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L'Ol. Si faut-il, monsieurM. Gri. Encore! tu raisonneras, ivrogne?

Ar. Il me semble, après tout, mon frère, qu'il ne raisonne pas mal; et l'on doit être bien aise d'avoir un valet raisonnable.

M. Gri. Et il me semble à moi,

M. Grichard, vieux médecin ; monsieur mon frère, que vous raiL'Olive, son valet, Ariste, frère sonnez fort mal. Oui, l'on doit de Grichard. être bien aise d'avoir un valet raisonnable, mais non pas un valet

M. Gri. Bourreau, me feras-tu raisonneur. toujours frapper deux heures à la porte?

L'Ol. Morbleu! j'enrage d'avoir

raison.

M. Gri. Te tairas-tu ?

L'Ol. Monsieur, je me ferais

L'Ol. Monsieur, je travaillais au jardin. Au premier coup de marteau j'ai couru si vite que je suis hacher; il faut qu'une porte soit tombé en chemin. ouverte, ou fermée: choisissez,

M. Gri. Je voudrais que tu te comment la voulez-vous? fusses rompu le cou, double chien ; M. Gri. Je te l'ai dit mille fois, que ne laisses-tu la porte ouverte ?coquin. Je la veux-je la-mais

L'Ol. Eh! monsieur, yous me voyez ce maraud-là, est-ce à un grondâtes hier à cause qu'elle l'é-valet à me venir faire des questait: quand elle est ouverte, vous tions? Si je te prends, traître, je vous fâchez; quand elle est fer-te montrerai bien comment je la mée, vous vous fâchez aussi ; je ne veux. Vous riez, je pense, monsais plus comment faire. sieur le jurisconsulte? M. Gri. Comment faire !· Ar. Moi? point. Je sais que Ar. Mon frère, voulez-vous les valets ne font jamais les choses bien-? comme on leur dit.

M. Gri. Oh, donnez-vous patience. Comment faire, coquin! Ar. Eh, mon frère, laissez-là ce valet, et souffrez que je vous parle de

M. Gri. Vous m'avez pourtant donné ce coquin-là—

Ar. Je croyais bien faire.

M. Gri. Oh, je croyais-? Sachez, monsieur le rieur, que je M. Gri. Monsieur mon frère, croyais n'est pas le langage d'un quand vous grondez vos valets, on homme bien sensé.

vous les laisse gronder en repos. Ar. Et laissons cela, mon frère, Ar. Il faut lui laisser passer sa et permettez que je vous parle d'une affaire plus importante, dont

fougue.
M. Gri. Comment faire, infame! je serais bien aise-

L'Ol. Oh ça, monsieur, quand M. Gri. Non, je veux auparavous serez sorti, voulez-vous que je vant vous faire voir à vous-même laisse la porte ouvertè? comment je suis servi par ce pen

dard-là, afin que vous ne veniez pas après me dire que je me fache sans sujet. Vous allez voir, vous allez voir. As-tu balayé l'escalier?

L'Ol. Oui, monsieur, depuis le haut jusqu'en bas.

M. Gri. Et la cour? L'Ol. Si vous y trouvez une or dure comme cela, je veux perdre mes gages.

M. Gri. Tu n'as pas fait boire la mule ?

L'Ol. Ah! monsieur! demandez le aux voisins qui m'ont vu passer. M. Gri. Lui as-tu donné l'avoi

ne ?

L'Ol. Oui, monsieur, Guillaume y était présent.

M. Gri. Mais tu n'as pas porté ces bouteilles de quinquina où je

t'ai dit?

L'Ol. Pardonnez-moi, monsieur, et j'ai rapporté les vides.

M. Gri. Et mes lettres, les as-tu portées à la poste ?

L'Ol. Peste! monsieur, je n'ai eu garde d'y manquer.

M. Gri. Je t'ai défendu cent foi de racler ton maudit violin cependant j'ai entendu ce matin –

L'Ol. Ce matin! Ne vous sou vient-il pas que vous me le mites hier en mille pièces ?

