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Jus

USQU'A quand verrons-nous ce rêveur fanatique Fermer le Ciel au monde, & d'un ton defpotique Damnant le genre-humain, qu'il prétend convertir, Nous prêcher la vertu pour la faire haïr ?

Sur les pas de Calvin, ce fou fombre & févére,
Croit que Dieu, comme lui, n'agit qu'avec colère.
Je croi voir d'un Tyran le Miniftre abhorré,
D'efclaves qu'il a fait triftement entouré,

Dictant d'un air hydeux fes volontés finiftres.

Je cherche un Roi plus doux, & de plus doux Miniftres.
Timon fe croit parfait, depuis qu'il n'aime rien.
Il faut que l'on foit homme afin d'être Chrétien.

Cette pièce eft uniquement fondée fur l'impoffibilité où cft l'homme d'avoir des fenfations par lui-même, Tout fentiment prouve un Dieu, & tout fentiment agréable prouve un Dieu bienfaifant."

Je fuis homme, & d'un Dieu je chéris la clémencea
Mortels! venez à lui, mais par reconnaiffance.
La nature, attentive à remplir vos défirs,
Vous appelle à ce Dieu par la voix des plaifirs.
Nul encor n'a chanté fa bonté toute entiére;
Par le feul mouvement il conduit la matiére;
Mais c'est par le plaifir qu'il conduit les humains.
Sentez du moins les dons prodigués par fes mains.
Tout mortel au plaifir a dû fon existence ;
Par lui le corps agit, le cœur fent, l'efprit penfe,
Soit que
du doux fommeil la main ferme vos yeux,
Soit que le jour pour vous vienne embellir les Cieux,
Soit que vos fens flétris cherchant leur nourriture,
L'aiguillon de la faim presse en vous la nature,
Ou que l'amour vous force en des momens plus doux ;-
A produire un autre être, à revivre après vous.
Par-tout d'un Dieu clément la bonté falutaire,
Attache à vos béfoins un plaifir néceffaire.

Les mortels, en un mot, n'ont point d'autre moteur.
Sans l'attrait du plaifir, fans ce charme vainqueur,
Qui des loix de l'hymen eût fubi l'esclavage?
Quelle beauté jamais auroit eu le courage
De porter un enfant dans fon fein renfermé,
Qui déchire en naiffant les flancs qui l'ont formé,
De conduire avec crainte une enfance imbécille,
Et d'un âge fougueux l'imprudence indocile ?

Ah! dans tous vos états, en tout tems, en tout lieu,
Mortels à vos plaisirs reconnaissez un Dieu,
Que dis-je, à vos plaifirs? C'est à la douleur même,
Que je connais de Dieu la fageffe fuprême,

Ce fentiment fi prompt dans nos corps répandu,
Parmi tous nos dangers fentinelle affidu,
D'une voix falutaire inceffamment nous crie:
Ménagez, défendez, conservez votre vie.

Si l'on croit les dévots, l'amour-propre eft damné,
C'est l'ennemi de l'homme, aux enfers il eft né.
Vous vous trompez, ingrats,c'est un don de Dieu même,
Tout amour vient du Ciel; Dieu nous chérit, il s'aime.
Nous nous aimons dans nous, dans nos biens, dans nos

fils,

Dans nos concitoyens, fur-tout dans nos amis.
Cet amour néceffaire eft l'ame de notre ame;
Notre esprit eft porté fur ces aîles de flâme.
Oui, pour nous élever aux grandes actions,
Dieu nous a par bonté donné les paffions. *
Tout dangereux qu'il eft, c'eft un préfent célefte;
L'usage en eft heureux, si l'abus eft funefté.

