Images de page
PDF
ePub

Mais quoi ! cet indigent, ce mortel famélique,
Cet objet dégoûtant de la pitié publique,

D'un cadavre vivant traînant le reste affreux,
Refpirant pour fouffrir, eft-il un homme heureux?
Non, fans doute; & Thamas qu'un esclave détrône,
Ce Vifir déposé, ce Grand qu'on emprisonne,
Ont-ils des jours ferains, quand ils font dans les fers?
Tout état a fes maux, tout homme a ses revers.
Moins hardi dans la paix, plus actif dans la guerre,
Charle auroit fous fes loix retenu l'Angleterre,
Et Dufrefni, plus fage & moins diffipateur,

Ne fût point mort de faim, digne mort d'un Auteur.
Tout est égal enfin : la Cour a ses fatigues ;
L'Eglise a ses combats; la Guerre a fes intrigues.
Le mérite modefte eft souvent obfcurci.

Le malheur eft par-tout; mais le bonheur auffi.
Ce n'eft point la grandeur, ce n'est point la basseffe,
le bien, la pauvreté, l'âge mûr, la jeuneffe,
Qui fait ou l'infortune, ou la félicité.

Jadis le pauvre Irus, honteux & rebuté,
Contemplant de Créfus l'orgueilleuse opulence,
Murmuroit hautement contre la Providence.

Que d'honneurs ! difoit-il ; que d'éclat! que de bien! Que Créfus eft heureux ! Il a tout, & moi rien. Comme il difoit ces mots, une armée en furie Attaque en fon Palais le Tyran de Carie.

De ses vils Courtisans il est abandonné ; 11 fuit; on le poursuit : il est pris,

enchaîné ; On pille fes trésors, on ravit ses maîtreffes; Il pleure; il apperçoit au fort de ses détreffes,

Irus, le pauvre Irus, qui parmi tant d'horreurs, Sans fonger aux vaincus boit avec les vainqueurs. O Jupiter! dit-il; O fort inexorable!

Irus eft trop heureux, je fuis feul miférable.

Ils fe trompoient tous deux; & nous nous trompons tous, Quand du deftin d'un autre, avidement jaloux,

Nous cédons à l'éclat qu'un beau dehors imprime. Tous les cœurs font cachés; tout homme eft un abysme. La joie eft paffagére, & le rire eft trompeur.

Hélas! Où donc chercher, où trouver le bonheur ? En tous lieux, en tout tems, dans toute la nature; Nulle part tout entier, par-tout avec mesure; Et par-tout paffager, hors dans fon seul Auteur. Il eft femblable au feu, dont la douce chaleur Dans chaque autre élément en fecret s'infinue, Defcend dans les rochers, s'élève dans la nue, Va rougir le corail dans le fable des mers, Et vit dans les glaçons qu'ont durci les hyvers. Mortel, en quelque état que le Ciel t'ait fait naître, Sois foumis, fois contens, & rend grace à ton Maître.

109

II. DISCOURS.

DAN

DE LA LIBERTÉ.

AN s le cours de nos ans, étroit & court paffage, Si le bonheur qu'on cherche est le prix du vrai sage, Qui pourra me donner ce trésor précieux?

Dépend-il de moi-même ? Eft ce un préfent des Cieux!
Eft-il comme l'efprit, la beauté, la naiffance,
Partage indépendant de l'humaine prudence?
Suis-je libre en effet? ou mon ame & mon corps
Sont-ils d'un autre agent les aveugles refforts?
Enfin, ma volonté qui me meut, qui m'entraîne,
Dans le palais de l'ame, eft-elle efclave ou reine?
Obscurément plongé dans ce doute cruel,

Mes yeux chargés de pleurs fe tournoient vers le Ciel:
Lorsqu'un de ces efprits, que le fouverain Etre
Plaça près de fon Trône, & fit pour le connaître,
Qui refpirent dans lui, qui brûlent de fes feux,
Defcendit jufqu'à moi de la voûte des Cieux;
Car on voit quelquefois ces fils de la lumière,
Eclairer d'un mondain l'ame fimple & groffiére,
Et fuir obftinément tout Docteur orgueilleux,
Qui dans fa chaire affis', pense être au-deffus d'eux;
Et le cerveau troublé des vapeurs d'un systême,
Prend fes brouillards épais pour le jour du Ciel même.