M. Gri. Je gagerais que ces deux voies de bois sont encore

L'OI. Que diable a-t-il mangé ?
Ar. (le plaignant) Retire-toi.
Le même.

Le Joueur dans sa Prison.

Essai de Monologue Dramatique.

On sait que dans le drame très-intéresant et très-moral de Béverley, ce joueur malheureux, après avoir tout perdu, après avoir réduit à la mendicité sa femme et ses enfans, est renfermé par ses créanciers dans une prison, où il s'empoisonne pour se délivrer de la vie. Le monologue qui dans la pièce Anglaise annonce cette catastrophe, est plein des expressions les plus vives de l'horreur et du désespoir. L'effet qu'il produit au théâtre, et qui a paru trop violent à un grand nombre de spectateurs, leur a fait demander s'il ne serait pas possible d'y substituer une scène moins terrible et plus touchante; c'est ce qu'on a essayé dans le monologue suivant. On ne se flatte pas d'avoir réussi, mais on espère que cette faible tentative pourra engager nos meilleurs auteurs dramatiques à faire en ce genre des efforts plus heureux, et l'on applaudira avec plaisir à leur succès.

L'Ol. Elles sont logées, monsieur. Vraiment, depuis cela, j'ai aidé à Guillaume à mettre dans le grenier une charretée de foin; j'a Me voilà donc renfermé pour arrosé tous les arbres du jardin, j'ai jamais dans le lieu d'horreur et nettoyé les allées, j'ai béché trois d'ignominie, où mes crimes devaient planches, et j'achevais l'autre quand enfin me conduire, dans l'exécrable vous avez frappé. séjour destiné aux plus odieux,

M. Gri, Oh! il faut que je aux plus méprisables des hommes. chasse ce coquin-là: jamais valet Hélas! combien de malheureux ne m'a fait enrager comme celui-qui ont langui dans ces cachots, ei ci. Il me ferait mourir de chagrin. qui n'en sont sortis que pour ex Hors d'ici. pirer dans les tourmens et dan.

l'opprobre, méritaient moins que ta fidélité, de ta patience, de ta doumoi leur horrible sort! ils n'étaient ceur inaltérable! Combien de fois, coupables qu'envers la société, je dans les transports de ma fureur, le suis envers la nature et l'amour!ton cœur, envers lequel j'étais si A quoi penses-tu, Justice humaine? coupable, a-t-il employé, pour caltu punis les criminels, et tu laisses mer le mien, toutes les consolations respirer les monstres! Mais, que de l'amour! combien de fois tes dis-je ? pourquoi me ferais-tu goû-mains ont-elles essuyé les pleurs ter la funeste consolation de perdre de rage qui coulaient de mes yeux ! cette vie qui m'est odieuse, ce jour Loin de m'accabler des reproches qui me punit et qui m'accable? tu que je méritais, tu n'étais occupée n'en accomplis que mieux les dé qu'à adoucir ceux que je me fesais crets de la justice éternelle qui me à moi-même; chaque jour en me destinait à un châtiment plus af-revoyant, tu me revoyais plus coufreux. C'est mon cœur qui apable; mais tu me revoyais, et ton commis l'attentat, c'est dans mon amour oubliait tout, ou n'y songeait cœur que le Souverain Juge a plaque pour le réparer. L'appareil cé mon supplice. O mort! que tu que tu mettais sur mes plaies, ne serais douce en comparaison des re-servait qu'à les rendre plus vives ; mords dont je suis dévoré? tout aujourd'hui même, nous avons tous me déchire et rien ne me console ; deux comblé la mesure; toi, de ce la nécessité et le malheur, ces deux que la tendresse et la vertu poufaibles excuses du crime, ne sau-vaient faire, et moi, de tout ce que raient même en servir au mien. Je l'atrocité peut commettre. Tu jouissais d'un état honnête, d'une m'as sacrifié la seule ressource qui fortune considérable; je jouissaiste restait : cette ressource est ende bien plus encore, du bonheur gloutie: il ne t'en reste plus que d'aimer et d'être aimé ; l'exécrable dans ton cœur, vertueux et désolé. soif de l'or est venue troubler la fé-Hélas! quelle sera la mienne! je licité de mes jours. De perfides n'ai pas même celle de mourir amis, par leurs conseils et par leur Mais pourquoi cette ressource exemple, ont creusé sous mes pas me manquerait-elle! pourquoi n’ul'abime qui m'engloutit; le mal-serais-je pas du funeste pouvoir heur d'une première faute, m'en alque j'ai de me la procurer? En fait faire mille autres pour la ré-horreur à moi-même et aux autres, parer: en cherchant à étouffer mes que ferais-je à l'avenir de cette vie remords, je les ai portés au comble; que l'Etre suprême m'avait donl'espérance même ne me reste plus.née pour la consacrer à mes semEncore si mon supplice n'était blables? Si sa justice veut me la que pour moi mais qu'avais-tu laisser pour me punir, pourquoi sa fait pour le partager, vertueuse et puissance m'a-t-elle laissé les mochère épouse, respectable et mal-yens de me l'ôter? à qui mon afbeureux objet de mon amour et deffreuse existence peut-elle désormon désespoir! Si les tourmens mais être utile? serait-ce à servir que mon cœur éprouve justifient d'exemple aux malheureux qui sel'équité divine, ton malheur l'ac-raient tentés de m'imiter? qu'ils cuse et la condamne. Hélas! un redoutent plutôt de ma part l'exemsort si cruel devait-il être le prix ple de nouveaux forfaits. Je n'ai de tes charmes, de ta tendresse, delque trop éprouvé l'ascendant af

