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L'Esprit confolateur à ces mots répondit:
Quelle douleur injufte accable ton efprit!
La liberté, dis-tu, t'est quelquefois ravie:
Dieu te la devoit-il immuable, infinie,
Egale en tout état, en tout tems, en tout lieu?

Tes deftins font d'un homme, & tes vœux font d'un Diew.
Quoi ! dans cet Océan, cet atôme qui nage,
Dira : L'immenfité doit être mon partage.
Non, tout eft faible en toi, changeant & limité;
Ta force, ton efprit, tes talens, ta beauté,

La nature, en tout fens, a des bornes prescrites,
Et le pouvoir humain feroit feul fans limites!
Mais, di-moi, quand ton cœur formé de passions,
Se rend malgré lui-même à leurs impreffions;
Qu'il fent dans fes combats fa liberté vaincue,
Tu l'avois donc en toi, puisque tu l'as perdue ?
Une fiévre brûlante attaquant tes refforts,
Vient à pas inégaux miner ton faible corps.
Mais quoi! par ce danger répándu fur ta vie
Ta fanté pour jamais'n'eft point anéantie.
On te voit revenir des portes de la mort,

Plus ferme, plus content, plus tempérant, plus fort.
Connais mieux l'heureux don que ton chagrin reclame.
La liberté dans l'homme eft la fanté de l'ame.
On la perd quelquefois : la foif de la grandeur,
La colére, l'orgueil, un amour fuborneur,
D'un désir curieux les trompeufes faillies;
Hélas! combien le cœur a-t-il de maladies?
Mais contre leur affaut tu feras raffermi;
Prend ce livre fenfé, confulte cet ami,

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(Un

(Un ami, don du Ciel, & le vrai bien du sage :)
Voilà l'Helvétius, * le Sylva, le Vernage,
Que le Dieu des humains, prompt à les fecourir,
Daigne leur envoyer fur le point de périr.
Eft-il un feul mortel de qui l'ame insensée,
Quand il eft en péril ait une autre pensée ?
Voi de la liberté cet ennemi mutin,
Aveugle partifan d'un aveugle deftin.
Entend comme il confulte, approuve,
Entend de quel reproche il couvre un adversaire;
Voi comment d'un rival il cherche à fe venger;
Comme il punit fon fils, & le veut corriger.

délibére;

Il le croyoit donc libre? Oui, fans doute, & lui-même
Dément à chaque pas fon funefte fyftême.

Il mentoit à fon cœur, en voulant expliquer
Ce dogme abfurde à croire, abfurde à pratiquer.
Il reconnaît en lui le fentiment qu'il brave,
Il agit comme libre, & parle comme esclave.
Sûr de ta liberté, rapporte à fon Auteur
Ce don que fa bonté te fit pour ton bonheur;
Commande à ta raifon d'éviter ces querelles,
Des tyrans de l'efprit difputes immortelles ;
Ferme en tes fentimens, & fimple dans ton cœur,
Aime la vérité, mais pardonne à l'erreur.
Fui les emportemens d'un zéle atrabilaire ;
Ce mortel qui s'égare est un homme, est ton frère ;
Sois fage pour toi feul, compatisfant pour lui;
Fais ton bonheur enfin par le bonheur d'autrui.

* Fameux Médecins de Paris.

Tome III.

K

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Ainfi parloit la voix de ce Sage suprême :
Ses difcours m'élevoient au-dessus de moi-même;
J'allois lui demander, indiscret dans mes vœux,
Des fecrets réservés pour les peuples des Cieux;
Ce que c'est que l'efprit, l'espace, la matiére,
L'éternité, le tems, le reffort, la lumiére,
Etranges queftions, qui confondent souvent
Le profond * s'Gravesande, & le fubtil Mairant,
Et qu'expliquoit en vain, dans ses doctes chimères,
L'Auteur des Tourbillons que l'on ne croit plus guéres.
Mais déja s'échappant à mon œil enchanté,
Il voloit au féjour où luit la vérité.