* Comme prefque tous les mots d'une Langue peuvent être entendus en plus d'un fens, il eft bon d'avertir ic qu'on entend par ce mot de Paffions, des défits vifs & continués de quelque bien que ce puiffe être. Ce mot vient de Pâtir, fouffrir, parce qu'il n'y a aucun défir fans fouffrance; défirer un bien, c'eft fouffrir l'abfence de ce bien; c'eft Patir; c'eft avoir une paffion, & le premier pas vers le plaifir eft effentiellement un foulagement de cette fouffrance. Les vicieux & les gens de bien ont tous également de ces défirs vifs & continus, appellés Paffions, qui ne deviennent des vices que par leur objet ; le défir de réaffir dans fon art, l'amour conjugal, l'amour paternel, le goût des Sciences, font des paffions qui n'ont rien de criminel. Il feroit à fouhaiter que les Langues euffent des mors pour exprimer les défirs habituels, qui en foi font indifférens, ceux qui font vertueux, ceux qui font coupables; mais il n'y a aucune Langue au monde qui ait des fignes repréfentatifs de chacune de nos idées, & on eft obligé de fe fervir du même mot dans une acception dif ferente, à-peu-près comme on fe fert quelquefois du même inftrument pour des ouvrages de différentes natures..

J'admire & ne plains point un cœur maître de foi,
Qui tenant fes défirs enchaînés fous fa loi,
S'arrache au genre humain pour Dieu qui nous fr

naître ;

Se plaît à l'éviter plutôt qu'à le connaître ;
Et brûlant pour fon Dieu d'un amour dévorant,
Fuit les plaifirs permis, par un plaifir plus grand.
Mais que fier de fes croix, vain de fes abftinences,
Et fur-tout en fecret laffe de fes fouffrances,
Il condamne dans nous tout ce qu'il a quitté,
L'hymen, le nom de pere, & la fociété;
On voit de cet orgueil la vanité profonde;
C'eft moins l'ami de Dieu que l'ennemi du monde ;
On lit dans fes chagrins le regret des plaifirs.
Le Ciel lui fit un cœur, il lui faut des défirs.
Des Stoïques nouveaux le ridicule maître
Prétend m'ôter à moi, me priver de mon être.
Dieu, fi nous l'en croyons, feroit fervi par nous
Ainfi qu'en fon Sérail un Musulman jaloux,
Qui n'admet près de lui que ces monftres d'Afie,
Que le fer a privés des fources de la vie. *

Vous, qui vous élevez contre l'humanité,
N'avez-vous lû jamais la docte antiquité?
Ne connaiffez-vous point les filles de Pélie?
Dans leur aveuglément voyez votre folie.
Elles croyoient dompter la nature & le tems,
Et rendre leur vieux pere à la fleur de fes ans.

Cela ne regarde que les efprits outrés, qui veulent Ster à l'homme tous les fentimens.

lears mains par piété dans son fang fe plongérent, Croyant le rajeunir, ses filles l'égorgérent.

Voilà votre portrait, Stoïques abuses,

Vous voulez changer l'homme, & vous le détruifez.
Usez; n'abusez point. Le fage ainfi l'ordonne.
Je fuis également Epictete & Pétrone.
L'abftinence ou l'excès ne fit jamais d'heureux.
Je ne conclus donc pas, orateur dangereux,
Qu'il faut lâcher la bride aux paffions humaines.
De ce courfier fougueux je veux tenir les rênes ;
Je veux que ce torrent, par un heureux fecours,
Sans inonder mes champs, les abreuve en fon cours.
Vents, épurez les airs, & foufflez fans tempêtes';
Soleil, fans nous brûler, marche & lui fur nos têtes,
Dieu des êtres penfans, Dieu des cœurs fortunés,
Confervez les défirs que vous m'avez donnés,
Ce goût de l'amitié, cette ardeur pour l'étude,
Cet amour des beaux arts & de la folitude:
Voilà mes paffions. Vous, qui les approuvez,
Vous, l'honneur de ces arts par vos mains cultivez,
Vous, dont la paffion nouvelle & généreuse,
Eft d'éclairer la terre & de la rendre heureuse;
Grand Prince, efprit fublime, heureux préfent du ciel,
Qui connaît mieux que vous les dons de l'Eternel!
Aidez ma voix tremblante & ma lyre affaiblie,
A chanter le bonheur qu'il répand sur la vie.
Qu'un autre en frémiffant craigne fes cruautés,
Un cœur aimé de vous ne fent que fes bontés.

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