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I. DISCOURS.

de l'égalité deS CONDITIONS. A MI, dont la vertu, toujours facile & pure,

A fuivi par raison l'instinct de la nature;
Qui fçais à ton état conformer tes défirs,
Satisfait fans fortune, & fage en tes plaifirs
Heureux qui, comme toi, docile à fon génie,
Dirigea prudeminent la course de falvie;
Son cœur n'entend jamais là voix du repentir;
Enfermé dans fa fphére, il n'en veut point fortir.
Les états font égaux; mais les hommes différent.
Où l'imprudent périt, les habiles profpérent.
Le bonheur est le port où tendent les humains.
Les écueils font fréquens, les vents sont incertains.
Le Ciel, pour aborder cette rive étrangére,

Accorde à tout martel une barque légere.

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Ainfi que
fes fecours, les dangers font égaux.
Qu'importe, quand l'orage a foulevé les eaux,
Que ta poupe foit peinte & que ton mât déploye›
Une voile de pourpre & des cables de foye
L'Art du Pilote est tout ; & pour dompter les vent's
Il faut la main du fage & non des ornemens.

Eh quoi ! me dira-t-on, quelle erreur est la vôtre !
N'eft-il aucun état plus fortuné qu'un autre ?
Le Ciel a-t-il rangé les mortels au niveaur?

* 1 išj

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La femme d'un Commis, dans le fond d'un Bureau,
Vaut-elle une Princeffe auprès du Trône affife?

N'eft-il pas plus plaisant pour tout homme d'Eglife,,
D'orner fon front tondu d'un chapeau rouge ou verd,
Que d'aller, d'un vil froc, obfcurément couvert,
Recevoir à genoux, après Laude ou Matine,
De fon Prieur cloîtré vingt coups de difcipline?
Sous un triple mortier n'eft-on pas plus heureux,«
Qu'un Clerc enfeveli dans un Greffe poudreux ?
Non; Dieu feroit injufte, & la fage nature
Dans fes dons partagés garde plus de mesure.
Penfe-t-on qu'ici-bas son aveugle faveur
Au char de la fortune attache le bonheur ?
Un jeune Colonel a souvent l'impudence
De paffer en plaisirs un Maréchal de France.
Etre heureux comme un Roi, dit le peuple hébêté,
Hélas! pour le bonheur que fait la Majesté ?
En vain fur-fes grandeurs un Monarque s'appuye,,
Il gémit quelquefois, & bien fouvent s'ennuye..
Son favori fur moi jette à peine un coup d'œil..
Animal compofé de bassesse & d'orgueil,
Accablé de dégoûts en inspirant l'envie,
Tour à tour on t'encenfe & l'on te calomnie.
Di-moi ; qu'as-tu gagné dans la chambre du Roi?-
Un peu plus de flatteurs & d'ennemis que moi.
Sur les épaifles Tours de notre.Obfervatoire,
Un jour en confultant leur célefte.grimoire,
Des enfans d'Uranie un effain curieux,

D'un tube de cent piés braqué contre les Cieux,
Epioit les fecrets du monde planétaire ;

Un manant s'écria, ces forciers ont beau faire

Les Aftres font pour nous auffi-bien que pour eux.
On en peut dire autant du secret d'être heureux.
Le fimple, l'ignorant, pourvû d'un instinct fage,,
En eft tout auffi près au fond de fon village,
Que le fat important qui penfe le tenir,
Et le trifte fçavant qui croit le définir.

On dit qu'avant la boëte apportée à Pandore,
Nous étions tous égaux; nous le fommes encore.
Avoir les mêmes droits à la félicité,

C'eft pour nous la parfaite & feule égalité.

Voi-tu dans ces vallons ces efclaves champêtres,
Qui creufent ces rochers, qui vont fendre ces hêtres,-
Qui détournent ces eaux, qui là bêche à la main,
Fertilifent la terre en déchirant fon fein?

Ils ne font point formés fur le brillant modéle
De ces Pasteurs galans qu'a chantés Fontenelle.
Ce n'eft point Timarette, & le tendre Tyrcis,
De rofes couronnés, fous des myrthes affis,
Entrelaffant leurs noms fur l'écorce des chênes,.
Vantant avec efprit leurs plaifirs & leurs peines.
C'eft Fierrot, c'est Colin, dont les bras vigoureux
Souléve un char trembiant dans un foffé bourbeux...
Perrette au point du jour eft aux champs la premiéres.
Je les vois halerans & couverts de pouffiére,
Bravant dans ces travaux, chaque jour répétés,
Et le froid des hyvers & le feu des étés.

Ils chantent cependant; leur voix fauffe & rustique:
Gaiment de Pellegrin détonne un vieux Cantique..
La paix, le doux fommeil, la force, la fanté,
Sont le fruit de leur peine & de leur pauvreté..
Si Colin voir Paris, ce fracas de merveilless

Sans rien dire à fon cœur aflourdit fes oreilles.
Il ne défire point ces plaifirs turbulens;

Il ne les conçoit pas, il regrette fes champs.
Dans fes champs fortunés l'amour même l'appelle,
Et tandis que Damis, courant de belle en belle,
Sous des lambris dorés & vernis par Martin,
Des intrigues du tems compofant fon destin,
Duppé par la maîtreffe, & haï par sa femme,
Prodigue à vingt beautés fes chansons & sa flâme,
Quitte Æglé qu'il aimoit, pour Cloris qui le fuit,
Et prend pour volupté le fcandale & le bruit ;
Colin, plus vigoureux, & pourtant plus fidéle,
Revole vers Lifette en la faifon nouvelle.

Il vient, après trois mois de regrets & d'ennui,
Lui préfenter des dons auffi fimples que lui.
Il n'a point à donner ces riches bagatelles
Qu'Hébert vend à crédit pour tromper tant de belles.
Sans tous ces riens brillans il peut toucher un cœur ;
Il n'en a pas befoin; c'est le fard du bonheur.

L'Aigle fiére & rapide, aux aîles étendues,
Suit l'objet de fa flâme élancé dans les nues.
Dans l'ombre des vallons le taureau bondiffant
Cherche en paix fa génifle & plaît en mugissam.
Au retour du Printems la douce Philoméle
Attendrit par fes chants fa compagne fidelle;
Et du fein des buiffons, le moucheron léger
Se mêle, en bourdonnant, aux infectes de l'air.
De fon être content, qui d'entr'eux s'inquiette
S'il eft quelqu'autre espécé, ou plus ou moins parfaite?
Et qu'importe à mon fort, à mes plaisirs préfens,
Qu'il foit d'autres heureux,qu'il foit des biens plus grands

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