Images de page
PDF
ePub

HAUSSE OU BAISSE DES DENRÉES.-TENTAtive de délit. Celui qui, par des déclarations fausses ou tout autre moyen frauduleux, a cherché à opérer la hausse ou la baisse des denrées, s'est-il rendu coupable du délit prévu par l'art. 419 du Code pénal, si, d'ailleurs, la hausse ou la baisse qu'il cherchait à effectuer, n'a point eu lieu réellement? Rés. nég.

Ainsi jugé par l'arrêt suivant, dont les motifs nous dispensent de tout exposé préliminaire.

ARRET.

LA COUR,- sur les conclusions de M. Giraud-Duplessis, avocat général; l'art. 3 du Code pénal portant: « Les tentatives de délits ne sont considérées comme » délits, que dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi ; » et l'art. 419 du même Code qui détermine les peines encourues par « ceux qui, par des faits faux..... » ou qui, par des voies ou moyens frauduleux quelconques, auront opéré la hausse ou la baisse du prix des denrées, ou, etc.......;-ATTENDU que l'arrêt attaqué déclare qu'en alléguant avoir vendu soixante-quinze francs le sac de blé qu'il n'avait vendu que soixantedix, Desmortreux n'avait pu avoir d'autre dessein que de tendre à élever la cherté du grain, en faisant fixer le cours du prix du blé au moins à ce prix, et à empêcher qu'il ne descendit au-dessous, et qu'il ne dit pas qu'il y ait eu hausse effective dans le prix du blé par suite de la fausse allégation dudit Desmortreux; que c'est donc uniquement pour avoir fait une fausse déclaration dans le dessein de tendre à élever la cherté du prix du grain, que le réclamant est jugé coupable du délit mentionné aux art. 419 et 420 du Code pénal; mais que le premier de ces articles déclare punissables ceux qui, par des faits faux......, ou qui, par des voies ou moyens frauduleux quelconques, auront opéré la hausse ou la baisse du prix des denrées, ou, etc., et qu'il ne parle pas de ceux qui auront tenté d'opérer cette hausse ou cette baisse; que Desmontreux qui, par une fausse déclaration, a eu dessein de tendre à opérer, mais qui n'a point été reconnu coupable d'avoir opéré réellement d'augmentation dans le prix du blé, au marché de Falaise du 25 juin, n'a donc pas commis le délit des art. 419 et 420 du Code pénal; que, quand sa blámable intention de faire augmenter le prix du grain, aurait été accompagnée des circonstances énoncées dans l'art. 2 de ce Code, il n'aurait donc toujours été coupable que d'une tentative de ce délit ; que l'art. 3 du Code pénal disant que les tentatives de délits ne seront considérées comme délits que dans les cas déterminés par une loi spéciale; et ni ce Code, ni aucune autre loi, n'ayant mis le délit de l'art. 419 au rang de ceux dont la tentative est considérée comme le délit consommé, il en résulte, par une conséquence nécessaire, que, même en supposant au fait déclaré coustant par la Cour, le caractère d'une tentative du délit de l'art. 419, le réclamant ne pourait, à raison de ce fait, être soumis aux peines desdits art. 419 et 420; que l'arrêt attaqué n'a donc pu prononcer sa condamnation qu'en violant formellement l'art. 3 du Code pénal, et en faisant une fausse application manifeste desdits art. 419 et 420 du même Code ;-CASSE."

Du 17 janvier 1818.-Section criminelle.-M. le baron Barris, président. -M. le conseiller Aumont, rapporteur. M. Le Roy de Neufvillette,

avocat.

[ocr errors]

INCOMPÉTENCE. ACTE D'APPEL.PLAIDOIRIE. PRESCRIPTION.FORCE MAJEURE. LETTRES DE CHANGE. Lorsqu'un moyen d'incompétence personnelle, énoncé dans l'acte d'appel, n'a pas été reproduit à l'audience dans la plaidoirie de l'avocat de l'appelant, et lorsque, au contraire, cet avocat, assisté de l'avoué,

s'est

borné à discuter le fond, le moyen d'incompétence a-t-il été couvert par ce silence, en telle sorte que la Cour royale ait été dispensée de s'en occuper? Rés. aff.

