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frère de Charles, parle de cette affaire en termes pompeux, avec une fierté visible; et cela est d'autant plus important que ce chroniqueur, comme ses patrons, ne porte aux choses ecclésiastiques qu'un intérêt des plus médiocres.

Le pape Zacharie, soit en personne, soit par l'intermédiaire de saint Boniface, fut assez souvent en relations avec Pépin et Carloman. Mais il ne s'agissait entre eux que des affaires ecclésiastiques de France, de la mission germaine et de la réforme intérieure. Jamais il n'est question des Lombards et de leurs querelles avec les Romains. Zacharie se trouvait en situation de résoudre par lui-même les difficultés de cet ordre ; il n'implora pas l'intervention des Francs dans les affaires de l'Italie. Au contraire, ce furent les Francs qui le mêlèrent à leurs propres questions politiques. Avant de franchir le fameux pas et de substituer à l'ancienne race royale la famille des parvenus austrasiens, on crut devoir consulter le pape et s'autoriser de son approbation1.

Cet événement suffit à montrer combien était imposante, aux yeux des Francs, la majesté du pontife de Rome. En ce qui regarde plus spécialement la nouvelle dynastie, c'était un service inappréciable. Il était encore tout récent quand les événements mirent le Étienne II dans la nécessité de s'en prévaloir.

pape

1. Contin. de Fréd., c. 33 : « Una cum consilio et consensu omnium Francorum, missa relatione ad sede apostolica, auctoritate praecepta, praecelsus Pippinus electione totius (sic) Francorum, in sedem regni cum consecratione episcoporum et subiectione principum, una cum regina Bertradane, ut antiquitus ordo deposcit, sublimatur in regno. »> - Clausula de Pippino : « Pippinus rex pius per auctoritatem et imperium s. recordationis domni Zachariae papae et unctionem s. chrismatis, per manus beatorum sacerdotum Galliarum et electionem omnium Francorum... in regni solio sublimatus est. » — Le L. P. ne parle pas de cela, parce que la vie de Zacharie s'y interrompt avant le moment où il dut en être question.

I

LE TEMPS DU ROI PÉPIN

Venons maintenant au détail des faits et considérons d'abord ce qui s'est passé depuis l'avènement d'Étienne II (26 mars 752) jusqu'à son retour à Rome, en octobre 754, après la première campagne de Pépin en Italie. Les documents sont peu nombreux; il n'y en a aucun de source byzantine ou lombarde; du côté romain nous avons la Vie d'Étienne II, dans le Liber pontificalis; c'est la meilleure pièce du dossier; le biographe paraît avoir accompagné le pape en France: On peut y joindre deux lettres d'Étienne II, adressées en 753 à Pépin et aux ducs francs2. Du côté franc il n'y a guère que le continuateur de Frédégaire. On voit que les parties dont les droits ou les espérances furent sacrifiés ne sauraient être entendues; les gagnants ont seuls la parole. Il convient, en bonne justice, de tenir compte de cette circonstance.

Le roi Astolphe est maître de Ravenne et de tout le territoire impérial entre le Pô, l'Adriatique et l'Apennin ; il a même conquis Gubbio au delà des cols. Pérouse, Todi, Ameria lui ont échappé, ainsi que le duché de Rome. Aucun texte ne nous renseigne sur les circonstances de cette conquête ; cependant il est sûr qu'elle avait précédé le mois de juillet 7513, et qu'elle ne l'avait précédé que de

1. Je ne veux pas encombrer de notes le bas de ces pages. D'une manière générale je me réfère au Liber pontificalis et aux notes que j'y ai jointes dans mon édition. A cette source si importante, quand elle coule, il faut joindre les renseignements fournis par le Codex Carolinus (Jaffé, Bibl., t. IV; Mon. Germ., Epist., t. III, pp. 469 sqq.), où sont contenues la plupart des lettres pontificales relatives à ces événements. Les monographies modernes sont trop nombreuses pour que j'aie l'idée même de les cataloguer. Il s'en faut d'ailleurs que je les aie toutes lues. 2. JAFFE, 2312, 2313.

3. Neues Archiv, t. III, p. 276

peu. Il menaçait le duché, lorsque le pape Etienne, à peine installé, parvint à négocier avec lui une paix qui devait durer quarante ans. Ses envoyés furent le diacre Paul, son propre frère, et le primicier des notaires, appelé Ambroise. On était au mois de juin. L'automne suivant, la trêve est rompue; on ne sait sous quel prétexte. Le biographe pontifical se borne à accuser le roi de parjure. Cependant les hostilités ne s'ouvrent pas. Astolphe se borne à réclamer des habitants de Rome un tribut personnel, à raison d'un sou d'or par tête; il se propose, en outre, d'étendre sa juridiction» sur Rome et ses dépendances. Ce n'est pas tout à fait l'annexion, c'est un protectorat onéreux. Les Lomains sont consternés. Le pape, ne trouvant pas opportun d'envoyer de nouveau des négociateurs choisis dans son clergé, dépêche au roi les abbés du Mont Cassin et de Saint-Vincent-de-Vulturne, tous deux sujets lombards. De tels ambassadeurs ne pouvaient évidemment faire valoir que des motifs religieux. Astolphe demeura insensible; les moines furent renvoyés dans leurs couvents, avec ordre de ne point passer par Rome.

