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DON PÈDRE. Et Vous voulez du bien à tous ceux qui prennent ce soin?

ISIDORE. Assurément.

DON PEDRE. C'est dire fort net ses pensées.

ISIDORE. A quoi bon de dissimuler? Quelque mine qu'on fasse, on est toujours bien aise d'être aimée. Ces hommages à nos appas ne sont jamais pour nous déplaire. Quoi qu'on en puisse dire, la grande ambition des femmes est, croyez-moi, d'inspirer de l'amour. Tous les soins qu'elles prennent ne sont que pour cela; et l'on n'en voit pas de si fière qui ne s'applaudisse en son cœur des conquêtes que font ses yeux.

DON PÈDRE. Mais si vous prenez, vous, du plaisir à vous voir aimée, savez-vous bien, moi, qui vous aime, que je n'y en prends nullement?

ISIDORE. Je ne sais pas pourquoi cela; et, si j'aimois quelqu'un, je n'aurois point de plus grand plaisir que de le voir aimé de tout le monde. Y a-t-il rien qui marque davantage la beauté du choix que l'on fait? et n'est-ce pas pour s'applaudir, que ce que nous aimons soit trouvé fort aimable?

DON PÈDRE. Chacun aime à sa guise, et ce n'est pas là ma méthode. Je serai fort ravi qu'on ne vous trouve point si belle, et vous m'obligerez de n'affecter point tant de la paroître à d'autres yeux.

ISIDORE. Quoi! jaloux de ces choses-là?

DON PÈDRE. Oui, jaloux de ces choses-là; mais jaloux comme un tigre, et, si vous voulez, comme un diable. Mon amour vous veut toute à moi. Sa délicatesse s'offense d'un souris, d'un regard qu'on vous peut arracher; et tous les soins qu'on me voit prendre ne sont que pour fermer tout accès aux galants, et m'assurer la possession d'un cœur dont je ne puis souffrir qu'on me vole la moindre chose.

ISIDORE. Certes, voulez-vous que je dise? vous prenez un mauvais parti; et la possession d'un cœur est fort mal assurée, lorsqu'on prétend le retenir par force. Pour moi, je vous l'avoue, si j'étois galant d'une femme qui fût au pouvoir de quelqu'un, je mettrois toute mon étude à rendre ce quelqu'un jaloux, et l'obliger à veiller nuit et jour celle que je voudrois gagner. C'est un admirable moyen d'avancer ses affaires, et l'on ne tarde guère à profiter du chagrin et de la colère que donne à l'esprit d'une femme la contrainte et la servitude.

DON PEDRE. Si bien donc que si quelqu'un vous en contoit, il vous trouveroit disposée à recevoir ses vœux?

ISIDORE. Je ne vous dis rien là-dessus. Mais les femmes enfin n'aiment pas qu'on les gène ; et c'est beaucoup risquer que de leur montrer des soupçons, et de les tenir renfermées.

DON PÈDRE. Vous reconnoissez peu ce que vous me devez; et il me semble qu'une esclave que l'on a affranchie, et dont on veut faire sa femme...

ISIDORE. Quelle obligation vous ai-je, si vous changez mon esclavage en un autre beaucoup plus rude, si vous ne me laissez jouir d'aucune liberté, et me fatiguez, comme on voit, d'une garde continuelle?

DON PÈDRE. Mais tout cela ne part que d'un excès d'amour.

ISIDORE. Si c'est votre façon d'aimer, je vous prie de me haïr. DON PEDRE. Vous êtes aujourd'hui dans une humeur désobligeante, et je pardonne ces paroles au chagrin où vous pouvez être de vous être levée matin.

SCÈNE VIII.

DON PEDRE, ISIDORE, HALI, habillé en Turc, faisant plusieurs révérences à don Pèdre.

DON PEDRE. Trève aux cérémonies. Que voulez-vous?
HALI, se mellant entre don Pèdre et Isidore.

se tourne vers Isidore à chaque parcle qu'il dit à don Pèdre, et lui fait des signes pour lui faire connoître le dessein de son maître.)

Signor (avec la permission de la signore), je vous dirai (avec la permission de la signore) que je viens vous trouver (avec la permission de la signore), pour vous prier (avec la permission de la signore) de vouloir bien (avec la permission de la signore).......

DON PEDRE. Avec la permission de la signore, passez un peu de ce

côté.

(Don Pedre se met entre Hali et Isidore.)

HALI. Signor, je suis un virtuose.
DON PEDRE. Je n'ai rien à donner.

HALI. Ce n'est pas ce que je demande. Mais, comme je me mêle un peu de musique et de danse, j'ai instruit quelques esclaves qui voudroient bien trouver un maitre qui se plût à ces choses; et comme je sais que vous êtes une personne considérable, je voudrois vous prier de les voir et de les entendre, pour les acheter, s'ils vous plaisent, ou pour leur enseigner quelqu'un de vos amis qui voulût s'en accommoder.

ISIDORE. C'est une chose à voir, et cela nous divertira. Faites-lesnous venir.

HALI. Chala bala... Voici une chanson nouvelle, qui est du temps. Écoutez bien. Chala bala.

SCÈNE IX.

DON PÈDRE, ISIDORE, HALI, ESCLAVES TURCS.

UN ESCLAVE, chantant, à Isidore.