Ecoute, me dit-il, prompt à me consoler, Ce que tu peux entendre, & qu'on peut révéler. J'ai pitié de ton trouble, & ton ame sincére, Puifqu'elle fçait douter, mérite qu'on l'éclaire. Oui, l'homme sur la terre est libre ainsi que moi ; C'est le plus beau présent de notre commun Roi. La liberté qu'il donne à tout Erre qui pense, Fait des moindres efprits & la vie & l'effence. Qui conçoit, veut, agit, est libre en agissant C'est l'attribut divin de l'Etre Tout-puissant. Il en fait un partage à ses enfans qu'il aime. Nous fommes fes enfans, des ombres de lui-même. Il connut, il voulut, & l'Univers nâquit.

[ocr errors]

Ainfi, lorfque tu veux, la matiére obéit.
Souverain fur la terre, & Roi par la pensée,
Tu veux, & fous tes mains la nature eft forcée,
Tu commandes aux mers, au fouffle des zéphirs,
A ta propre pensée, & même à tes défirs.
Ah! fans la liberté que feroient donc nos ames?
Mobiles agités par d'invisibles flâmes,

Nos vœux, nos actions, nos plaisirs, nos dégoûts,
De notre Etre, en un mot, rien ne feroit à nous.
D'ua Artifan fuprême, impuiffantes machines,
Automates penfans, mûs par des mains divines,
Nous ferions à jamais de menfonge occuppés,
Vils inftrumens d'un Dieu qui nous auroit trompés.
Comment fans liberté ferions-nous ses images?
Que lui reviendroit-il de fes brutes ouvrages?
On ne peut donc lui plaire, on ne peut l'offenser;
Il n'a rien à punir, rien à récompenfer.

Dans les Cieux, fur la terre, il n'est plus de justice, Pucelle eft fans vertus * Desfontaines fans vice.

[ocr errors]

Le deftin nous entraîne à nos affreux penchans,
Et ce cahos du monde eft fait pour les méchans.
L'oppreffeur infolent, l'ufurpateur avare,
Cartouche, Miriwis, ou tel autre barbare,
Plus coupable enfin qu'eux, le calomniateur
Dira: Je n'ai rien fait, Dieu feul en eft l'Auteur :
Ce n'eft pas moi, c'est lui qui manque à ma parole,
Qui frappe par mes mains, pille, brûle, viole;
C'est ainsi que le Dieu de justice & de paix
Seroit l'Auteur du trouble & le Dieu des forfaits.
Les triftes Partifans de ce dogue effroyable
Diroient-ils rien de plus, s'ils adoroient le diable?

J'étois, à ce discours, tel qu'un homme enivré,
Qui s'éveille en furfaut, d'un grand jour éclairé,
Et dont la clignotante & débile paupiére
Lui laiffe encor à peine entrevoir la lumière.
J'osai répondre enfin d'une timide voix :
Interpréte facré des éternelles loix,

Pourquoi, fil'homme eft libre, a-t-il tant de faibleflet
Que lui fert le flambeau de fa vaine fageffe?

Il le fuit, il s'égare; & toujours combattu,
Il embraffe le crime en aimant la vertu.

Pourquoi ce Roi du monde, & fi libre & fi fage,
Subit-il fi fouvent un fi dur efclavage? ›

L'Abbé Pucelle

[ocr errors]

célèbre Confeiller au Parlement. L'Abbé Desfontaines, homme fouvent repris de Juftice, & qui tenoit une boutique ouverte, où il vendoit des louanges & des fatires.

« PrécédentContinuer »