La prescription quinquennale établie par l'art. 189 du Code de commerce, à l'égard des actions relatives aux lettres de change et billets à ordre, est-elle empéchée par l'impossibilité des communications, en raison de la guerre, avec le lieu où le protét et les poursuites juridiques devaient

avoir lieu? Rés. aff. L'appréciation de cette exception de force majeure est-elle livrée à la prudence des magistrats, en telle sorte que leur décision sur ce point échappe toujours à la censure de la Cour de cassation? Rés. aff.

Le sieur Cavagnari, sujet du duché de Parme et intendant de M. le duc d'Abrantès, lui avait fréquemment prêté sa signature pour différentes traites considérables que le duc d'Abrantès avait eues à tirer sur le baron de Quintello, habitant de Lisbonne en Portugal, avec lequel il était en relation d'intérêts. Le duc d'Abrantès faisait les fonds de ces traites, ou acquittait à Paris celles qui y revenaient protestées.

L'une d'elles, tirée par le sieur Cavagnari, le 25 juin 1808, pour la somme de 27,069 fr. 36 c., payable à trois mois de date, n'était point revenue à remboursement.

Le 25 septembre 1808, cette traite avait passé entre les mains du sieur Von-Halle, de Hambourg, qui dit l'avoir remboursée : toutefois elle ne fut protestée que le 28 mai 1814.

Le 24 décembre de la même année, le sieur Von-Halle a fait dénoncer ce protèt au sieur Cavagnary, tireur ostensible de la traite, avec assignation devant le tribunal de commerce de Paris, pour s'y entendre condamner, même par corps, au paiement de la somme portée en la lettre de change par lui tirée, ainsi qu'aux intérêts, frais et dépens.

A cette époque, le duc d'Abrantès venait de mourir : ce décès plaçait le sieur Cavagnari dans le plus grand embarras.

Forcé de répondre à la demande formée contre lui, il proposa son déclinatoire, fondé sur ce qu'étant sujet du duché de Parme, et le sieur VonHalle, citoyen de Hambourg, les tribunaux français ne pouvaient connaître de la contestation élevée entre deux parties également étrangères à la France.

Au fond, le sieur Cavagnari soutint que l'action exercée par le sieur VonHalle était prescrite, aux termes de l'art. 189 du Code de commerce, attendu que la lettre de change dont le remboursement était réclamé, échue le 25 septembre 1808, n'avait été protestée que le 28 mai 1814, c'est-à-dire plus de cinq ans après son échéance.

Le 4 juin 1815, jugement qui, sans s'occuper de l'exception d'incompétence, mais uniquement du moyen de prescription, prononce en ces termes: «Attendu que la lettre de change dont il s'agit n'a point été acceptée, et que le sieur Cavagnari, tireur, ne justifie en aucune manière en avoir fait la provision, le tribunal, sans s'arrêter aux moyens plaidés à cet égard, ordonne que, dans le délai de quatre mois, le sieur Cavagnari sera tenu de

[ocr errors]

justifier au tribunal que la provision de la lettre de change a été réellement faite; faute par lui de ce faire dans le délai ci-dessus et icelui passé, dès à présent comme pour lors et sans qu'il en soit besoin d'autre, condamne le sieur Cavagnari, etc. »

Appel de la part du sieur Cavagnari; il reproduit dans son acte d'appel le moyen d'incompétence qu'il avait présenté en première instance, mais à J'audience, son avocat se livre exclusivement à la discussion du fond, il s'attache seulement à établir la prescription.

Le 15 février 1816, arrêt de la Cour royale de Paris, ainsi conçu : « Attendu que la prescription de cinq ans contre les lettres de change ne court qu'à compter du jour du protêt, lequel, dans l'espèce, n'a pu être fait plus tôt, vu l'impossibilité des communications, met l'appellation au néant, ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet. »

Le sieur Cavagnari a déféré cet arrêt à la censure de la Cour de cassation el a fondé son pourvoi sur les deux moyens dont voici l'analyse :

Premier moyen. Violation des principes reçus en matière de juridiction et de compétence; violation de l'art. 169 du Code de procédure civile.

