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Semblable vie a de quoi plaire;
Elle a de la réalité,

Et le plaifir n'eft point chimére.

Votre Majefté a fait bien des chofes en peu de tems. Je fuis perfuadé qu'il n'y a perfonne fur la terre plus occupée qu'elle & plus entraînée dans la variété des affaires de toute espéce. Mais avec ce génie dévorant, qui met tant de choses dans sa sphère d'activité, vous conferverez toujours cette fupériorité de raison qui vous éléve au-deffus de ce que vous êtes & de ce que vous faites.

Tout ce que je crains, c'eft que vous ne veniez à trop mépriser les hommes. Des millions d'animaux fans plumes à deux piés qui peuplent la terre, font à une diftance immenfe de votre perfonne, par leur ame comme par leur état. 11 y a un beau Vers de Milton,

Amongst unequals no fociety.

Il y a encore un autre malheur, c'eft que Votre Majefté peint fi bien les nobles friponneries des Politiques, les foins intéreffés des Courtifans, &c. qu'elle finira par fe défier de l'affection des hommes de toute efpéce, & qu'elle croira qu'il eft démontré en morale qu'on n'aime point un Roi pour lui-même. SIRE, que je prenne la liberté de faire auffi ma démonftration. N'eft-il pas vrai qu'on ne peut pas s'empêcher d'aimer pour lui-même un homme d'un efprit fupérieur qui a bien des talens, & qui joine à tous ces talens-là celui de plaire? Or s'il arrive

que par malheur ce génie fupérieur foit Roi, fon état en doit-il empirer? Et l'aimera-t-on moins, parce qu'il porte une Couronne ? Pour moi je fens que la Couronne ne me refroidit point du tout. Je fuis, &c.

LETT RE

DU

ROI DE PRUSSE

A MONSIEUR

DE VOLTAIRE.

J

LETTRE VIII. *

MON CHER VOLTAIRE,

.

E crains de vous écrire; car je n'ai d'autres nou

velles à vous mander, que d'une espéce dont vous ne vous fouciez guéres, ou que vous abhorrez. Sije vous difois, par exemple, que des Peuples de diffé rentes contrées d'Allemagne font fortis du fond de leurs habitations pour fe couper la gorge avec d'autres Peuples, dont ils ignoroient jufqu'au nom même, & qu'ils ont été chercher jufques dans un pays fort éloigné : pourquoi ? Parce que leur Maître a fait un Contrat avec un autre Prince, & qu'ils vouloient * A Sélowits se 23. Mars 3742.

joints enfemble, en égorger un troifiéme vous me diriez que ces gens font fous, fots & furieux, de fe prêter au caprice & à la barbarie de leur Maître.

Si je vous difois que nous nous préparons avec grand foin à détruire quelques murailles élevées à grands frais; que nous faifons la moiffon où nous n'avons point femé, & les maîtres où perfonne n'eft affez fort pour nous résister : vous vous écrieriez : Ah, barbares! Ah, brigands! Inhumains que vous êtes, diriez-vous; les injuftes n'hériteront point du Royaume des Cieux, felon faint Matthieu, Chap. 12. V. 34.

Puifque je prévois ce que vous me diriez fur ces inatiéres, je ne vous en parlerai point, je me contenterai de vous informer qu'un homme dont vous aurez entendu parler fous le nom du Roi de Prusse, apprenant que les Etats de fon Allié l'Empereur étoient ruinés par la Reine d'Hongrie, eft volé à fon fecours; qu'il a joint ses troupes à celles du Roi de Pologne pour opérer une diverfion en Baffe-Autriche, & qu'il a fi bien réuffi, qu'il s'attend daus peu à combattre les principales forces de la Reine Hongrie pour le fervice de fon Allié. Voilà de la générosité, direz-vous; voilà du Héroïfme. Cependant, cher Voltaire, le premier tableau & celui-ci font les mêmes; c'eft la même femme qu'on repréfente, premiérement en cornettes de nuit, lorsqu'elle fe dépouille de fes charmes, & enfuite avec fon fard, fes dents & fes pompons. De combien de différentes façons n'envisage-t-on pas les objets! Combien les jugemens ne varient-ils point! les hommes condam

nent

nent le foir ce qu'ils approuvoient le matin; ce même Soleil qui leur plaifoit en fon aurore, les fatigue en fon couchant. De-là viennent ces réputations établies, effacées, & qui fe rétablissent pourtant; & nous fommes affez infenfés pour nous donner, pour la réputation, du mouvement pendant notre vie entiére. Eft-il poffible qu'on ne se soit pas détrompé de cette fausse monnoie depuis le tems qu'elle eft connue ? &c.

A U

ROI DE PRUSSE.

LETTRE IX. *

SIRE,

PEND

ENDANT que j'étois malade, Votre Majesté a fait plus de belles actions que je n'ai eu d'accès de fiévre. Je ne pouvois répondre aux derniéres bontés de Votre Majefté. Où aurois-je d'ailleurs adreffé ma Lettre? A Vienne? A Prefbourg? A Témeswar? Vous pouviez être dans quelqu'une de ces Villes ; & même, s'il est un Etre qui puiffe se trouver en plufieurs endroits à la fois, c'eft aflurément votre per

* Nous n'avons pù trouver la date de certe Lettre. Il paroît qu'elic eft de l'année 1742.

Tome 111.

fonne, en qualité d'image de la Divinité, ainsi que le font tous les Princes, & d'image très-penfante & très agiffante. Enfin, SIRE, je n'ai point écrit, parce que j'étois dans mon lit quand Votre Majefté couroit à cheval au milieu des neiges & des fuccès.

D'Efculape les favoris

Sembloient même me faire accroire,
Que j'irois dans le feul pays,
Où n'arrive point votre gloire;
Dans ce pays, dont par malheur
On ne voit point de Voyageur,
Venir vous dire des nouvelles ;
Dans ce pays, où tous les jours
Les ames lourdes & cruelles,
Et des Hongrois & des Pandours,
Vont au Diable au fon des tambours,
Par votre ordre & pour vos querelles ;
Dans ce pays dont tout Chrétien,
Tour Juif, tout Musulman raifonne,
Dont on parle en Chaire en Sorbonne,

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Sans jamais en deviner rien,

Ainfi que le Parifien,

Badaut crédule & fatirique,

Fait des Romans de politique;

Parle tantôt mal, tantôt bien,

De Belle-Ifle, & de vous peut-être j

Et dans fon léger entretien

Vous juge à fond fans vous connaître.

Je n'ai mis qu'un pié fur le bord du Styx ; mais je fuis malheu→ très-fâché, SIR E, du nombre des pauvres reux que j'ai vû paffer. Les uns arrivoient de Scharding; les autres de Prague, ou d'Iglau. Ne ceffereza

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