La situation devenait grave: les Romains et le Pape étaient menacés chez eux et de très près. Ils ne songeaient guère, on peut le croire, à l'exarchat disparu, tout préoccupés qu'ils étaient de leur propre danger. A Constantinople il n'en était pas ainsi. On y était incomplètement renseigné sur les changements à vue qui s'opéraient en Italie et l'on s'imaginait bonnement qu'avec un peu de diplomatie on parviendrait à se faire rendre les provinces annexées. Un haut fonctionnaire, le silentiaire Jean, arriva à Rome, chargé d'une mission pour le roi des Lombards, à qui il devait remettre une lettre impériale. Une autre lettre invitait le Pape à s'employer en faveur de cette ambassade. Étienne chargea son frère Paul d'accompagner le silentiaire auprès d'Astolphe. Le roi était à Ravenne. Il répondit d'une façon évasive, mais il députa à l'empereur un

Revue d'Histoire et de Littérature religieuses. No 2.

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ambassadeur .ombard, que le silentiaire dut ramener avec lui. En repassant par Rome, l'envoyé byzantin informa le pape de l'échec de sa mission. Étienne lui donna des lettres pour l'empereur, où il lui exposait encore une fois la situation et le pressait d'intervenir efficacement.

L'hiver vint; plus on allait, plus l'horizon devenait sombre. On colportait les bruits les plus sinistres. Astolphe, disait-on, ne parlait de rien moins que de faire couper la tête à tous les Romains. Le pape multipliait les exhortations, les prières, les litanies. On portait en procession les «< mystères» les plus sacrés, en particulier la grande image « achéropite » du Sauveur qui est encore conservée au Latran; à la croix stationale était attaché l'exemplaire du traité rompu par le terrible roi des Lombards.

Celui-ci, cependant, se bornait encore à des menaces. Le seul fait de guerre que l'on signale, c'est l'occupation du château de Ceccano, centre d'une exploitation rurale assez importante, qui appartenait au patrimoine ecclésiastique. Le lieu était tout près de la frontière sud, du côté du duché de Bénévent. Cette « usurpation » paraît avoir été isolée; elle fut peut-être l'œuvre d'un subalterne. Astolphe attendait alors le retour de l'ambassadeur qu'il avait expédié à Constantinople.

Pendant que celui-ci revenait, le pape commençait son évolution et entamait des négociations avec le roi des Francs. Un pèlerin lui servit d'intermédiaire; tout se passa dans le plus grand secret. Nous n'avons plus ces premières lettres; d'après ce qu'en dit le Liber pontificalis on peut conjecturer qu'il n'y était question que de la province romaine et de la nécessité de la soustraire au joug lombard. Pépin répondit favorablement et envoya coup sur coup deux personnes de confiance, Droctigang, abbé de Jumièges, et un autre de ses familiers. Ceux-ci retournèrent bientôt en France, avec des instructions orales,

dont la substance était que le pape désirait se rendre auprès de Pépin; qu'il priait celui-ci de l'envoyer prendre et d'assurer son passage par le royaume lombard. Deux lettres, emportées par l'abbé de Jumièges, ont été insérées dans le Codex Carolinus; elles sont conçues en termes très généraux et se bornent à invoquer, pour défendre les intérêts de l'apòtre Pierre, la bonne volonté du roi et des autres chefs de la nation franque.

Pépin, entrant dans les vues du pape, lui dépêcha deux grands personnages, Chrodegang, évêque de Metz et le duc Autchaire, si célèbre dans les légendes sous le nom d'Oger. Quand ces envoyés arrivèrent à Rome, ils trouvèrent Étienne tout prêt à se mettre en route. Le silentiaire Jean et l'ambassadeur lombard étaient revenus de Constantinople; le premier apportait au pape l'ordre de se rendre en personne auprès d'Astolphe pour négocier la restitution de Ravenne. Déjà le pape avait obtenu un saufconduit pour se rendre à Pavie. Il n'y avait plus qu'à se mettre en route. Tout le monde partit ensemble, le 14 octobre 753. A Saint-Pierre le pape prit congé de son peuple, auquel s'étaient joints beaucoup d'habitants des cités voisines. Sa suite se composait d'un certain nombre de clercs de haut rang; il emmenait aussi des représentants de l'aristocratie militaire, ex militiae optimatibus. Le légat impérial était aussi de la caravane, avec les deux envoyés francs.

Autchaire prit les devants et parvint le premier à Pavie; Astolphe, informé de l'arrivée du pape, envoya à sa rencontre et le fit prier de ne pas dire le moindre mot de l'exarchat et des autres possessions impériales (reipublicae loca) dont lui ou ses prédécesseurs avaient fait la conquête. Le pape, dont le courage était raffermi par la présence des ambassadeurs francs, déclara qu'il parlerait quand même. Il parla en effet, avec larmes et présents; le légat impérial parla aussi; l'empereur lui-même parla par

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