Images de page
PDF
ePub

EPITRE

A

MADAME DE ***

VIVON

Ivons pour nous, ma chére Rofalik;
Que l'amitié, que le fang qui nous lie
Nous tienne lieu du refte des humains;
Ils font fi fots, fi dangereux, fi vains!
Ce tourbillon qu'on appelle le monde,
Eft fi frivole, en tant d'erreurs abonde,
Qu'il n'eft permis d'en aimer le fracas,
Qu'à l'étourdi qui ne le connaît pas.
Après-dîné, l'indolente Glicère
Sort, pour fortir, fans avoir rien à faire;
On a conduit fon infipidité

Au fond d'un char, où montant de côté,

Son corps preffé gémit fous les barriéres,
D'un lourd panier qui paffe aux deux portiéres ¿
Chez fon amie au grand trot elleva,

Monte avec joie & s'en repent déja,
L'embrafse, & bâille, & puis lui dit ; Madame,
J'apporte ici tout l'ennui de mon ame 2

Joignez un peu votre inutilité

A ce fardeau de mon oifivetê,

Si ce ne font ces paroles expreffes,
C'en eft le fens ; quelques feintes careffes,
Quelques propos fur le jeu, fur le tems,
Sur un Sermon, fur le prix des rubans,
Ont épuisé leurs ames excédées,
Elles chantoient déja faute d'idées;

Dans le néant leur cœur eft absorbé,

Quand dans la chambre entre Monfieur l'Abbé,
Fade plaifant, galant, excroc, & Prêtre,
Et du logis pour quelques mois le maître;
Vient à la pifte un Fat en manteau noir,
Qui fe rengorge & fe lorgne au miroir;
Nos deux pedans font tous deux fûrs de plaire.
Un Officier arrive, & les fait taire,
Prend la parole, & conte longuement
Ce qu'à Plaifance eût fait fon Régiment
Si par malheur on n'eût pas fait retraite,
Il vous le méne au col de la Boquette,
A Nice, au Var, à Digne il le conduit.
Nul ne l'écoute, & le cruel poursuit.
Arrive Ifis, dévote au maintien trifte,
A l'air fournois. Un petit Janfénifte,
Tout plein d'orgueil & de faint Augustin,
Entre avec elle, en lui ferrant la main.
D'autres oifeaux de différent plumage,
Divers de goût, d'inftin&t & de ramage,
En fautillant font entendre à la fois
Le gazouillis de leurs confufes voix;
Et dans les cris de la folle cohue
La médisance est à peine entendue.

Ce chamaillis de cent propos cr oifés
Reffemble aux vents l'un à l'autre opposés.
Un profond calme, un stupide filence,
Succéde au bruit de leur impertinence,
Chacun redoute un honnête entretien ;
On veut penser, & l'on ne penfe à rien.
O Roi David, * ô reffource affurée,
Vien ranimer leur langueur defœuvrée!
Grand Roi David, c'eft toi dont les fixains
Fixent l'efprit & le goût des humains.

Sur un tapis dès qu'on te voit paraître,

[ocr errors]

Noble, Bourgeois, Clerc, Prélat, Petit-Maître,›

Femmes fur-tout, chacun met son espoir,

[ocr errors]
[ocr errors]

Dans tes cartons peints de rouge & de noir.
Leur ame vuide eft du moins amusée,
Par l'avarice en plaifir déguisée.

De ces exploits le beau monde occupé,
Quitte à la fin le jeu pour le foupé;
Chaque convive en liberté déploye
A fon voifin fon infipide joie.

L'honime machine, efprit qui tient du corps,
En bien mangeant remonte fes refforts,
Avec le fang l'ame fe renouvelle,

Et l'eftomac gouverne la cervelle.

Ciel ! quels propos! ce Pédant du Palais
Blâme la guerre & fe plaint de la paix.

'Ce vieux Créfus, en fablant du Champagne,
Gémit des maux que fouffre la campagne,

[ocr errors]

Tous les jeux de Cartes font à l'Enseigne du Roi Da

Et coufu d'or, dans le luxe plongé,

Plaint le païs de tailles furchargé.

Monfieur l'Abbé vous entame une histoire,
Qu'il ne croit point, & qu'il veut faire croire:
On l'interrompt par un propos du jour,
Qu'un autre conte interrompt à fon tour.
De froids bons mots, des équivoques fades,
Des colibers & des turlupinades,

Un rire faux que l'on prend pour gaïté,
Font le brillant de la fociété.

C'est donc ainsi, troupe abfurde & frivole,
Que nous ufons de ce tems qui s'envole;
C'est donc airfi que nous perdons des jours,
Longs pour les fots, pour qui penfe, fi courts;
Mais que ferai je? Ou fuir loin de moi-même?
Il faut du monde ; on le condamne, on l'aime
On ne peut vivre avec lui ni fans lui;

Notre ennemi le plus grand, c'eft l'ennui ;
Tel qui chez foi fe plaint d'un fort tranquile,
Vole à la Cour, dégoûté de la Ville.
Si dans Paris chacun parle au hazard,
Dans cette Cour on se tait avec art,
Et de la joie, ou fauffe ou paffagére,
On n'a pas même une image legére.
Heureux qui peut de son Maître approcher,
Il n'a plus rien déformais à chercher.
Mais Jupiter au fond de l'Empirée
Cache aux humains fa présence adorée ;
Il n'eft permis qu'à quelques demi-Dieux
D'entrer le foir aux cabinets des Cieux.

Faut-il aller, confondu dans la presse,
Prier les Dieux de la feconde espéce,
Qui des mortels font le mal ou le bien?
Comment aimer des gens qui n'aiment rien,
Et qui portés fur ces rapides fphéres,
Que la fortune agite en fens contraires,
L'efprit troublé de ce grand mouvement,
N'ont pas le tems d'avoir un fentiment?
A leur levé, preffez-vous pour attendre,
Pour leur parler fans vous en faire entendre,
Pour obtenir, après trois ans d'oubli,
Dans l'antichambre un refus très-poli.

Non, dites-vous, la Cour, ni le beau monde, Ne font point faits pour celui qui les fronde. Fui pour jamais ces puiffans dangereux; Fui les plaifirs qui font trompeurs comme eux. Bon Citoyen travaille pour la France, Et du Public attends ta récompenfe. Qui le Public! ce phantôme inconstant, Monftre à cent voix, cerbére dévorant, Qui flâte & mord, qui dreffe par fottife Une ftatue, & par dégoû. la brise. Tyran jaloux de quiconque le fert, Il profana la cendre de Colbert, Et prodiguant l'infolence & l'injure, Il a flétri la candeur la plus pure.' Il juge, il loue, il condamne au hazard, Toute vertu, tout mérite & tout art." C'est lui qu'on vit de critiques avide, Deshonorer le chef-d'œuvre d'Armide,

« PrécédentContinuer »