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freux de la destinée qui me pour-Jisque je désire, en expirant, d'être suit, et qui a tourné contre moi les privé de la seule consolation qui efforts même que je fesais pour pouvait me rester encore, l'espééchapper? Cher et malheureuxrance d'exister dans ton souvenir ! objet de mon amour, toi pour qui Et toi, Dieu vengeur, car les j'ai existé quelques momens, les tourmens qui me dévorent me seuls heureux de ma vie, toi pour crient que tu existes; si tu voulais qui seule j'aurais dû respirer, toique je les endurasse, que ne me pour qui je ne suis plus digne de donnais-tu la force de les souffrir? vivre, pourquoi n'épargnerais-je Prends pitié de ma faiblesse, et pas à ton cœur la douleur de me pardonne-moi si j'y succombe: tu voir traîner mes jours dans la mi-m'es témoin que si je renonce à la sère et dans l'infamie? Ce cœur vie, ce n'est point pour échapper au que tu m'as si fidèlement conservé, supplice de mes remords, c'est lors même que je fesais tout pour pour épargner de nouveaux malle perdre, ce cœur était fait pour heurs à ce que j'aime, à celle qui un autre que pour le mien; quela si peu mérité ceux que je lui ai ma mort au moins le rende libre, déjà fait souffrir. Etre éternel que et lui permette d'en choisir un plus j'ai trop long-temps offensé, tendigne de lui. Puisses-tu trouver dresse conjugale que j'ai outragée; dans la tendresse d'une ame sen et vous, hommes mes semblables, sible et vertueuse, le bonheur que dont j'ai encouru l'exécration et le tu mérites! puisses-tu, en goûtant mépris, recevez le sacrifice que je ce bonheur, te souvenir quelquefois vous fais d'une vie dont je ne pourque tu le dois à la justice que je rais que profaner l'usage: si j'ai vais me rendre! puisses-tu, en te vécu digne d'horreur, que je meure rappelant mes malheurs, mon re au moins digne de regrets. Puissent pentir, et ma fin, donner quelques tous ceux qui à l'avenir imiteront larmes à ma mémoire! jusques icimes désordres, imiter aussi la maje ne t'en ai fait répandre que d'a-nière dont je m'en punis, et qu'on mères et de cruelles. Si tu dois lise un jour sur mon tombeau: Ce encore en verser pour moi, que ce n'est qu'en se donnant la mort qu'il soit au moins de ces larmes que la s'est montré digne de vivre. vertu paisible et heureuse donne au crime puni et repentant. Mais que dis.je? oublie, s'il est possible, et mes forfaits et ma personne, et Qu'ai-je fait !-serait-ce un noujusqu'à mon nom; je t'ai rendue vel attentat d'avoir vengé par ma trop malheureuse de mon vivant, mort, Dieu, mon épouse, et les pour ne pas souhaiter que ton cœur hommes ?-non, non, c'est un crioppressé respire au moins quand minel dont j'ai fait justice. Qu'une j'aurai cessé de vivre, et ne soit sombre et affreuse tranquillité sucplus troublé d'un sentiment dou-cède au désespoir qui me déchiloureux dont je serais encore lerait; que le froid mortel qui va coupable objet. Puisse, hélas glacer mes sens pénètre jusqu'à puisse au moins ce dernier vœu de mon cœur: l'engourdissement de mon désespoir parvenir jusqu'à toi, l'ame est la seule consolation qui et te faire juger combien je suis à me reste. Eternité que j'attends, plaindre malgré mes crimes, pu- que je désire, et que je crains, je

