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peuple dans lequel elle s'est incarnée, comme autrefois la loi de Moïse dans la nation juive; ce peuple a eu ses persécutions, dont la violence aurait dû l'anéantir et lui a donné un plus grand essor; il a eu ses fuites à travers les déserts, son entrée dans une terre promise où il se proclame sous le nom de «< Saints du dernier jour », le véritable peuple de Dieu. On voit que nous voulons parler des mormons qui colonisent, autour du grand Lac-Salé, le territoire d'Utah, sous le gouvernement de Brigham Young, successeur immédiat du prophète fondateur Joseph Smith.

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Il a déjà été publié, en France, sur le mormonisme et les mormons, un assez grand nombre d'écrits, de brochures, de volumes même, et surtout d'articles de revues et de journaux. Mais, jusqu'à présent, il ne s'était produit chez nous, comme publications originales, que des relations de voyageurs assez indifférents à la question religieuse qui s'agite au fond du mormonisme, ou des critiques dédaigneuses ou violentes contre un système d'idées et d'institutions si opposées aux nôtres. Les expositions sérieuses ou les apologies de ces étranges dogmes pullulaient cependant dans la langue anglaise, et quelques-unes avaient été traduites en partie dans notre langue. Aujourd'hui paraît le premier livre français émanant d'un de nos compatriotes, adepte fervent de la foi nouvelle; il est intitulé résolûment: Mémoires d'un mormon1. L'auteur, M. L. A. Bertrand, se propose d'en exposer les dogmes, de les défendre contre des interprétations qui les altèrent, de raconter les circonstances merveilleuses de leur révélation et l'histoire encore si courte, mais déjà si remplie, du peuple qui les représente. Il y mêle quelques détails sur lui-même, sur sa vie, sur sa conversion.

Les confidences de M. L. A. Bertrand sur lui-même nous montrent une fois de plus combien l'éducation pre

1. Collection Hetzel, in-18, 324 p.

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mière, qui a tant d'influence sur la direction générale de toute une génération, a peu de pouvoir sur le développement futur de quelques individus, et les dispute mal aux influences du dehors ou aux tendances de leur propre nature. Comme Voltaire, avec lequel il n'aura guère d'autre point de rapport, M. Bertrand a été élevé par les jésuites. « Mon père, dit-il, le meilleur des pères, croyant deviner en moi une vocation ecclésiastique, m'avait placé sous la direction du fameux père Loriquet. Singulière vocation et singulière école pour arriver aux dogmes du mormonisme! Comment, sur la racine de la foi primitive, cultivée dans une jeune âme par l'adversaire le plus décidé des choses modernes, a-t-il pu germer un besoin de nouveautés religieuses qui devait demander au mormonisme sa satisfaction? Il faut convenir que, pour le néophyte mormon, cette satisfaction est entière; plus de doutes dans son esprit; le calme complet dans cette âme autrefois si inquiète. Il a trouvé, sur les bords du Lac-Salé, son chemin de Damas. C'est maintenant un des missionnaires de sa religion. Il ne revient en Europe que pour y faire des prosélytes, et son livre n'est sans doute, à ses yeux, qu'un moyen de propagande.

Il est, aux nôtres, un des témoignages les plus curieux de la faiblesse de la raison humaine et de l'empire que prend sur elle le besoin du merveilleux, qu'il soit exploité par les impostures d'un homme habile ou par l'enthousiasme d'un halluciné. Le mormonisme, comme tous les faits humains qui sont toujours plus compliqués qu'on n'est tenté de le croire, a plus d'une sorte de cause, et je conçois que les << Saints des derniers jours, » considérés dédaigneusement par un de leurs critiques «< comme un ramassis d'idiots de tous pays et de toutes langues,» par leurs voisins de civilisation chrétienne, comme les membres coupables d'une société monstrueuse qu'il faut anéantir, exercent sur beaucoup d'esprits inquiets de notre temps une

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certaine fascination. Sans regarder aux éléments de ses dogmes religieux et politiques, le mormonisme au dixneuvième siècle est une folie qui explique la folie de plusieurs autres pays et de plusieurs autres siècles. A l'accent même de l'auteur des Mémoires d'un mormon, on voit que ce peut être une folie sincère.

