France accomplit en ce moment au Mexique puisse ajouter à l'intérêt d'un tel sujet, ce n'est point cependant un livre de circonstance; l'auteur paraît connaître à fond et de longue date la contrée qu'il décrit et dont il met les mœurs en action. C'est un pays à la fois magnifique et terrible. On sait que le Mexique se divise en trois régions : les terres tempérées et les terres chaudes; mais ce qu'on ne sait pas, c'est que les terres soi-disant froides ont la même température moyenne que la ville de Rome. 'Qu'on juge des ardeurs des régions tempérées et de celles qu'on veut bien appeler chaudes. Qu'on se figure une alternative de chaleur d'étuve et de pluies diluviennes; les vallées transformées soudainement en torrents et les plaines en lacs immenses, dont les eaux en s'évaporant laissent sous une atmosphère de miasmes mortels une vase merveilleusement féconde. Là, des forêts vierges s'entrelacent, pour ainsi dire à vue d'œil, de lianes et de végétaux de toutes sortes, à travers lesquels il faut se frayer le fer à la main un chemin que des pousses nouvelles referment aussitôt sur vous. Là vivent en maîtres les grands carnassiers, les immenses reptiles; là fourmillent dans l'air qu'on respire d'innombrables insectes, cause d'un supplice perpétuel. M. Lucien Biart nous fait connaître les habitants de ces terres trop favorisées du soleil, soit les indigènes aux mœurs étranges, soit les colons d'origine européenne jetés au milieu de cette vie sauvage. Les scènes qu'il raconte nous font encore mieux connaître le pays et ses usages que les plus minutieuses descriptions. L'auteur ne nous fait pas seulement voyager, mais vivre avec lui dans ces contrées si bien faites pour exciter notre curiosité. Sur cette même terre brûlante nous pouvons prendre pour guide un homme qui n'en a pas seulement rapporté des souvenirs agréables, car aux aventures et aux impressions de voyage se sont joints pour lui les désagréments de la captivité. Ce guide est M. Ernest Vigneaux dont le livre a pour titre Souvenirs d'un prisonnier de guerre au Mexique (1854-1855)1. C'est vraiment le livre de voyage, le journal d'impressions et de souvenirs. L'auteur raconte dans l'ordre même où ils se sont produits les événements dont il a été auteur ou victime, il dit tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a vu; les hommes avec lesquels il a vécu ou s'est rencontré. Il décrit quelques scènes de la nature, donne des détails sur la vie des habitants, sur les mœurs, usages et costumes, sur le gouvernement politique et l'organisation sociale, sur l'industrie indigène et le commerce, sur les relations des naturels du pays avec les étrangers, en un mot sur tout ce qui peut frapper la curiosité dans un voyage lointain. Ce n'est pas en vain que celui qui a beaucoup vu a beaucoup retenu; il est aussi possédé de l'envie de beaucoup conter. M. Vigneaux a cédé à ce besoin trop naturel à un voyageur, à un prisonnier, c'est-à-dire à un homme qui a vu les hommes et les institutions du Mexique de plus près qu'il n'aurait voulu. Du reste il conte bien, sans art, sans prétention; il mêle avec sobriété les réflexions philosophiques à l'observation des faits, et il ne s'étonne pas de retrouver, sous toutes les latitudes, l'homme identique à Plui-même; avec les mêmes penchants et les mêmes vices dont les germes sont plus prompts à se développer que ceux des vertus. M. Deschanel, que nous avons vu tout à l'heure raconter en historien l'expédition de Colomb, aime à voyager pour son propre compte; mais il ne va pas aussi loin. Il ne sort pas de l'Europe; il dépasse à peine les frontières de la France. Le récit de ses excursions a paru, par fragments, ans le Journal des Débats, où il s'intitulait simplement : Par monts et par vaux; mais pendant le cours de l'impres 1. Hachette et Cie, in-18, 566 p. sion du volume, ce titre a été pris par un autre, ét, pour éviter toute contestation, M. Deschanel a inscrit sur sa couverture: A pied et en wagon1. Les principales promenades du spirituel touriste ont pour théâtre le Berry, le Dauphiné, la Savoie, la Suisse, l'Alsace. Des visites en Belgique lui font retrouver une seconde France hors de la patrie, et une excursion en Espagne lui permet de mieux accuser les traits de notre physionomie nationale par le contraste. M. Deschanel sait voir et admirer. L'intelligence et le goût valent bien pour cela l'expérience des voyageurs de profession. Les pays parcourus l'intéressent moins pourtant que les souvenirs historiques ou littéraires qu'ils