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Il eft comblé d'amour & de faveurs. Il faut fe rendre à ce Palais magique, Où les beaux vers, la danse, la musique, L'art de tromper les yeux par les couleurs, L'art plus heureux de féduire les cœurs, De cent plaifirs font un plaifir unique. Il va fiffler quelque Opéra nouveau, Ou malgré lui court admirer Rameau. Allons fouper. Que ces brillans fervices, Que ces ragoûts ont pour moi de délices ! Qu'un Cuifinier eft un mortel divin! Cloris, Æglé, me verfent de leur main D'un vin d'Aï, dont la mouffe preffée, De la bouteille avec force élancée, Comme un éclair fait voler fon bouchon. Il part, on rit, il frappe le plafond. De ce vin frais l'écuine pétillante, De nos Français eft l'image brillante. Le lendemain donne d'autres défirs, D'autres foupers, & de nouveaux plaisirs. Ceci pofé, Mentor & Télémaque, Vantez-nous bien votre petite Itaque, Votre Salente & vos niurs malheureux, Où vos Crétois, triftement vertueux, Pauvres d'effet, & riches d'abftinence, Manquent de tout pour avoir l'abondance. J'admire fort votre style flâteur,

Et votre profe, encor qu'un peu traînante. Mais, mon ami, je confens de grand cœur, D'être feffé dans vos murs de Salente,

Si je vais là pour chercher mon bonheur.
Et vous, Jardin de ce premier bon-homme,
Jardin fameux, par le Diable & la pomme
C'est bien en vain que triftement féduits,
Huet, Calmet, dans leur fçavante audace,
Du Paradis ont recherché la place.
Le Paradis Terreftre eft où je fuis.

DÉFENSE

DU MONDAIN;

OU

L'APOLOGIE DU LUXE.

A

TABLE hier, par un triste hazard,

J'étois affis près d'un maître Caffard,
Lequel me dit: Vous avez bien la mine
D'aller un jour échauffer la cuifine
De Lucifer; & moi, Prédestiné,

Je rirai bien quand vous ferez damné.
Damné ! Comment ? Pourquoi ? Pour vos folies.

Vous avez dit en vos œuvres non pies,
Dans certain conte en rimes barbouillé,
Qu'au Paradis Adam étoit mouillé,
Lorfqu'il pleuvoit fur notre premier pere;
Qu'Eve avec lui bûvoit de belle eau claire ;

Qu'ils avoient même, avant d'être déchus,
La peau tannée & les ongles crochus.
Vous avancez dans votre folle yvreffe,
Prêchant le luxe, & vantant la molleffe,
Qu'il vaut bien mieux, ô blasphêmes maudits!
Vivre à préfent qu'avoir vécu jadis.

Par quoi, mon fils, votre Muse pollue
Sera rôtie, & c'est chofe conclue.
Difant ces mots, fon gofier altéré
Humoit un vin, qui d'ambre coloré,
Sentoit encor la grappe parfumée,
Dont fut pour nous la liqueur exprimée.
Un carmin vif enluminoit fon teint.

Lors je lui dis: Pour Dieu, Monfieur le Saint,
Quel eft ce vin? D'où vient-il, je vous prie?
D'où l'avez-vous? Il vient de Canarie :

C'est un nectar, un breuvage d'élû ;

Dieu nous le donne, & Dieu veur qu'il foit bû.
Et ce caffé, dont après cinq fervices

Votre eftomac goûte encor les délices ?
Par le Seigneur il me fut destiné.

Bon. Mais avant que Dieu vous l'ait donné,
Ne faut-il pas que l'humaine industrie
L'aille ravir aux champs de l'Arabie?

La porcelaine, & la frêle beauté
De cet émail à la Chine empâté,
Par mille mains fut pour vous préparée,
Cuite, recuite, & peinte & diaprée;
Cet argent fin, cizelé, gaudronné,
En plat, en vafe, en foucoupe tourné,

Fut arraché de la terre profonde,

Dans le Potofe, au sein d'un nouveau monde. Tout l'Univers a travaillé pour vous,

Afin qu'en paix dans votre heureux courroux,
Vous infultiez, pieux atrabilaire,

Au monde entier, épuisé pour vous plaire.
O faux dévot, véritable Mondain,
Connaissez-vous; & dans votre prochain
Ne blâmez plus ce que votre indolence
Souffre chez vous avec tant d'indulgence.
Scachez fur-tout que le Luxe enrichit
Un grand Etat, s'il en perd un petit.
Cette fplendeur, cette pompe mondaine
D'un regne heureux eft la marque certaine.
Le riche eft né pour beaucoup dépenser,
Le pauvre eft fait pour beaucoup amaffer.
Dans ces Jardins regardez ces cascades,
L'étonnement & l'amour des Naïades;
Voyez ces flots, dont les napes d'argent
Vont inonder ce marbre blanchiffant;
Les humbles prez s'abreuvent de cette onde;
La terre en eft plus belle & plus féconde.
Mais de ces eaux, fi la fource tarit,
L'herbe eft féchée & la fleur fe flétrit.
Ainfi l'on voit en Angleterre, en France,
Par cent canaux circuler l'abondance;
Le goût du Luxe entre dans tous les rangs;
Le pauvre y vit des vanités des Grands,
Et le travail, gagé par la moleffe,
S'ouvre à pas lents la route à la richeffe.

J'entens ici des pédans à rabats,

Triftes cenfeurs des plaifirs qu'ils n'ont pas,
Qui me citant Denis d'Halicarnaffe,
Dion, Plutarque, & même un peu d'Horace,
Vont criaillant qu'un certain Curius,
Cincinnatus, & des Confuls en Us,

Bêchoient la terre au milieu des allarmes ;
Qu'ils manioient la charue & les armes;
Et que les bleds tenoient à grand honneur
D'être femés par la main d'un vainqueur.
C'eft fort bien dit, mes Maîtres : je veux croire
Des vieux Romains la chimérique histoire.
Mais, dites-moi, fi les Dieux par hazard
Faifoient combattre Auteuil & Vaugirard,
Faudroit-il pas au retour de la guerre,
Que le vainqueur vint labourer fa terre?
L'augufte Rome, avec tout fon orgueil,
Rome jadis étoit ce qu'eft Auteuil.
Quand ces enfans de Mars & de Sylvie,
Pour quelques prez fignalant leur furie,
De leur Village alloient au champ de Mars,
Ils arboroient du foin * pour étendarts.
Leur Jupiter, au tems du bon Roi Tulle,
Etoit de bois, il fut d'or fous Luculle.
N'allez donc pas avec simplicité
Nommer vertu ce qui fut pauvreté.

Oh, que Colbert étoit un efprit fage!
Certain butor confeilloit par ménage,

Une poignée de foin au bout d'un bâron, nommée Manipulus, étoit le premier étendart des Romains,

R. iiij

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