M. L. A. Bertrand parle avec une simplicité convaincue de l'authenticité du livre de Mormon; il accueille les fables de la révélation nouvelle sur l'origine des deux Amériques, leur population primitive, leur histoire, que personne ne connaît. Il fait honte à la science du silence qu'elle a gardé jusqu'ici sur le passé du nouveau monde et glorifie la religion nouvelle des lumières inattendues par lesquelles Joseph Smith a dissipé cette nuit. Le mormonisme a comblé une lacune dans les annales du monde. Non-seulement il nous retrace d'un passé inconnu une histoire que personne ne peut démentir, mais il annonce d'avance l'avenir de l'Amérique et celui de l'humanité. Les mormons ont des prophéties dont le langage est, selon l'usage, assez vague pour s'appliquer un peu plus tôt ou un peu plus tard à de grands événements. Quelques-unes sont accomplies déjà ou en voie de s'accomplir. Ainsi, dès 1832, la rupture de l'Union américaine, la révolution qu'elle doit entraîner dans le nouveau monde et le contrecoup qu'elle aura dans l'ancien, « ont été, selon M. Bertrand, solennellement prédits par l'humble fondateur du mormonisme. » On nous cite à l'appui le texte de la « Révélation donnée à Joseph Smith, » et l'on y voit annoncer à la suite de la séparation des États du Sud, inaugurée par la rébellion de la Caroline, l'immixtion de l'Angleterre et des diverses nations dans une guerre d'extermination universelle. Tous les fiéaux, naturels et surnaturels, fondront sur les habitants de la terre, et toutes les nations des gentils seront complétement détruites, et alors viendra pour les Saints, « et il vient bientôt, dit l'Éternel, » le jour du Seigneur.

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Le côté mystique du mormonisme se rattache à la fois, comme le mahométisme, à la révélation de Moïse et au christianisme dont il prétend être le complément; le côté moral, politique et social l'éloigne et le rapproche tour à tour de l'ancienne société juive et des sociétés chrétiennes. Nous ne pouvons entrer ici dans aucun détail; on verra dans le livre même de M. Bertrand comment ce peuple, avec des mœurs qui sont plus que singulières, dit la Préface de l'éditeur, se défend du reproche d'immoralité; comment la polygamie s'organise sous le nom de mariage patriarcal, et comment, à côté d'elle, des fautes pour lesquelles nos mœurs sont indulgentes sont frappées là-bas d'une sévère pénalité. On y verra le système théocratique le plus absolu s'établissant chez des hommes que le besoin de liberté avait sans doute contribué à pousser hors de leurs foyers vers tous les hasards de l'émigration. Quoique le mormonisme, suivant M. Bertrand, rallie au moins 120 000 adhérents en Europe, dans le Nord surtout, je compte assez sur le bon sens des compatriotes de Voltaire pour ne pas craindre que son œuvre de propagande réussisse beaucoup chez nous; mais son livre aura, même pour les esprits légers, un attrait de curiosité, et il offrira aux philosophes une matière à des réflexions dont nous ne pouvons dire ici la portée.

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Les aberrations de la foi au surnaturel parmi nous le spiritisme. Correctif: renaissance de l'incrédulité. M. Miron.

Il n'est pas besoin d'aller si loin pour voir les folies où les écarts de la foi au surnaturel peuvent entraîner l'esprit humain. Au milieu de nous, nous voyons naître, grandir un genre nouveau de superstition, le spiritisme, avec ses prétentions à une mission supérieure, ses prophètes des

deux sexes, décorés du nom de médiums, ses instruments matériels de révélation, tables et tablettes tournantes, frappantes, parlantes. Ces extravagances qui peuvent être sincères, du côté des dupes, sinon du côté de ceux qui les exploitent, commencent à s'organiser, et elles ont leur écho dans la bibliographie philosophique de l'année. La révélation surnaturelle du spiritisme a aujourd'hui ses livres, ses journaux, comme ses oracles. On en trouvera plus loin la liste avec des titres non moins significatifs que les années précédentes1.

Ici ce sont, en trois forts volumes, trois séries de Révélations du monde des esprits, dissertations spirites obtenues par un médium et comprenant des commentaires sur les quatre Evangiles. Là ce sont des Révélations d'outre-tombe, dont l'auteur prend la qualité d'évocateur, avec sa femme pour médium. Ailleurs des révélations de même ordre sont publiées sous le titre : les Habitants de l'autre monde, comme des << communications dictées par coups frappés et par l'écriture médiaminique au salon Mont-Thabor. » On ne nous dit pas s'il s'agit du mont Thabor de l'Evangile ou de la rue qui, à Paris, porte ce nom. Un autre révélateur publie un gros volume de Philosophie occulte, première série qui en promet d'autres; ce qu'il révèle, ce sont « les secrets de la direction du magnétisme universel et des principes fondamentaux du grand œuvre. » Il s'intitule professeur de hautes sciences, » et donne son adresse. Toutes ces nouvelles formes de la foi au surnaturalisme luttent contre de plus anciennes, par exemple, le magnétisme, qui n'est pas mort; car je vois la bibliographie enregistrer chaque année un volume nouveau de l'Encyclopédie magnétique spiritualiste, où la psychologie se montre pêle-mêle avec la magie, le magnétisme avec le swedenborgianisme, etc., où les facultés prophétiques de

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1. Voy. l'Appendice, section vi, § 4.

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