C'est un principe invariable et consacré par la jurisprudence de tous les temps, dit le demandeur en cassation, que les tribunaux français ne sont compétens pour connaître des contestations qui s'élèvent entre étrangers, qu'autant que les parties contendantes consentent à soumettre leur différend à la juridiction française; car alors inter consentientes fit juridictio.

Dans l'espèce, le sicur Cavagnari, loin de consentir à être jugé par les tribunaux français, a au contraire formellement décliné leur compétence: son déclinatoire devait donc être nécessairement admis. A la vérité, la Cour royale de Paris ne l'a pas explicitement rejeté; mais en statuant au fond, elle a implicitement proserit le moyen d'incompétence, et n'en a pas moins violé les principes: elle a même contrevenu en outre à l'art. 169 du Code de procédure civile, qui, en prescrivant aux parties de former leur demande en renvoi préalablement à toutes autres exceptions, impose évidemment aux tribunaux l'obligation d'y statuer avant de s'occuper du fond.

Vainement, la Cour royale de Paris a-t-elle cru pouvoir se dispenser d'y statuer, en énonçant dans le récit des faits que l'avocat du sieur Cavagnari, sans s'occuper du prétendu moyen d'incompétence glissé dans l'acte d'appel, se livra franchement à la discassion du point de droit.

Une telle énonciation n'est pas suffisante pour justifier le silence de l'arrêt attaqué sur l'exception d'incompétence: cette exception étant proposée dans l'acte d'appel, mettait les juges dans la nécessité d'y statuer; peu importait que l'avocat se fût particulièrement livré à la discussion des autres moyens de sa cause; il n'y avait que des conclusions formelles qui pussent changer celles prises dans l'exploit introductif d'appel.

Deuxième moyen. Fausse interprétation de l'art. 189 du Code de com

merce.

La Cour royale a pensé pouvoir refuser d'admettre la prescription invoquée par le sieur Cavagnari, sur le fondement que le protêt de la lettre de

change n'a pu être fait plus tôt, vu l'impossibilité des communications, occasionnée par la guerre. Mais la guerre, la peste, et l'impossibilité des communications qui en résulte, ne sont pas des motifs capables d'empêcher le cours de la prescription; c'est ce que disent tous les auteurs. (Voir le Répertoire, au mot Prescription, sect. 1.re, S. 7, art. 2, question 10.)

De nos jours, il a fallu une loi expresse, celle du 22 avril 1793, pour suspendre la prescription, pendant la guerre civile dans les départemens de l'ouest.

Le Code de commerce vient lui-même à l'appui du principe: par son article 166, il dispose qu'en temps de guerre maritime, les délais fixés pour les poursuites d'outre-mer seront doublés; mais il ne va pas plus loin, il ne parle pas des effets de la guerre sur le continent; et dans l'art. 189, il ne répète pas même l'exception portée dans l'art. 166.

Ainsi, quelle qu'ait pu être la difficulté des communications avec le Portugal, à l'époque de l'échéance de la lettre de change dont il s'agit, elle n'a pu soustraire le porteur de cette lettre de chauge à la prescription quinquennale qu'il a encourue (1).

ARRÊT.

LA COUR,-sur les conclusions de M. Cahier, avocat général;-ATTENDU, sur le premier moyen, que l'arrêt attaqué constate que l'exception d'incompétence n'a point fait la matière de la plaidoirie sur l'appel; que, sans s'en occuper, l'avocat du demandeur, assisté de son avoué, ne s'est livré qu'à la discussion du point de droit, et que cette exception n'a point été mise en question;-ATTENDU, sur le deuxième moyen, que l'application de l'exception de force majeure étant, suivant les cas et les circonstances, abandonnée à la prudence des juges, l'arrêt attaqué n'a violé ni pu violer aucune loi, en décidant, au cas particulier, que le protêt de la lettre de change dont il s'agit n'a pu être fait dans le délai, vu l'impossibilité des communications;-REJETTE.

Du 5 août 1817.-Section des requêtes.-M. le baron Henrion-de-Pensey, président.-M. le conseiller Lepicard, rapporteur.-M. Champion, avocat.

LETTRE DE CHANGE.-LETTRE D'AVIS.-USAGE.-DÉPENS.

