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VI. DISCOURS.

DE LA NATURE

LA

DE L'HOM M E.

A voix de la vertu préfide à tes concerts,

Elle m'appelle à toi par le charme des vers.

Ta grande étude eft l'homme, & de ce labyrinthe
Le fil de la raifon te fait chercher l'enceinte.

Montre l'homme à mes yeux. Honteux de m'ignorer,
Dans mon être, dans moi, je cherche à pénétrer.
Defpréaux & Pastal en ont fait la Satyre.

Pope & le grand Leibnitz, moins enclins à médire,
Semblent dans leurs écrits prendre un fage milieu,
Ils defcendent à l'homme, ils s'élèvent à Dieu.
Mais quelle épaisse nuit voile encor la nature ?
Sois l'Oedipe nouveau de cette énigme obfcure.
Chacun a dit fon mot, on a long-tems rêvé,
Le vrai fens de l'énigme est-il enfin trouvé ?

Je fçai bien qu'à fouper chez Laïs ou Catulle, Cet examen profond paffe pour ridicule.

Là pour tout argument, quelques couplets malins -
Exercent plaisamment nos cerveaux libertins.

Autre tems, autre étude, & la raison févére
Trouve accès à son tour, & peut ne point déplaire,
Dans le fond de fon cœur, on fe plaît à rentrer,
Nos yeux cherchent le jour, lent à nous éclairer.

Le grand monde eft léger, inappliqué, volage,
Sa voix trouble & féduit: eft-on feul, on eft fage.
Je veux l'être, je veux m'élever avec toi,

Des fanges de la terre, au Trône de fon Roi.
Montre-inoi, fi tu peux, cette chaîne invisible
Du monde des efprits & du monde fenfible,
Cet ordre fi caché de tant d'êtres divers,
Que Pope après Platon crut voir dans l'Univers.
Vous me preffez en vain. Cette vaste science,
Ou paffe ma portée, ou me force au filence.
Mon efprit refferré fous le compas Français,
N'a point la liberté des Grecs, & des Anglais.
Pope a droit de tout dire,.&.moi je dois me taire.
A Bourge un Bachelier peut percer ce mystère.
Je n'ai point mes degrés, & je ne prétends pas
Hazarder pour un mot de dangereux combats.
Ecoutez feulement un récit véritable,

Que peut-être Fourmont * prendra pour une fable,
Et que je lus hier dans un livre Chinois,
Qu'un Jésuite à Péquin traduifit autrefois.

Un jour quelques fouris fe difoient l'une à l'autre : Que ce monde eft charmant ! quel empire eft le nôtre ! Ce Palais fi fuperbe eft élevé pour nous,

De toute éternité Dieu nous fit ces grands trous.
Voi-tu ces gras jambons fous cette voûte obfcure,
Ils y furent créés des mains de la nature.
Ces montagnes de lard, éternels alimens,
Sont pour nous en ces lieux jufqu'à la fin des tems;

Homme très-fçavant dans l'Hiftoire des Chinois, & même dans leur Langue,

Oui,nous fommes,grand Dieu, fi l'on en croit nos fages,
Le chef d'œuvre, la fin, le but de tes ouvrages.
Les chats font dangereux & prompts à nous manger;
Mais c'eft pour nous inftruire & pour nous corriger.
Plus loin, fur le duvet d'une herbe renaiffante,
Près des bois, près des eaux, une troupe innocente
De canards nazillans, de dindons rengorgés,
De gros mouton bêlans, que leur laine a chargés,
Difoient: Tout eft à nous, bois, prés, étangs, montagnes,
Le Ciel pour nos befoins fait verdir les campagnes.
L'âne paiffoit auprès, & fe mirant dans l'eau,
Il rendit grace au Ciel en fe trouvant fi beau.
Pour les ânes, dit-il, le Ciel a fait la terre ;
L'homme eft né mon esclave, il me panfe, il me ferre,
Il m'étrille, il me lave, il prévient mes défirs,
Il bâtit mon férail, il conduit mes plaifirs.
Refpectueux témoin de ma noble tendreffe,
Miniftre de ma joie, il m'amène une ânesse,
Et je ris quand je vois cet efclave orgueilleux,
Envier l'heureux don que j'ai reçu des Cieux.

