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Si la simple espérance, quelque bien fondée qu'elle fût en apparence, d'inquiéter ou de réduire un ennemi en interceptant le commerce neutre des articles de provisions de bouche (qui en eux-mêmes ne sont pas plus de contrebande que les marchandises ordinaires) destinés aux ports non assiegés ni bloqués, autorisait cette interruption, il s'ensuivrait qu'un belligérant pourrait en tout temps empêcher, sans siége ni blocus, toute espèce de commerce avec l'ennemi; puisqu'en tout temps il y a lieu de croire qu'une nation ayant peu ou point de vaisseaux pourrait être plongée dans une détresse si complète, si l'on empêchait les autres nations de commercer avec elle, qu'un pareil empêchement serait un puissant moyen de la réduire. Le pincipe est de nature si large, qu'il est impossible d'y poser des limites. Il n'y a pas de distinction solide, sous ce point de vue, du principe entre des provisions et mille autres articles. Il faut que l'homme se vêtisse, comme il faut qu'il se nourrisse, et même la privation des commodités de la vie est vivement sentie par ceux à qui l'habitude les a rendues récessaires. Une nation doit être affaiblie et appauvrie en proportion qu'elle peut être privée de ses relations commerciales accoutumées avec les

autres États; et s'il peut être permis à un belligérant de violer la liberté du commerce neutre à l'égard d'un article non de contrebande in se, dans l'espoir d'inquiéter l'ennemi ou de le réduire par la saisie de cet article et son interruption à ses ports, pourquoi, sur le même espoir d'incommodité pour l'ennemi, ne pas couper autant que possible par des captures toute communication avec lui, et frapper ainsi en même temps avec effet son pouvoir et ses ressources?

Quant au 18 article du traité de 1791, entre les ÉtatsUnis et la Grande-Bretagne, il devait évidemment laisser la question où il l'avait prise. Les deux parties contractantes ne pouvant tomber d'accord sur la définition des cas

dans lesquels les provisions de bouche et les autres articles qui généralement ne sont pas de contrebande devraient étre regardés comme tels, adhérèrent conjointement à ce qui va suivre. (Le gouvernement américain insistait pour que la qualité de contrebande fût attachée aux articles destinés à une place réellement assiégée, bloquée, ou envahie, tandis que le gouvernement anglais soutenait qu'on devait l'étendre à tous les cas où il y avait espoir de réduire l'ennemi par la famine.) «Toutes les fois que des articles devenant ainsi contrebande d'après le droit des gens existant, seront pour cette raison saisis, ces susdits articles ne seront pas confisqués,» mais les propriétaires devront être complètement indemnisés de la manière établie dans l'article. Quand le droit des gens existant au moment où le cas se présente, prononce les articles de contrebande, on peut par cette raison les saisir; quand il prononce le contraire, les articles ne doivent pas être saisis. Chaque partie était ain'i laissée aussi libre que l'autre de décider si dans le cas donné le droit des gens les prononce ou non de contrebande, et aucune n'était forcée de se gouverner par l'opinion de l'autre. Si l'une des parties, sous le faux prétexte d'être autorisée par le droit des gens, faisait une saisie, l'autre était parfaitement libre de la contester, d'en appeler à ce même droit des gens, et, si elle le jugeait à propos, de recourir aux représailles et à la guerre.

Quand au second fondement sur lequel on justifiait l'ordonnance, la nécessité (la Grande-Bretagne, comme on l'alléguait, étant lors de sa promulgation menacée d'une disette des articles qu'on avait ordonné de saisir), il fut répondu qu'on ne pouvait nier que l'extrême nécessité ne dût justifier une pareille mesure., Il importait seulement de s'assurer que la nécessité existât alors, et de quelle manière le droit qu'elle donnait pût être mis à exécution.

Grotius, et les autres jurisconsultes sur ce sujet, s'accordent à déclarer qu'il faut que la nécessité soit réelle et pressante, et que même alors elle ne confère pas le droit de s'approprier le bien d'autrui avant que tous les autres moyens praticables de secours n'aient été tentés inutilement. On ne pouvait douter qu'il n'y eût d'autres moyens praticables d'éviter la calamité appréhendée par la Grande-Bretagne. L'offre d'un marché avantageux dans les différents ports du royaume était un expédient évident pour y attirer les produits des autres nations. Pour un commerce profitable les marchands n'ont pas besoin d'être forcés; ils enverront leurs cargaisons où l'intérêt les invite; et si ce stimulant leur arrive à temps, il produira toujours l'effet qu'on s'est proposé. Mais tant que la Grande-Bretagne offrait moins pour les nécessités de la vie que ce qui pouvait être obtenu de son ennemi, ne devait-on pas s'attendre à voir les vaisseaux neutres rechercher les ports de cet ennemi, et passer devant les siens sans y entrer. Pouvait-on dire que, d'après la simple appréhension (non d'après la véritable expérience) de disette, elle était autorisée à avoir recours aux moyens violents de saisir des provisions appartenant aux neutres, sans essayer les moyens d'approvisionnements compatibles avec les droits des autres et non incompatibles avec le besoin? Après que cette ordonnance eut été rendue et mise à exécution, le gouvernement anglais fit ce qu'il aurait dû faire auparavant: il offrit une prime sur l'importation des articles dont on manquait. La conséquence fut que les neutres vinrent avec ces articles, au point qu'à la fin la place fût encombrée. Le même arrangement, s'il eût été donné plus tôt, aurait rendu totalement inutile l'ordonnance de 1795.