Il n'étoit pas vers moi defcendu pour m'apprendre
Les fecrets du Très-Haut, que je ne puis comprendre.
Mes yeux d'un plus grand jour auroient été bleffés,
Il m'a dit: Sois heureux; il m'en a dit affez.

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* Mr s'Cravefande Profeffeur à Leide le premier qui ait enfeigné en Hollande les découvertes de Nevvton. Mr Dortous de Mairant, Gentilhomme de Béfiers, Secré saire de l'Académie des Sciences de Paris.

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Si l'homme

I l'homme eft créé libre, il doit le gouverner; Si l'homme a des tyrans, il les doit détrôner. On ne le fçait que trop; ces tyrans font les vices. Le plus cruel de tous dans ses sombres caprices, Le plus lâche à la fois, & le plus acharné, Qui plonge au fond du cœur un trait empoisonné, Ce bourreau de l'efprit, quel est-il? C'eft l'envie. L'orgueil lui donna l'être au sein de la folie, Rien ne peut l'adoucir, rien ne peut l'éclairer. Quoiqu'enfant de l'orgueil, il craint de se montrer. Le mérite étranger est un poids qui l'accable; Semblable à ce Géant fi connu dans la Fable, Trifte ennemi des Dieux, par les Dieux écrafé, Lançant en vain les feux dont il eft embrafé. Il blafphême, il s'agite en fa prifon profonde; Il croit pouvoir donner des fecouffes au monde; Il fait trembler l'Etna dont il eft oppreffé: L'Etna fur lui retombe, il en eft terraflé. J'ai vu des Courtifans, yvres de faufle-gloire, Décefter dans Villars l'éclat de la victoire. Ils haïfloient le bras qui-faifoit leur appui.

Il combattoit pour eux, ils parloient contre lui,

Ce Héros eut raison, quand cherchant les batailles, Il difoit à Louis: Je ne crains que Versailles.

Contre vos Ennemis je marche fans effroi :
Deffendez-moi des miens, ils font près de mon Roi.

Cœurs jaloux ! A quels maux êtes-vous donc en proie?
Vos chagrins font formés de la publique joie ;
Convives dégoûtés, l'aliment le plus doux,
Aigri par votre bile, eft un poifon pour vous.
O vous, qui de l'honneur entrez dans la carriére,
Cette route à vous feule appartient-t-elle entiére ?
N'y pouvez vous fouffrir les pas d'un concurrent?
Voulez-vous reffembler à ces Rois d'Orient,
Qui de l'Afie efclave, oppreffeurs arbitraires,
Pensent ne bien regner qu'en étranglant leurs freres ?
Lorfqu'aux jeux du Théâtre, écueil de tant d'efprits,
Une affiche nouvelle entraîne rout Paris;
Quand Dufréne * & Goffin, d'une voix attendrie,
Font parler Orofmane, Alzire, Zénobie;

Le spectateur content, qu'un beau trait vient saisir,
Laifle couler des pleurs, enfans de fon plaifir;
Rufus défespéré, que ce plaifir outrage,

Pleure auffi dans un coin ; mais fes pleurs font de rage.
Hé bien! pauvre affligé, fi ce fragile honneur,
Si ce bonheur d'un autre a déchiré ton cœur,
Mets du moins à profit le chagrin qui t'anime;
Mérite un tel succès, compose, efface, lime.
Le public applaudit aux vers du Glorieux ;
Eft-ce un affront pour toi ? Courage, écris, fais mieux ;
Mais garde-toi sur-tout, fi tu crains les critiques,
D'envoyer à Paris tes Aïeux Chimériques.†

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* Dufréne célèbre Acteur de Paris. Mademoiselle Coffin, Actrice pleine de graces, qui joua Zaire, + Mauvaife Comédie, qui n'a pû être jouée.

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