On trouverait, chose curieuse, que le doctorat ès lettres, a produit peu de travaux purement littéraires parmi les plus remarquables. Sous le dernier règne, grâce à l'active prépondérance de M. Cousin, la philosophie se faisait la plus large part dans les thèses d'élite; l'histoire venait en seconde ligne. Aujourd'hui la philosophie, qui n'a plus son concours spécial d'agrégation et dont le rôle s'est tellement réduit dans l'enseignement des colléges, a naturellement perdu la première place dans les thèses du doctorat : l'histoire, plus favorisée par le retour de ces dernières années vers les fortes études, a gagné à la Sorbonne tout le terrain que la philosophie avait perdu. C'est ainsi qu'il s'y produit encore de nos jours, sous prétexte de thèses, des travaux considérables sur les grandes époques du passé ou sur leurs historiens.

1. Cette Notice est suivie du Catalogue des thèses latines et françaises, etc., depuis 1810 (2o édit., 1855, in-8). M. Mourier a aussi publié, sur le même plan, une Notice sur le doctorat ès sciences (1856, in-8).

Parmi les dernières thèses qui sont des livres, nous nous bornerons à signaler celle de M. E. Benoist, professeur au lycée de Marseille, ayant pour titre : Guichardin, historien et homme d'État italien au seizième siècle, étude sur sa vie et ses œuvres, accompagnée de lettres et de documents inėdits'. C'est une monographie complète, intéressante et, à quelques égards, nouvelle sur ce célèbre représentant de l'école historique du seizième siècle en Italie, dont le nom est peut-être moins populaire que celui de Machiavel, mais dont les travaux n'ont certainement pas moins d'importance. M. Benoist fait d'abord connaître avec détail la vie de Guichardin, sa famille, son éducation, ses emplois, son rôle politique, les services qu'il rend à Florence, à Bologne, sous les Médicis; il esquisse son caractère, apprécie sa conduite: puis il passe à l'étude de ses œuvres. Il nous donne alors une analyse fidèle de ses écrits divisés en deux groupes, les écrits politiques et les œuvres historiques. Après les avoir analysés, il les juge; il en discute la valeur morale, l'autorité historique, le mérite littéraire.

Du plan général il passe à l'examen des parties: descriptions, portraits, harangues, exposés politiques, diplomatiques et stratégiques. Il pénètre dans le détail de la langue et du style, compare Guichardin aux historiens anciens et à ses contemporains, résume et contrôle les jugements divers dont il a été l'objet. Des pièces justificatives viennent à l'appui des principales assertions de M. Benoist, et un choix curieux de fragments inédits prélude à la publication qui se fait en Italie, par les soins de M. Canestrini, d'un Guichardin authentique et complet. On ne pouvait moins faire pour l'auteur de l'Histoire de Florence et de l'Histoire d'Italie. De tels travaux prouvent la prospérité de l'enseignement historique en France et y contribuent, et l'on ne peut que souhaiter de voir la philosophie et la

1. A. Durand (Marseille, Librairie générale). In-8, 438 pages.

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