réveillent. Le Berry ou, comme il l'appelle, la Suisse berrichonne, lui apparaît à travers le prisme enchanteur des romans de George Sand. Dans la vraie Suisse, les Charmettes font revivre devant lui J. J. Rousseau et Mme de Warrens; Ferney, Voltaire; Coppet, Mme de Staël. Accessoirement, des à-propos amènent dans la conversation Homère, Dante et son interprète le dessinateur G. Doré, le jésuite Nonotte, Napoléon, l'Oncle Tom, Balzac, Alex. Dumas. La poésie a sa place dans ce concert de souvenirs; l'auteur nous cite, outre des vers connus, des vers inédits qui méritaient de ne pas le rester. Des anecdotes piquantes, de fines remarques, beaucoup de verve, un peu d'érudition, tous les agréments de la causerie se réunissent dans ce carnet de voyage, qui ne remplace pas pour les touristes les Guides-Joanne, mais qui fera faire aux voyageurs du coin du feu d'agréables excursions dans le pays des rêveries et des souvenirs. Ici nous pourrions nous accuser nous-même de lacunes que nous regrettons, mais que l'abondance des matières 1. Hachette et Cie, in-18, 344 p.-M. J. Noriac trouvait en même temps un titre analogue: Sur le Rail (voy. l'Appendice). rend inévitables. Les voyages de fantaisie et d'aventures personnelles tendent à devenir presque aussi nombreux que les romans. Ils commencent à prendre place dans plusieurs collections d'éditeurs, et nous en trouvons une certaine quantité sur les rayons de la Bibliothèque des chemins de fer. Nous en avons lu, entre deux stations, quelquesuns auxquels nous devons au moins une mention. Ainsi les Souvenirs d'un mutilé, par M. Paul Marcoy', dont nous avons déjà signalé les excursions dans les Andes, nous fait suivre un indomptable Nemrod français dans les chasses les plus aventureuses à travers le nouveau monde. Un léger fil de roman relie des anecdotes qui peuvent être vraies et des descriptions qui doivent l'être. Une passion analogue à celle de la chasse nous mêne à travers une partie des mèmes contrées à la suite de M. BénédictH. Révoil, auteur des Pêches dans l'Amérique du Nord2. Son cadre plus libre réunit aussi des voyages instructifs à des aventures intéressantes. Quand j'aurai signalé dans la même collection les Souvenirs d'un Sibérien, extraits des Mémoires de Rufin Pistrowski, et traduits du polonais pour la Revue des DeuxMondes avant d'être réunis en volume 3, je serai loin d'avoir épuisé toute la liste des livres de voyage qui nous fait refaire d'une façon si attrayante nos cours oubliés de géographie. J'avoue cependant que ces excursions dans le monde de la réalité, au milieu d'une nature étrange et d'hommes de civilisations différentes me plaisent mieux que la plupart des récits d'aventures romanesques qui n'ont pour eux le plus souvent ni la vraisemblance des faits, ni la vérité des sentiments. D'un roman médiocre, il ne reste rien; d'un voyage de fantaisie et d'aventures personnelles, même médiocrement écrit, il reste la connais sance de quelque pays ou de quelques hommes de plus ; ce qui n'est pas indifférent à la connaissance même de l'homme. 18 Le tour de France d'un moraliste et d'un historien. M. Fr. Wey. Pendant que nous courons le monde, nous ignorons notre patrie. Depuis que les chemins de fer nous transportent d'un seul bond à la frontière, nous ne voyageons plus qu'à l'étranger. Rien n'est plus commun qu'un Parisien qui revient du bout de l'Europe; rien n'est plus rare qu'un Français ayant fait son tour de France. M. Francis Wey a entrepris de le faire pour nous et de nous le faire faire avec lui. Par un artifice littéraire très-légitime, il se dérobe lui-même derrière un personnage fictif pour dire plus librement à ses compatriotes ce qu'il pense d'eux, des usages et des mœurs des diverses provinces qu'il a visitées; il intitule ses impressions de voyage du nom de l'explorateur étranger dont il est censé n'être que le secrétaire Dick Moon en France, Journal d'un Anglais de Paris1. Un fil léger relie le récit des diverses excursions du voyageur britannique au milieu de nous. L'ordre dans lequel il visite nos villes et nos provinces n'est pas déterminé par la géographie, mais par des incidents et des hasards qui permettent au peintre de jeter une grande variété dans son tableau. A un moment donné, une intrigue de roman vient se mêler à ces courses d'exploration, et, en fournissant au touriste l'occasion de pénétrer plus avant dans les mœurs du pays, devient une nouvelle source de peintures. Le roman lui-même n'offre pas un grand in 1. Hachette et Cie, in-18, 442 p. |