D'un cœur ardent, en tous lieux,

Un amant suit une belle;

Mais d'un jaloux odieux
La vigilance éternelle

Fait qu'il ne peut que des yeux
S'entretenir avec elle.

Est-il peine plus cruelle

Pour un cœur bien amoureux ?
(A don Pêdre.)

Chiribirida ouch alla,

Star bon Turca,

Non aver danara :

Ti voler comprara?
Mi servir à ti,
Se pagar per mi;
Far bona cucina,
Mi levar matina,
Far boller caldara;
Parlara, parlara,
Ti voler comprara1?

PREMIÈRE ENTRÉE DU BALLET.

(Danse des esclaves.)

L'ESCLAVE, à Isidore.

C'est un supplice, à tous coups,

Sous qui cet amant expire;
Mais si, d'un œil un peu doux,
La belle voit son martyre,

Et consent qu'aux yeux de tous

Voici le sens de ce couplet: « Je suis bon Turc, je n'ai point d'argent. Voulez-vous « m'acheter? je vous servirai, si vous payez pour moi. Je ferai une bonne cuisine; je me <lėverai matin; je ferai bou ́llir la marmite. Parlez, parlez, voulez-vous m'acheter? » (A.)

Pour ses attraits il soupire,
Il pourroit bientôt se rire
De tous les soins du jaloux.
(A don Pèdre.)
Chiribirida ouch alla,

Star bon Turca,
Non aver danara :
Ti voler comprara?
Mi servir à ti,

Se pagar per mi;
Far bona cucina,
Mi levar matina,
Far boller caldara.
Parlara, parlara,

Ti voler comprara?

SECONDE ENTRÉE DU BALLET.

(Les esclaves recommencent leur danse)

DON PEDRE chante.

Savez-vous, mes drôles,
Que cette chanson
Sent, pour vos épaules,
Les coups de bâton?
Chiribirida ouch alla.
Mi ti non comprara,
Ma ti bastonara
Si ti non andara :
Andara, andara,

O ti bastonara '.

Oh! oh! quels égrillards! (A Isidore.) Allons, rentrons ici : j'ai changé de pensée; et puis, le temps se couvre un peu. (A Hali qui paroit encore.) Ah! fourbe, que je vous y trouve !

HALI. Hé bien! oui, mon maitre l'adore. Il n'a point de plus grand desir que de lui montrer son amour; et, si elle y consent, il la prendra pour femme.

don pèdre. Oui, oui, je la lui garde.

HALI. Nous l'aurons malgré vous.

DON PEDRE. Comment! coquin...

HALI. Nous l'aurons, dis-je, en dépit de vos dents.

Ce couplet signifie : « Je ne t'achèterai pas; mais je te bâtonnerai; si tu ne t'en vas

* pas. Va-t'en, va-t'en, ou je te bâtonnerai.» (A.)

DON PEDRE. Si je prends...

HALI. Vous avez beau faire la garde, j'en ai juré, elle sera à nous. DON PÈDRE. Laisse-moi faire, je t'attraperai sans courir.

HALI. C'est nous qui vous attraperons. Elle sera notre femme, la chose est résolue. (Seul.) Il faut que j'y périsse, ou que j'en vienne à bout.

SCÈNE X.

ADRASTE, HALI, DEUX LAQUAIS.

HALI. Monsieur, j'ai déja fait quelque petite tentative; mais je... ADRASTE. Ne te mets point en peine ; j'ai trouvé, par hasard, tout ce que je voulois; et je vais jouir du bonheur de voir, chez elle, cette belle. Je me suis rencontré chez le peintre Damon, qui m'a dit qu'aujourd'hui il venoit faire le portrait de cette adorable personne; et, comme il est depuis long-temps de mes plus intimes amis, il a voulu servir mes feux, et m'envoie à sa place, avec un petit mot de lettre pour me faire accepter. Tu sais que, de tout temps, je me suis plu à la peinture, et que parfois je manie le pinceau, contre la coutume de France, qui ne veut pas qu'un gentilhomme sache rien faire; ainsi j'aurai la liberté de voir cette belle à mon aise. Mais je ne doute pas que mon jaloux fâcheux ne soit toujours présent, et n'empêche tous les propos que nous pourrions avoir ensemble; et, pour te dire vrai, j'ai, par le moyen d'une jeune esclave, un stratagème pour tirer cette belle Grecque des mains de son jaloux, si je puis obtenir d'elle qu'elle y consente.

HALI. Laissez-moi faire, je veux vous faire un peu de jour à la pouvoir entretenir. Il ne sera pas dit que je ne serve de rien dans cette affaire-là. Quand allez-vous?

ADRASTE. Tout de ce pas, et j'ai déja préparé toutes choses.
HALI. Je vais, de mon côté, me préparer aussi.

ADRASTE. Je ne veux point perdre de temps. Holà! Il me tarde que je ne goûte le plaisir de la voir.

SCÈNE XI.

DON PÈDRE, ADRASTE, DEUX LAQUAIS.

DON PEDRE. Que cherchez-vous, cavalier, dans cette maison?
ADRASTE. J'y cherche le seigneur don Pèdre.

DON PÈDRE. Vous l'avez devant vous.

ADRASTE. Il prendra, s'il lui plaît, la peine de lire cette lettre.

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