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(Il avale le poison.)

ne te demande point un bonheur Je ne ferai jamais rien de tout dont je suis indigne; l'affaissement ela. que j'éprouve est l'unique bien que O mon génie, où es-tu? Mon je te prie de ne me pas ôter; ne alent, qu'es-tu devenu? Tout mon me laisse d'existence que ce qu' eu s'est éteint, mon imagination faudra pour le sentir, et pour savoir s'est glacée, le marbre sort froid de que la justice suprême a rendu en-nes mains.

fin plus heureuse celle que j'aimais! Pygmalion, ne fais plus des Qui la conduit ici? ô Dieu, vous dieux: tu n'es qu'un vulgaire arne m'aviez pas préparé à ce nou-tiste.-Vils instrumens, qui n'êtes veau supplice!-faut il mourir tant plus ceux de ma gloire, allez, ne de fois en un jour! déshonorez point mes mains!

D'Alembert, Œuvres Posthumes. (Il jette avec dédain ses outils, puis se promène quelque temps en révant, les bras croisés.)

PYGMALION.

Scène Lyrique.

PERSONNAGES.

Que suis-je devenu? Quelle étrange révolution s'est faite en moi?

Tyr, ville opulente et superbe, les monumens des arts dont tu brilles ne m'attirent plus, j'ai perdu le goût que je prenais à les admirer: le commerce des artistes Galathée, ou la statue qui s'anime.jet des philosophes me devient insipide; l'entretien des peintres et

Pygmalion, Sculpteur.

La Scène se passe à Tyr dans l'A-des poètes est sans attraits pour telier de Pygmalion. moi; la louange et la gloire n'élèvent plus mon ame; les éloges Le théâtre représente un atelier de de ceux qui en recevront de la possculpteur: sur les côtés on voit térité ne me touchent plus; l'amides blocs de marbre, des groupes, tié même a perdu pour moi ses des statues ébauchées. Dans le charmes.

fond est une autre statue cachée Et vous, jeunes objets, chefssous un pavillon, d'une étoffe lé d'œuvres de la nature que mon art gère et brillante, orné de cré-osait imiter, et sur les pas desquels pines et de guirlandes. les plaisirs m'attiraient sans cesse, Pygmalion, assis et accoudé, rêve vous, mes charmans modèles, qui dans l'attitude d'un homme in-m'embrasiez à la fois des feux de quiet et triste, puis se levant l'amour et du génie! depuis que je tout-à-coup, il prend sur une ta-vous ai surpassés, vous m'êtes tous ble les outils de son art, va don-indifférens.

lui.)

ner par intervalles quelques (Il s'assied et contemple autour de coups de ciseau sur quelquesunes de ses ébauches, se recule Retenu dans cet atelier par un et regarde d'un air mécontent et charme inconcevable, je n'y sais rien faire, et je ne puis m'en éloigner. J'erre de groupe en groupe, Pyg. Il n'y a point là d'ame ni de figure en figure; mon ciseau de vie; ce n'est que de la pierre.faible, incertain, ne reconnaît plus

consterné.

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