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ÉLÉMENTS

DU

DROIT INTERNATIONAL.

QUATRIÈME PARTIE.

DROITS INTERNATIONAUX DES ÉTATS DANS LEURS
RELATIONS HOSTILES.

CHAPITRE II.

DROITS DE LA GUERRE ENTRE ENNEMIS.

Droits

contre un ennemi.

En général on peut établir que les droits de la guerre $ 1. relativement à l'ennemi doivent se mesurer par le but de la guerre de la guerre. Pour arriver à ce but, et jusqu'à ce qu'il l'ait atteint, le belligérant a, strictement parlant, le droit d'employer tous les moyens qui sont en son pouvoir. Nous avons déjà vu que l'usage de l'ancien monde, et même l'opinion de quelques publicistes modernes, ne font pas de distinction quant aux moyens à employer pour cet effet; même des jurisconsultes comme Bynkershoek et Wolf, qui vivaient dans les pays les plus savants et les plus civilisés de l'Europe au commencement du dix-huitième siècle, soutiennent le large principe que tout ce qui

$ 2. Limite aux droits de la

est fait contre un ennemi est légitime; que cet ennemi peut être détruit quoique sans armes et sans défense; qu'on peut employer contre lui la fraude et même le poison; et qu'un droit illimité est acquis par le vainqueur sur sa personne et sur sa propriété. Tels n'étaient pas cependant le sentiment et la pratique de l'Europe éclairée à l'époque où ils écrivaient, puisque longtemps auparavant Grotius avait inculqué des principes plus doux et plus humains, que Vattel a ensuite corroborés et démontrés, et qui sont adoptés par le concours unanime de tous les publicistes actuels 1.

Le droit naturel n'a pas précisément déterminé jusqu'à quel point un individu peut faire usage de la force, soit de l'ennemi pour se défendre contre une offense à lui faite, soit pour

guerre contre la personne

obtenir réparation quand elle est refusée par l'agresseur, ou pour châtier l'offenseur. Nous ne pouvons recueillir de cette loi que la règle générale, qu'un pareil emploi de la force pour arriver à ses fins n'est pas défendu quand il est nécessaire. Le même principe s'applique à la conduite des nations souveraines en état d'indépendance naturelle vis-à-vis les unes des autres. Aucun emploi de la force n'est légal s'il n'est nécessaire. Un État belligérant n'a donc pas le droit d'ôter la vie aux sujets de l'ennemi qu'il peut soumettre par d'autres moyens. Ceux qui sont véritablement en armes et continuent à résister peuvent être tués loyalement, mais les habitants du pays de l'ennemi non en armes, ou qui, étant en armes, se soumettent et se rendent, ne doivent pas être tués, parce que leur destruction n'est pas nécessaire pour arriver au juste but de la guerre. Ce but peut être atteint en faisant prisonniers ceux qui sont pris les armes à la main, ou en les forçant à donner sûreté qu'ils ne porteront pas les armes.

1 BYNKESHOEK, Quæstionum juris publici lib. I, cap. I. WOLFIUS, Jus gentium, § 878. GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. III, cap. iv, § 5-7. VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. vIII.

contre le vainqueur pendant un temps limité ou pendant la continuation de la guerre. Tuer des prisonniers ne peut se justifier que dans ces cas extrêmes où la résistance de leur part ou de la part des autres qui viennent les délivrer rend impossible de les garder. La raison et l'opinion générale concourent à montrer que rien autre chose que la plus impérieuse nécessité ne justifie un pareil acte 1.

D'après les lois de la guerre encore en usage chez les nations sauvages, les prisonniers pris à la guerre sont mis à mort. Parmi les nations plus civilisées de l'antiquité cet usage fut remplacé graduellement par celui d'en faire des esclaves. A cette coutume fut substituée celle de la rançon, qui continua à travers les guerres féodales du moyen âge. L'usage actuel d'échanger les prisonniers ne fut solidement établi en Europe que vers le courant du dix-septième siècle. Même à présent cet usage n'est pas obligatoire parmi les nations qui préfèrent insister sur la rançon des prisonniers pris par elles, ou laisser leurs concitoyens. entre les mains de l'ennemi jusqu'à la fin de la guerre. Les cartels d'échange de prisonniers de guerre sont réglés par convention spéciale entre les États belligérants d'après leurs intérêts respectifs et leurs vues politiques. Quelquefois on permet à des prisonniers de guerre par capitulation, de retourner dans leur pays, à la condition de ne pas servir de nouveau pendant la guerre ou jusqu'à ce qu'ils soient dûment échangés. Les officiers sont fréquemment relâchés sur parole sous la même condition. La bonne foi et l'humanité doivent présider à l'exécution de ces conventions, qui ont pour but d'adoucir les maux de la guerre sans en détruire l'objet légitime. Suivant l'usage moderne des nations, des commissaires ont la permission de résider dans chacun des pays belligérants, pour mettre

