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Pamour pour le bien public, la diftance immense que vous mettez entre les hommes qui cherchent en paix la vérité, & ceux qui veulent faire la guerre pour des mots qu'ils n'entendent pas. Je vois que les Newtons, les Leibnitz, les Bayles, les Lockes, ces ames fi élevées & fi douces, font ceux qui nourrisfent votre esprit, & que vous rejettez les autres alimens prétendus, que vous trouveriez empoisonnés, ou fans fubftance.

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Je ne fçaurois trop remercier V. A. R. de la bonté qu'elle a eu de m'envoyer le petit Livre concernant Mr Wolf; je regarde fes idées Métaphyfiques comme des chofes qui font honneur à l'esprit-humain. Ce font des éclairs au milieu d'une nuit profonde; c'est tout ce qu'on peut espérer, je crois, de la Métaphysique. Il n'y a pas d'apparence que les premiers principes des chofes foient jamais bien connus ; les fouris qui habitent quelques petits trous d'un bâtiment immenfe, ne fçavent fi ce bâtiment eft éternel, ni quel en eft l'Architecte ni pourquoi cet Architecte a bâti. Elles tâchent de conserver leur vie, de peupler leurs trous & de fuir les animaux deftructeurs qui les pourfuivent. Nous fommes les souris; & le divin Architecte qui a bâti cet Univers, n'a pas encore, que je fçache, dit fon fecret à aucun de nous. Si quelqu'un peut prétendre à deviner juste, c'est Mr Wolf. On peut le combattre; mais il faut l'eftimer ; fa Philofophie eft bien loin d'être pernicieuse. Y a-t-il rien de plus beau & de plus vrai que de dire, comme il fait, que les hommes Tome 111.

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B

doivent être juftes, quand même ils auroient le malheur d'être Athées ?

Vous avez la bonté, Monseigneur, de me promettre de m'envoyer le Traité de Dieu, de l'ame & du monde. Quel préfent, & quel commerce! L'héritier d'une Monarchie veut bien, du sein de for Palais, envoyer des inftructions à un Solitaire. Daignez me faire ce présent, Monseigneur, mon amour extrênie pour le vrai eft la feule chofe qui m'en rende digne; la plupart des Princes craignent d'entendre la vérité, & ce fera vous qui l'enseignerez.

A l'égard des Vers dont vous me parlez, vous pen fez fans doute fur cet article auffi fenfément que fur tout le refte; les Vers qui n'apprennent pas aux hommes des vérités neuves & touchantes ne méritent guéres d'être lus; vous fentez qu'il n'y auroit rien de plus méprifable que de paffer fa vie à renfermer dans des rimes des lieux communs, ufés, qui ne méritent pas le nom de pensées. S'il y a quelque chofe de plus vil, c'est de n'être que Poëte Satirique, & de n'écrire que pour décrier les autres. Ces Poëtes font dans le Parnaffe, ce que font dans les Ecoles ces Docteurs qui ne fçavent que des mots & qui cabalent contre ceux qui écrivent des choses.

Si la Henriade a pû ne pas déplaire à V. A. R. j'en dois rendre grace à cet amour du vrai, à cette horreur que mon Poëme refpire pour les factieux, pour les perfécuteurs, pour les fuperftitieux, pour les tyrans & pour les rebelles. C'est l'Ouvrage d'un honnête-homme, il devoit trouver grace deyant un Prince Philosophe.

Vous m'ordonnez de vous envoyer mes autres Ouvra¬ ges; je vous obéirai, Monseigneur, vous ferez mon Juge, & vous me tiendrez lieu du Public. Je vous foumettrai ce que j'ai hazardé en Philofophie; vos lumiéres feront ma récompense; c'est un prix que peu de Souverains peuvent donner. Je suis fûr de yotre fecret; votre vertu doit égaler vos connaissances.

Je regarderai comme un bonheur bien précieux celui de venir faire ma cour à votre Alteffe Royale. On va à Rome pour voir des Eglifes, des Tableaux, des Ruines & des Bas-relief. Un Prince tel que vous mérite bien mieux un voyage; c'est une rareté bien plus merveilleuse. Mais l'amitié qui me retient dans la retraite où je fuis, ne me permet pas d'en fortir. Vous paraissez plus homme que Prince, & vous permettez fans doute, Monseigneur, que les Amis foient préférés aux Rois.

Dans quelque coin du monde que j'achève ma vie, foyez für, Monseigneur, que je ferai continuellement des vœux pour vous ; c'eft-à-dire, pour le bonheur de tout un peuple. Mon efprit fera toujours au rang de vos fujets; votre gloire me fera toujours chére. Je fouhaiterai que vous reffembliez toujours à vous même, & que les autres Rois vous reffemblent.

Je suis avec un très-profond respect,

DE VOTRE ALTESSE ROYALE,

Le très-humble, &
VOLTAIRE.

AU

ROI DE PRUSS E.

LETTRE VII. *

SOLEIL, pâle flambeau de nos triftes hyvers,

Toi qui de ce monde es le pere,

Et qu'on a cru long-tems le pere des bons Vers,
Malgré tous les mauvais que chaque jour voit faire
Soleil, par quel cruel deftin

Faut-il que dans ce mois où l'an touche à fa fin,
Tant de vaftes degrés t'éloignent de Berlin?
C'est là qu'eft mon Héros, dont le cœur & la tête
Raffemblent tout le feu qui manque à fes Etats.
Mon Héros, qui de Neifs achevoit la conquête,
Quand tu fuyois de nos climats :

Pourquoi vas-tu, dis-moi, vers le Pole Antartique ?
Quels charmes ont pour toi les Négres de l'Afrique ?
Revole fur tes pas loin de ce trifte bord,

Imite mon Héros, vien éclairer le Nord.

C'est ce que je difois, SIRE, ce matin au Soleil votre Confrére, qui est aussi l'ame d'une partie de ce monde. Je lui en dirois bien davantage fur le compte de Votre Majefté, fi j'avois cette facilité de faire des Vers, que je n'ai plus, & que vous avez. J'en ai reçu ici que vous avez faits dans Neiss, tout auf A Cyrey ce 21. Décembre 1743.

aifément que vous avez pris cette Ville. Cette petite anecdote, jointe aux Vers que votre humanité m'envoie immédiatement après la victoire de Moluits fournit de bien finguliers Mémoires pour fervir un jour à l'Hiftoi e du Siécle.

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Louis XIV. prit en hyver la Franche Comté; mais il ne donna point de bataille, & ne fit point de Vers au camp devant Dole, ou devant Befançon. Ceux que Votre Majefté a faits dans Neifs reffemblent à ceux que Salomon faifoit dans fa gloire, quand il difoit, après avoir tâté de tout; Tout n'eft que vanité Il eft vrai que le bon-homme parloit ainfi au milieu de trois cens femmes & de fept cens concubines; le tout fans avoir donné de bataille, ni fait de fiége. Mais n'en déplaife, SIRE, à Salomon & à vous, ou bien à vous & à Salomon il ne laiffe pas d'y avoir quelque réalité dans ce monde,

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Conquérir cette Siléfie,

Revenir couvert de lauriers,
Dans les bras de la Poëfie;

Donner aux Belles, aux Guerriers,
Opéra, Bal & Comédie;

Se voir craint, chéri, refpecté,
Et connaître au sein de la gloire

L'efprit de la fociété,

Bonheur fi rarement goûté

Des Favoris de la victoire;

Savourer avec volupté

Dans des momens libres d'affaire

Les bons vers de l'antiquité,
Et quelquefois en daigner faire

Dignes de la postérité :

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