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En effet, nous avons déjà vu que Tu-Duc avait attendu six ans pour faire part du traité de 1874 à la Chine, et cela, non pas par devoir, mais simplement pour demander du secours. Le droit de suzeraineté implique voix délibérative dans le choix du prince, et dans aucun temps la Chine n'a été consultée lorsqu'il s'est agi de régler la succession au trône d'Annam. L'investiture même était considérée comme chose si peu importante, que les princes cochinchinois ne la demandaient souvent qu'au bout de trois ans, de cinq ans et même plus, de règne.

Tu-Duc, qui a reçu l'investiture à Hué au lieu de Hanoï, était disposé à s'en passer si les envoyés chinois ne venaient pas jusqu'à sa capitale.

Ce fameux sceau que la Chine remettait au chef de chaque nouvelle dynastie, quel usage en faisait le souverain annamite ? Il s'en servait par courtoisie, dans sa correspondance avec la Chine exclusivement; mais pour tous ses autres actes, et en particulier pour ses actes avec les puissances étrangères, il se servait du grand sceau dont nous donnons la reproduction ci-contre, dans lequel il prenait un titre égal à celui de l'empereur de la Chine. Le sceau porte en effet les caractères: Ta nam Hoang ti Tche si, c'est-à-dire : <«<Le grand sceau des empereurs du Grand-Sud. >> Les commissaires impériaux annamites ne se considèrent pas non plus comme inférieurs à leurs collègues de Chine, ainsi qu'on en pourra juger par le sceau que nous reproduisons également ci-contre et qui porte les caractères: Kin che ta tchen Kouan fang, qui veulent dire : « Sceau du ministre envoyé impérial. »

Enfin, les Annamites se sont eux-mêmes chargés de dissiper nos derniers doutes sur la nature de leurs relations avec la Chine. Dans le cours d'une conversation entre l'amiral Dupré et les ambassadeurs annamites en 1874, à Saïgon, l'amiral remarqua que, suivant les annales de leur pays,

l'Annam avait été pendant longtemps sous la protection de la Chine, le mot protection impliquant, suivant l'interprétation annamite du terme, le droit absolument despotique d'un père sur son fils. Les ambassadeurs annamites protestèrent énergiquement contre cette interprétation et déclarèrent que la cour de Hué n'avait jamais reconnu la suzeraineté de la

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Chine. L'amiral leur rappela les tributs envoyés à Pé-King; les ambassadeurs répondirent que l'Annam, étant beaucoup plus petit que la Chine, sa voisine, avait été envahi fréquemment par les armées chinoises et obligé de se soumettre contre sa volonté; qu'à des intervalles irréguliers et éloignés, les Annamites avaient envoyé des présents à Pé-King pour s'éviter des ennuis, mais qu'ils n'avaient jamais commis

d'acte qui pût être interprété comme une reconnaissance de leur soumission.

C'est exactement la définition que donne Vattel de l'État tributaire « Il n'y a pas plus de difficulté à l'égard des États tributaires, car, bien qu'un tribut payé à une puissance

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étrangère diminue quelque chose de la dignité de ces États, étant un aveu de leur faiblesse, il laisse subsister entièrement leur souveraineté. L'usage de payer tribut était autrefois très fréquent; les plus faibles se rachetaient par là des vexations du plus fort, en se ménageant à ce prix sa protection, sans cesser d'étre souverains. »

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Mais, nous dira-t-on, puisque cette soi-disant suzeraineté n'est que platonique, qu'elle n'est qu'une tradition sans importance pratique, pourquoi tout en traitant directement avec l'Annam et en lui imposant notre protectorat, ne pas laisser à la Chine la légère satisfaction de voir reconnaître la coutume? Simplement parce que d'un privilège purement honorifique, la Chine prétendait faire un droit absolu et que, s'appuyant sur une fiction, elle aurait voulu obtenir une suzeraineté réelle. Comme l'a fort bien dit le marquis Tseng, dans une conversation reproduite par le Temps, du 28 juin 1883: « La question à débattre à Chang-Haï comme à Paris est celle des droits de suzeraineté de la Chine sur l'Annam, et c'est de l'accord qui interviendra entre les deux gouvernements sur ce premier point que dépendra l'issue de toutes. les négociations ultérieures. »

Or, nous venons d'examiner quelle était la valeur de la soi-disant suzeraineté de la Chine, quelles étaient les prétentions chimériques du Céleste-Empire. La base même des négociations du marquis Ts'èng n'existait pas. C'est ce que nous voulions démontrer'.

La lettre de Ts'êng était son œuvre personnelle, moins toutefois que celle de conseillers étrangers qu'il avait près de lui. Au mois de janvier 1882, ni l'Angleterre, ni l'Allemagne ne poussaient le diplomate chinois. M. de Brandt répétait à satiété à M. Bourée que non seulement son gouvernement verrait sans déplaisir la France aller au Tong-King, mais qu'il appelait même de tous ses vœux une expédition destinée à ouvrir au commerce allemand de nouveaux et précieux débouchés, en laissant à d'autres les difficultés et les frais d'une entreprise profitable pour tous. Li Houngtchang lui-même n'apportait pas dans les négociations, l'âpreté

1. Le conflit entre la France et la Chine... par Henri Cordier. Paris, 1883, br. in-8.

de Ts'êng en qui, il redoutait avec raison un rival. Toutefois, il ne fallait plus se bercer d'illusions: l'entente était nouée entre la cour de Hué et celle de Pé-King dans une pensée de résistance contre nous; toute la contrée où nous voulions nous établir était envahie par les forces chinoises.

LES PAVILLONS NOIRS

Deux Français, MM. Courtin et Villeroi, en route pour le Yun-Nan, insultés au sortir de Bao-hà, le 8 octobre, furent attaqués par les Pavillons Noirs le 15 octobre au petit fort de Lu, situé sur la rive gauche du fleuve en face de Ngoi Nu, à 40 milles environ de Lao-kay, et un Malais à leur service fut blessé; obligés de redescendre le fleuve, les voyageurs arrivèrent le 17 à Houng Hoa, où précisément le Chef des Pavillons Noirs venait d'arriver avec une troupe assez nombreuse pour assister à une fête en l'honneur du roi; insultés là encore, ils furent obligés de fuir jusqu'à l'embouchure de la Rivière Noire d'où ils expédièrent leur blessé à Ha-noï.

au

J'ai demandé au Thuong-Bac, écrivait au Gouverneur notre chargé d'affaires à Hué, le 31 déc. 1881,... quelle décision avait été prise relativement aux « Pavillons Noirs ». Il m'a répondu qu'on allait écrire, pour dire de les renvoyer, mais que le délai fixé par nous était trop court, qu'il fallait deux mois, moins, pour régler cette affaire. Il a entrepris ensuite de justifier la présence de ces bandes au Tong-King, disant que depuis longtemps, bien avant le traité, il y avait des rebelles dans cette région. Ses explications furent aussi vagues, aussi confuses qu'inintelligibles.

Plus tard, M. Rheinart disait encore (Hué, 4 janvier 1882):

Les statistiques de la Douane, et la connaissance que nous avons des tarifs douaniers de Luu Vinh-phuoc, nous permettraient

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