Sur ces fondements une pleine indemnité fut accordée par les commissaires, dans le 7e article du traité de 1794, aux propriétaires des vaisseaux et cargaisons saisis en

vertu des ordonnances, tant pour la perte d'un marché
que pour les autres conséquences de leur détention 1.
Le transport des militaires ou des dépêches au service
de l'ennemi est de même nature que le transport des biens
de contrebande. Un vaisseau neutre qui est employé au
transport des forces ennemies est sujet à confiscation s'il
est capturé par le belligérant adverse. Le fait d'avoir
été violemment forcé d'entrer au service de l'ennemi
ne l'exempterait pas. Le maître ne peut avoir la permis-
sion d'affirmer qu'il était agent involontaire. Un acte de
violence exercé par une puissance belligérante sur un
vaisseau ou une personne neutre dût-il être considéré
comme justification d'un acte contraire au devoir reconnu
du caractère neutre, il y aurait un terme à toute prohibi-
tion d'après le droit des gens de conduire de la contre-
bande ou de s'engager dans tout autre acte hostile. Si
quelque perte est essuyée dans le service, le neutre qui
accède à de pareilles demandes de la part de l'ennemi
doit chercher réparation auprès du gouvernement qui lui
a imposé cette contrainte 2. Quant au nombre de personnes
militaires nécessaire pour assujettir le vaisseau à confisca-
tion, il est difficile de le déterminer, puisqu'un nombre
très-petit de personnes de haute qualité et d'un caractère
éminent peut être de bien plus d'importance qu'un nombre
beaucoup plus grand de personnes de condition inférieure.
Amener un général expérimenté, en de certaines circons-
tances, pourrait être un acte bien plus nuisible que le
transport de tout un régiment. Les conséquences d'un pareil
secours sont plus grandes, et alors le belligérant a un droit
plus légitime de le prévenir et le punir. Et il n'est pas évi-
dent, dans le jugement des cours de prises, que le maître
soit ignorant de la nature du service dans lequel il est

1 Art. 7 du traité de 1784. MS. Opinion du M. W. Pinkney, cas du Neptune.

2

ROBINSON'S Admiralty Reports, vol. IV, p. 256. The Carolina.

§ 25. Transport de personnes militaires et de dépêches au service de l'ennemi.

engagé. On juge suffisant qu'il y ait eu un préjudice résultant pour le belligérant de l'emploi où le vaisseau est trouvé. Si la contrainte est employée, elle opère comme la violence; et si réparation doit être cherchée contre quelqu'un, ce doit être contre ceux qui ont, par l'emploi de la force ou de la fraude, exposé la propriété au danger. Autrement on se servirait constamment de pareils moyens de transport, et il serait presque impossible, dans le plus grand nombre des cas, de prouver la connaissance de cause de l'offenseur immédiat 1.

Le transport frauduleux des dépêches de l'ennemi exposera aussi le vaisseau neutre dans lequel elles sont transportées à capture et à confiscation. Les conséquences d'un pareil service sont sans limites, elles s'étendent infiniment au delà de l'effet de toute contrebande qui puisse être introduite. «Le transport de deux ou trois cargaisons de matériel militaire,» dit sir W. Scott, «est nécessairement un secours de nature limitée; mais dans la transmission de dépêches peut être remis le plan entier d'une campagne qui détruise tous les plans de l'autre belligérant dans cette partie du monde. Il est vrai, comme on l'a dit, qu'une seule balle a pu enlever Charles XII, et produire, les effets les plus désastreux dans une campagne. Mais c'est là une conséquence si éloignée et si accidentelle, qu'en regard des événements de l'humanité, c'est une imperceptible quantité dont on ne tient aucun compte; et la pratique en conséquence a admis que ce n'est que sur des quantités considérables que le délit de contrebande est établi. Le cas de dépêches est très-différent: il est impossible de limiter une lettre à des proportions. tellement petites qu'elle ne soit capable de produire les conséquences les plus importantes. C'est donc un service qui, à quelque degré qu'il existe, ne peut être considéré

1 ROBINSON'S Admiralty Reports, vol. VI, p. 430. The Orozembo.

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