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AUCAM P

DEVANT

PHILIPS BOURG,

Le 3. Juillet 1734.

C'EST

'EST ici que l'on dort fans lit,
Et qu'on prend les repas par terre.
Je vois & j'entens l'atmosphere,
Qui s'embrafe & qui retentit
De cent décharges de tonnerre,
Et dans ces horreurs de la guerre,
Le Français chante, boit & rit:
Bellone va réduire en cendres
Les courtines de Philipfbourg,
Par cinquante mille Alexandres
Payés à quatre fous par jour.
Je les vois prodiguant leur vie
Chercher ces combats meurtriers,
Couverts de fange & de lauriers,
Et pleins d'honneur & de folie.

Je vois briller au milieu d'eux
Ce fantôme, nommé la gloire,
A l'œil fuperbe, au front poudreus,
Portant au cou cravate noire,

Ayant fa trompette en fa main,
Sonnant la charge & la victoire,
Et chantant quelques airs à boire,
Dont ils répétent le refrein.

O Nation brillante & vaine!
Illuftres fous, peuple charmant,
Que la gloire à fon char enchaîne,
Il est beau d'affronter gaïment
Le trépas & le Prince Eugéne.
Mais, hélas ! quel fera le prix
De vos héroïques proueffes?
Vous ferez cocus dans Paris
Par vos femmes & vos maîtrelles.

R

LE

MONDAIN. *

EGRETTERA qui veut le bon vieux tem3
EGRET

Et l'âge d'or, & le regne d'Aftrée,

Et les beaux jours de Saturne & de Rhée,
Et le Jardin de nos premiers Parens.
Moi, je rends grace à la nature fage,

Qui pour mon bien m'a fait naître en cet âge,

* Cette Piéce eft de 1736. C'est un badinage, dont le fond cft très-philofophique & très-utile; fon utilite fe trouve explique dans la Piéce fuivante. Voyez auffi Ja Lettre de M. de Melon à Madame la Comteffe de Verrue,

Tant décrié par nos triftes frondeurs,

Ce tems profane eft tout fait pour mes mœurs;
J'aime le luxe & même la molleffe;

Tous les plaifirs, les Arts de toute espéce;
La propreté, le goût, les ornemens:

Toute honnête-homme a de tels fentimens.

Il eft bien doux pour mon cœur très-immonde
De voir ici l'abondance à la ronde,
Mere des Arts & des heureux travaux,
Nous apporter de fa fource féconde,
Et des befoins & des plaifirs nouveaux.
L'or de la terre & les tréfors de l'onde,
Leurs habitans & les peuples de l'air,
Tout fert au luxe aux plaisirs de ce monde,
Ole bon tems que ce fiécle de fer!
Le fuperflu, chofe très-néceffaire,
A réuni l'un & l'autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaiffeaux,
Qui du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S'en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens nés aux fources du Gange;
Tandis qu'au loin, vainqueurs des Mufulmans,
Nos vins de France enyvrent les Sultans.
Quand la nature étoit dans fon enfance,
Nos bons Aïeux vivoient dans l'ignorance,
Ne connaiffant ni le tien, ni le mien.
Qu'auroient-ils pû connaître? Ils n'avoient rien,
Ils étoient nuds ; & c'est chose très-claire,
Que qui n'a rien, n'a nul partage à faire.
Sobres étoient. Ah! je le crois encor,

Martialo

Martialo* n'eft point du fiécle d'or.

D'un bon vin frais, ou la mousse, ou la féve,
Ne grata point le tendre gofier d'Eve.

La foie & l'or ne brilloient point chez eux;
Admirez-vous pour cela nos Ayeux ?
Il leur manquoit l'induftrie & l'aifance.
Eft-ce vertu? C'étoit pure ignorance.
Quel idiot, s'il avoit eu pour lors

Quelque bon lit, auroit couché dehors!

Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon pere,

Que faifois-tu dans les Jardins d'Eden?
Travaillois-tu pour ce fot genre-humain?
Careffois-tu Madame Eve, ma mere?
Avouez-moi que vous aviez tous deux
Les ongles longs, un peu noirs & craffeux,
La chevelure affez mal ordonnée,

Le teint bruni, la peau bize & tannée.
Sans propreté, l'amour le plus heureux
N'eft plus amour, c'est un befoin honteux.
Bientôt laffés de leur belle aventure,
Deffous un chêne ils foupent galamment,
Avec de l'eau, du millet & du gland.
Le repas fait, ils dorment fur la dure.
Voilà l'état de la pure nature.

Or maintenant voulez-vous, mes amis,
Sçavoir un peu dans nos jours tant maudits,
Soit à Paris, foit dans Londre ou dans Rome,
Quel eft le train des jours d'un honnête-homme?

* L'Auteur du Culfinier Français.

Tome IIL.

R

Entrez chez lui, la foule des beaux Arts,
Enfans du goût, fe montre à vos regards.
De mille mains l'éclatante industrie,
De ces dehors orna la fymétrie.
L'heureux pinceau, le füperbe deffein
Du doux Corrége & du fçavant Pouffin,
Sont encadrés dans l'or d'une bordure;
C'est * Bouchardon qui fit cette figure;
Et cet argent fut poli par Germain, †
Des Gobelins, l'aiguille & la teinture,
Dans ces tapis furpassent la peinture.
Tous ces objets font vingt fois répétés,
Dans des trumaux tous brillans de clartés.
De ce falon je vois par la fenêtre,
Dans des Jardins, des myrthes en berceaux,
Je vois jaillir les bondiflantes eaux.
Mais du logis j'entens fortir le Maître.
Un char commode, avec graces orné,
Par deux chevaux rapidement traîné,
Paraît aux yeux une maison roulante,
Moitié dorée, & moitié transparente;
Nonchalamment je l'y vais promené.
De deux refforts la liante foupleffe,
Sur le pavé le porte avec molleffe.
Il court au bain; les parfums les plus doux
Rendent fa peau plus fraîche & plus polie;
Le plaifir preffe, il vole au rendez-vous,
Chez Camargo, chez Goffin, chez Julie.

*Fameux Sculpteur, né à Chaumont en Champagne. + Excellent Orfévre, dont les deffeins & les ouvrages font du plus grand goût.

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