L'homme vint, & cria : Je fuis puiflant & fage,
Cieux, terres, élémens, tout eft pour mon usage.
L'Océan fut formé pour porter mes vaisseaux.
Les vents font mes couriers, les aftres mes flambeaux.
Ce globe, qui des nuits blanchit les fombres voiles,
Croît, décroît, fuit, revient & préfide aux étoiles.
Moi, je préfide à tout; mon efprit éclairé
Dans les bornes du monde eût été trop ferré.
Mais enfin de ce monde, & l'oracle & le maître,
Je ne fuis point encor ce que je devois être.

Quelques Anges alors, qui là-haut dans les Cieux
Réglent ces mouvemens imparfaits à nos yeux,
En faisant tournoyer ces immenfes planétes,
Difoient, Pour nos plaifirs, fans doute, elles font faites;
Puis de là fur la terre ils jettoient un coup d'œil,
Ils se moquoient de l'homme & de fon sot orgueil.
Le Tien les entendit; il voulut que fur l'heure
On les fit affembler dans fa haute demeure,
Ange, homme, quadrupéde, & ces êtres divers,
Dont chacun forme un monde en ce vafte Univers.
Ouvrage de mes mains, enfans du même pere,
Vous portex, leur dit-il, mon divin caractère ;
Vous êtes nés pour moi, rien ne fut fait pour vous.
Je fuis le centre unique où vous répondez tous.
Des deftins & des tems, connaissez le feul Maître.
Rien n'eft grand ni petit, tout eft ce qu'il doit être.
D'un parfait affemblage inftrumens imparfaits,
Dans votre rang placés, demeurez fatisfaits.
L'homme ne le fut point. Cette indocile efpéce
Sera-t-elle occupée à murmurer fans ceffe?
Un vieux lettré Chinois, qui toujours fur les bancs
Combattit la raifon par de beaux argumens,
Plein de Confucius, & fa logique en tête,
Diftinguant, concluant, présenta fa requête.
Pourquoi fuis je en un point refferré par les tems?
Mes jours devroient aller par de-là vingt mille ans.
Ma taille, pour le moins, dût avoir cent coudées.
D'où vient que je ne puis, plus promit que mes idées,

Dieu des Chinois.

Voyager dans la lune, & réformer fon cours?
Pourquoi faut-il dormir un grand tiers de mes jours?
Pourquoi ne puis je, au gré de ma pudique flâme,
Faire au moins en trois mois cent enfans à ma femme ?
Pourquoi fus-je en un jour si las de ses attraits?
Tes Pourquoi, dit le Dieu, ne finiroient jamais.
Bientôt tes questions vont être décidées :
Va chercher ta réponse au pays des idées :
Pars. Un Ange auffi tôt l'emporte dans les airs,
Au fein du vuide immenfe où fe meur l'Univers,
A travers cent Soleils entourés de planettes,
De lunes, & d'anneaux, & de longues comettes.
Il entre dans un globe, où d'immortelles mains
Du Roi de la nature ont tracé les deffeins,
Où l'œil peut contempler les images visibles,
Et des mondes réels & des mondes poffibles.
Mon vieux lettré chercha d'efperance animé,
Un monde fait pour lui, tel qu'il l'auroit formé
Il cherchoit vainement : l'Ange lui fit connaître
Que rien de ce qu'il veut en effet ne peut être ;
Que fi l'homme eût été tel qu'on feint les géans,
Faifant la guerre au Ciel, ou plutôt au bon fens,
S'il eût à vingt mille ans étendu fa carrière,
Ce petit amas d'eau, de fable & de pouffiére,
N'eût jamais pû fuffire à nourrir dans fon fein
Ces énormes enfans d'un autre genre-humain.
Le Chinois argumente; on le force à conclure,
Que dans tout l'Univers chaque être a fa mesure.
Que l'homme n'eft point fait pour ces vaftes défirs;
Que fa vie eft bornée, ainsi que ses plaifirs;

Que

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