1 RUTHERFORTH's Instit., b. II, chap. x, § 15.

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à exécution les arrangements nécessaires à cet effet. L'atteinte à la bonne foi dans de telles transactions ne peut être punie qu'en refusant à la partie coupable d'une pareille violation les avantages stipulés par le cartel, où, dans les cas où on peut supposer qu'elle s'est mise à l'abri de ce recours, en exerçant des représailles ou rétorsion de fait 1.

Tous les membres de l'État ennemi peuvent légalement être traités comme ennemis dans une guerre publique. Mais il ne suit pas de là que tous ces ennemis doivent être traités de la même manière. Quoiqu'on puisse légalement détruire certains d'entre eux, il ne s'ensuit pas cependant qu'on puisse légalement les détruire tous. Car la règle générale déduite de la loi naturelle est toujours la même, qu'aucun emploi de la force contre un ennemi n'est légal s'il n'est nécessaire à l'accomplissement du but de la guerre. La coutume des nations civilisées, fondée sur ce principe, a donc exempté de l'effet direct des opérations militaires la personne du souverain et sa famille, les membres du gouvernement civil, les femmes, les enfants, les cultivateurs, les artisans, les laboureurs, les marchands, les hommes de lettres et de science, et généralement tous les autres individus publics ou privés engagés dans les travaux civils ordinaires de la vie, à moins qu'ils ne soient pris les armes à la main, ou qu'ils ne se soient rendus coupables de quelque violation des usages de la guerre qui leur ait fait perdre leur immunité 2.

1 GROTIUS, de jure belli ac pacis, lib. III, cap. vII, § 8-9; cap. XI, § 9-13. VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. vIII, § 153. ROBINSON'S Admiralty Reports, vol. III, note, appendix A. Correspondance entre M. Otto, commissaire français des prisonniers en Angleterre, et le bâtiment de transport anglais, 1801. Annual Register, vol LXIV, p. 265. (State Papers.) WHEATON, Histoire du droit des gens, p. 162-164.

2 RUTHERFORTH'S Institut., b. II, chap. ix, § 15. VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. vIII, § 145-147, 159. KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, pt. II, tit. II, sect. II, chap. 1, § 245-247.

L'application du même principe a aussi limité et restreint les opérations de la guerre contre le territoire et autre propriété de l'ennemi. Du moment où un État est en guerre avec un autre, il a, en principes généraux, le droit de saisir toute la propriété de l'ennemi, de quelque espèce et en quelque lieu qu'elle soit, et d'approprier la propriété ainsi prise à son usage ou à celui de ceux qui s'en sont emparés. Par l'ancien droit des gens, même ce qu'on appelait res sacræ n'était pas exempt de capture et de confiscation. Cicéron a invoqué cette idée dans son langage métaphorique expressif, quand il dit dans son quatrième discours contre Verrès: «La victoire a rendu profanes toutes les choses sacrées des Syracusains. » Mais dans l'usage moderne des nations qui a maintenant acquis force de loi, les temples de la religion, les édifices publics affectés au service civil seulement, les monuments d'art, les dépôts de la science sont exemptés des opérations générales de la guerre. La propriété privée sur terre est aussi exempte de confiscation, à l'exception de celle qui peut se convertir en butin dans certains cas, quand elle est enlevée à l'ennemi dans les camps ou dans les villes assiégées, et à l'exception des contributions militaires levées sur les habitants d'un territoire ennemi. Cette exemption s'étend même au cas d'une conquête absolue et sans réserve du pays de l'ennemi. Dans les anciens temps la propriété tant mobilière qu'immobilière du vaincu passait au vainqueur. Tel était la loi romaine de la guerre souvent revendiquée avec une inflexible sévérité, et tel fut le sort des provinces romaines subjuguées par les barbares du Nord à la décadence et à la chute de l'empire d'Occident. Une large part, depuis un jusqu'à deux tiers des terres appartenant aux provinces vaincues, était confisquée et partagée entre les conquérants. Le dernier exemple en Europe d'une pareille conquête fut celle de l'Angleterre par Guillaume de Normandie. Depuis cette période, parmi

$5. Propriété de l'ennemi;

jusqu'à quel

point elle est

sujette à

capture et à

confiscation.

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