La violation d'un usage de commerce, non consacré formellement par la loi, donne-t-elle ouverture à cassation? Rés. nég.

Spécialement: Lorsqu'une lettre de change a été tirée par ordre d'autrui, le tiré qui, nonobstant l'usage contraire, a acquitté cette lettre de change sans avoir reçu aucun avis de celui pour le compte duquel elle a

(1) Sans doute la circonstance de la guerre et même celle de la peste ne sont pas suffisantes par elles-mêmes pour empêcher ou suspendre la prescription; mais lorsqu'il en est résulté une impossibilité absolue de communications, que cette impossibilité a été reconnue et constatée par un arrêt inattaquable sous ce rapport, alors on rentre sous l'empire de la règle contrà non valentem agere non currit præscriptio, et il faut bien décider que la prescription a été empêchée ou suspendue tant que la partie à qui on l'oppose n'a pas pu agir pour s'y soustraire.

été tirée, est-il néanmoins fondé à lui en répéter le montant, encore que celui-ci n'ait aucunement profité des fonds? Rés. aff.

Suffit-il dans ce cas, pour que le donneur d'ordre soit lié, que le tireur ait reçu de lui le mandat de tirer la lettre de change, et que ce mandat n'ait pas été expressément révoqué par un avertissement donné au tire? Rés. aff.

Dans le cas où les parties succombent respectivement sur quelques chefs, l'application des dépens est-elle entièrement laissée à la prudence des tribunaux? Rés. aff.

Le sieur Gazay, négociant à Nismes, ayant à payer une somme de 12,000 fr. au domicile du sieur Michel, à Marseille, écrivit par anticipation à ce dernier de tirer sur le sieur Champin, à Lyon, pour le compte de lui Gazay, et jusqu'à concurrence de cette somme.

Au reçu de cette lettre, le sieur Michel se hâta de répondre au sieur Gazay que, ne trouvant pas à négocier sur Lyon, il venait de se prévaloir sur lui d'une somme de 3,272 fr., et qu'il l'invitait à lui faire promptement des remises pour le surplus.

Presque immédiatement après la réception de cette lettre, le sieur Gazay envoya au sieur Michel des effets sur Paris pour la somme de 9,000 fr., qui furent exactement payés à leur échéance ainsi que la traite de 3,272 fr.

Le sieur Gazay n'avait donné aucun avis au sieur Champin des lettres de change qui avaient dû être tirées sur lui, pour son compte, par le sieur Michel, et à cet égard il était dans la plus parfaite sécurité.

Plus tard, le sieur Gazay et le sieur Vidal, gendre et représentant du sieur Champin, entrèrent en réglement de comptes.

Le sieur Vidal portait au débit du sieur Gazay une somme de 6,000 fr., pour traites faites par Michel sur le sieur Champin, au compte du sieur Gazay.

Sur le refus du sieur Gazay d'allouer cette somme, une instance s'engagea devant le tribunal de commerce, qui « considérant que dans l'usage du commerce, on n'accepte ni on ne paie une traite tirée par un tiers pour compte d'autrui que sur l'avis de ce dernier, rejette du compte de Vidal les 6,000 fr. formant l'objet des traites de Michel.»

Sur l'appel interjeté par le sieur Vidal, la Cour royale de Nismes a infirmé ce jugement, par les motifs suivans: « Considérant en fait qu'un mandat spécial fut donné à Michel, de Marseille, de tirer sur Champin, de Lyon, pour le sieur Gazay, ainsi qu'il conste de leur correspondance; et que, d'après l'art. 1998 du Code civil, le mandant est tenu d'exécuter les engagemens du mandataire; qu'ainsi les 6,000 fr. payés par Champin, de Lyon, d'après les ordres à lui donnés par Michel, mandataire, et pour le compte de Gazay, mandant, doivent être mis à la charge de ce dernier.

Cet arrêt a été déféré à la censure de la Cour de cassation, par le sieur Gazay, qui a présenté trois moyens à l'appui de son pourvoi.

Le demandeur soutient d'abord que, suivant un usage invariable dans le commerce, celui qui a fait tirer pour son compte une lettre de change par

« PrécédentContinuer »