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Qui d'un calcul aride à peine encore instruit,
Sçait que quatre eft à deux, comme seize est à huit?
Il méprise Racine, il insulte à Corneille,

Lully n'a point de fons pour fa pefante oreille,
Et Rubens vainement, fous fes pinceaux flatteurs,
De la belle nature aflortit les couleurs..

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Des xx redoublés admirant la puiffance,
Il croit que Varignon fut feul utile en France,
Et s'étonne fur-tout, qu'infpiré par l'amour,
Sans algébre autrefois Quinault charmât la Cour.
Avec.non moins d'orgueil & non moins de folie, |
Un éléve d'Euterpe, un enfant de Thalie,
Qui dans les vers pillés nous répére aujourd'hui
Ce qu'on a dit cent fois & toujours mieux que lui,
De fa frivole Muse admirateur unique
Conçoit pour tout le refte un dégoût létargique,
Prend pour des arpenteurs Archimede & Newton,
Et voudroit mettre en Vers Ariftote & Platon.
Ce bœuf qui pefamment rumine fes problêmes,
Ce papillon folâtre, ennemi des systêmes,
Sont regardés tous deux avec un ris moqueur
Par un bavard en robe, apprentif chicaneur,
Qui de papiers timbrés barbouilleur mercénaire,
Vous vend four un écu fa plume & fa colére.

Pauvres fous ! vains efprits! s'écrie avec hauteus
Un ignorant fouré, fier du nom de Docteur ;
Venez à moi, laissez Maffillon, Bourdaloue;
Je veux vous convertir; mais je veux qu'on me loue
Je divife en trois points le plus fimple des cas,
J'ai vingt ans, fans l'entendre, expliqué S. Thomas.

Ainfi ces Charlatans, de leur art idolâtres, Attroupent un vain peuple aux piés de leurs théâtres; L'honnête-homme est plus juste, il approuve en autrui Les arts & les talens qu'il ne fent point en lui.

Jadis avant que Dieu, confominant son ouvrage, Eût d'un fouffle de vie animé fon image, Il fe plût à créer des animaux divers, L'aigle au regard perçant pour regner dans les airs, Le paon pour étaler l'iris de fon plumage, Le courfier pour fervir, le loup pour le carnage, Le chien fidéle & prompt, l'âne docile & lent, Et le taureau farouche, & l'animal bêlant, Le chantre des forêts, la douce tourterelle, Qu'on a cru fauffement des amans le modéle; L'homme les nomma tous, & par un heureux choix, Difcernant leurs inftincts, affigna leurs emplois.

On conte que l'époux de la célébre Hortence* Signala plaifamment fa fainte extravagance; Craignant de faire un choix par fa foible raison, Il tiroit aux trois dez les rangs de sa maison. Le fort, d'un Postillon faifoit un Secrétaire, Son Cocher étonné devint homme d'affaire, Un Docteur Hibernois, fon très-digne Aumônier, Rendit grace au deftin qui le fit Cuifinier. On a vû quelquefois des choix auffi bizares. Il est beaucoup d'emplois ; mais les talens font rates.

Le Duc Mazarin, mari d'Hortence Mancini, faifoit tous les ans une lotterie de plufieurs emplois de fa maifon, & ce qu'on rapporte ici a un fondement trèsvéritable.

Si

Si dans Rome avilie, un Empereur brutal
Des faisceaux d'un Conful honora fon cheval,

Il fut cent fois moins fou que ceux dont l'imprudence
Dans d'indignes mortels a mis fa confiance.
L'ignorant a porté la robe du Cujas;

La mitre a décoré des têtes de Midas;
Et tel au gouvernail a préfidé fans peine,
Qui la rame à la main dût fervir à la chaîne.
Que jamais un tel choix ne te foit reproché;
Cherche, anime, prévien le mérite caché ;
Ainfi dans les déferts un Botaniste habile
Au milieu des chardons cueille une plante utile;
Ainfi ce grand Colbert, autrefois notre appui,
Ranima cent talens qui périffoient fans lui.
Soutien dans fon déclin le fiécle qu'il fit naître ;
Sers comme lui les Arts, le Public & ton Maître.

E PITRE

SUR

LA CAL OMNI E.

ECOUTEZ-M

COUTEZ-MOI, refpectable Emilie,
Vous êtes belle; ainfi donc la moitié
Du genre-humain fera votre ennemie.
Vous poffédez un fublime génie,
On vous craindra; votre tendre amitié
Tome III.

* T

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Eft confiante, & vous ferez trahic.
Votre vertu dans fa démarche unie,
Simple & fans fard, n'a point facrifié
A nos dévots; craignez la calomnie.
Attendez-vous, s'il vous plaît, dans la vie,
Aux traits malins que tout fat à la Cour
Par paffe-tems fouffre & rend tour-à-tour.
La Médifance eft la fille immortelle
De l'amour-propre & de l'oifiveté.
Ce monftre aîlé paraît mâle & femelle.
Toujours parlant & toujours écouté,
Amusement & fléau de ce monde,
Elle y préfide, & fa vertu féconde
Du plus ftupide échauffe les propos ;
Rebut du fage, elle eft l'efprit des fots.
En ricanant, cette maigre furie

Va de fa langue épandre les venins

Sur tous Etats. Mais trois fortes d'humains, le reste alimens de l'envie,

Plus que

Sont exposés à fa dent de harpie;

Les beaux efprits, les belles & les Grands,
Sont de fes traits les objets différens.
Quiconque en France avec éclat attire
L'œil du public, eft fûr de la fatyre.
Un bon couplet, chez ce peuple falot,
De tout mérite eft l'infaillible lot.

La jeune Æglé, de pompons couronnée,
Devant un Frêtre à minuit amenée,
Va dire un Oui, d'un air tout ingénu,
A fon mari qu'elle n'a jamais vû.

Le lendemain en triomphe on la mene

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Au Cours, au Bal, chez Bourbon, chez la Reine.
Le lendemain, fans trop fçavoir comment,
Dans tout Paris on lui donne un amant.
Roi la chanfonne, & fun nom par la ville
Court ajusté fur l'air d'un vaudeville.
Æglé s'en meurt ; fes cris font fuperflus.
Confolez-vous, Æglé, d'un tel outrage;
Vous pleurerez, hélas ! bien davantage,
Lorfque de vous on ne parlera plus.
Et nommez-moi la beauté, je vous prie,
De qui l'honneur fut toujours à couvert.
Lifez-moi Bayle à l'artile Schomberg,
* Vous y verrez que la Vierge Marie
Des Chanfonniers comme un autre a fouffert;
Jérufalem a connu la fatyre.

Perfans, Chinois, bâtifes, circoncis,
Prennent fes loix, la terre est son empire;
Mais croyez-moi, fon Trône eft à Paris.
Là tous les foirs la troupe vagabonde,
D'un peuple oifif, appellé le beau monde,
Va promener de réduit en réduit
L'inquiétude & l'ennui qui le fuit.
Là font en foule antiques mijaurées,
Jeunes oisons, & bégueules titrées,
Difant des riens d'un ton de perroquet,

* Cerre Calomnie citée dans Bayle & dans l'Abbé Houteville, cft tirée d'un ancien Livre Hébreu, intitulé Toldos Jefcut, dans lequel on donne pour époux à cetre Perionne facrée, Jonathan; & celui que Jonathan soupçonae, s'appelle Joseph Pancher.

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