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Vous point, vous & les Rois vos Confréres, de ravager cette terre, que vous avez, dites-vous, tant d'envie de rendre heureuse?

Au lieu de cette horrible guerre,
Dont chacun fent les contre-coups,
Que ne vous en rapportez-vous

A ce bon Abbé de Saint Pierre.

Il vous accorderoit tout auffi aifément que Lycur◄ gue partagea les terres de Sparte, & qu'on donne des portions égales aux Moines. Il établiroit les quinze Dominations de Henri IV. II eft vrai pourtant que Henri IV. n'a jamais fongé à un tel projet. Les Commis du Duc de Sully, qui ont fait fes Mémoires, en ont parlé ; mais le Secrétaire d'Etat Villeroy, Miniftres des Affaires Etrangères, n'en parle point. Il eft plaifant qu'on ait attribué à Henri IV. le projet de déranger tant de Trônes, quand il venoit à peine de s'affermir fur le fien. En attendant, SIRE, que la Diette Européanne, ou Européenne, s'affemble pour rendre tous les Monarques modérés & contens, Votre Majefté m'ordonne de lui envoyer ce que j'ai fait depuis peu du fiécle de Louis XIV. car elle a le tems de lire quand les autres hommes n'ont point de tems. Je fais venir mes Papiers de Bruxelles ; je les ferai tranfcrire pour obéir aux ordres de Votre Majefté. Elle verra peut-être que j'embraffe un trop grand terrain: mais je travaillois principalement pour elle, & j'ai jugé que la sphére du monde n'étoit pas trop grande. J'aurai donc l'honneur, SIRE,

d'envoyer dans un mois à Votre Majesté un énorme paquet, qui la trouvera au milieu de quelque bataille ou dans une tranchée. Je ne fçai fi vous êtes plus heureux dans tout ce fracas de gloire, que vous l'êtiez dans cette douce retraite de Rémuf

berg?

Cependant, grand Roi, je vous aime
Tout autant que je vous aimai,
Lorfque vous étiez renfermé

Dans Rémusberg & dans vous-même z
Lorfque vous borniez vos exploits
A combattre avec éloquence
L'erreur, les vices, l'ignorance,
Avant de combattre des Rois.

Recevez, SIRE, avec votre bonté ordinaire 9 mon profond respect, de cette tendre vénération qui ne finira jamais.

VOLTAIRI,

AU

ROI DE PRUSSE.

LETTRE X. *

QUAND vous aviez un pere, & dans ce pere un

Maître,

Vous étiez Philofophe, & viviez fous vos Loix.
Aujourd'hui mis au rang des Rois,

Et plus qu'eux tous digne de l'être,

Vous fervez cependant vingt Maîtres à la fois.
Ces Maîtres font Tyrans. Le premier c'eft la gloire.
Tyran dont vous aimez les fers,

Et qui met au bout de nos Vers
Ainfi qu'en vos Exploits, la brillante Victoire.
La Politique à fon côté,

Moins éblouiffante, auffi forte,

Méditant, rédigeant, ou rompant un Traité,
Vient mefurer vos pas que cette gloire emporre.
L'intérêt, la fidélité

Quelquefois s'uniffant, & trop fouvent contraires,
Des amis dangereux, des fecrets adverfaires :
Chaque jour des deffeins & des dangers nouveaux :
Tour écouter, tout voir, & tout faire à propos :
Payer les uns en espérance,

Les autres en raifons, quelques-uns en bons mots
Faire chérir fes Loix, & craindre fa puiffance,
Que d'embarras! que de travaux!

Regner n'eft pas un fort auffi doux qu'on le penfe.
Qu'il en coûte d'être un Héros!

A Paris ce 15. Mars 1742.

Il ne vous en coûte rien à vous, SIRE, tout cela eft naturel ; vous faites de grandes, de fages actions, avec cette même facilité que vous faites de la Mufique & des Vers, & que vous écrivez de ces Lettres, qui donneroient à un bel efprit de France une place diftinguée parmi les beaux - efprits jaloux de lui.

Je conçois quelque efpérance que Votre Majefté raffermira l'Europe comme elle l'a ébranlée, & que mes Confréres les humains vous béniront après vous avoir admiré.

2

Mon espoir n'eft pas uniquement fondé fur le Projet que l'Abbé de Saint Pierre * a envoyé à Votre Majefté. Je préfume qu'elle voit les chofes que veut voir le Pacificateur trop mal écouté de ce monde, & que le Roi Philofophe fçait parfaitement ce que le Philofophe qui n'eft pas Roi s'efforce en vain de deviner.

Je préfume encore beaucoup de vos charitables intentions. Mais ce qui me donne une fécurité parfaite, c'eft une douzaine de Faifeurs & de Faifeufes de cabrioles, que Votre Majefté fait venir de France dans fes Etats. On ne danfe guéres que dans la Paix, Il est vrai que vous avez fait payer les violons à quelques Paiffances voisines; mais c'est pour le bien commun & pour le vôtre. Vous avez rétabli la Dignité

* L'Abbé de Saint Pierre a écrit une vingtaine de Volumes fur la Politique. Il envoyoit fouvent au Roi de Pruffe & à d'autres Princes, des projets d'une pacification générale. Le Cardinal du Bois appelloit fes Ouvra ges, les rêves d'un homme de bien.

& les Prérogatives des Electeurs. Vous êtes devenu tout-d'un-coup l'Arbitre de l'Allemagne ; & quand yous avez fait un Empereur, il ne vous en manque que le Titre. Vous avez avec cela cent vingt mille hommes bien faits, bien armés, bien vêtus, bien nourris, bien affectionnés. Vous avez gagné des Batailles & des Villes à leur tête : c'est à vous à danfer. SIRE, Voiture vous auroit dit, que vous avez l'air à la danfe; mais je ne fuis pas auffi familier que lui avec les grands-hommes & avec les Rois, & il ne m'appartient pas de jouer aux Proverbes avec eux.

Au lieu de douze bons Académiciens, vous avez donc, SIRE, douze bons Danfeurs. Cela eft plus aifé à trouver & beaucoup plus gai. On a vû quelquefois des Académiciens ennuyer un Héros, & des Acteurs de l'Opéra le divertir.

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Cet Opéra dont Votre Majesté décore Berlin, ne l'empêche pas de fonger aux Belles-Lettres. Chez vous un goût ne fait pas tort à l'autre. Il y a des ames qui n'ont pas un feul goût, votre ame les a tous; & fi Dieu aimoit un peu le genre-humain, il accorderoit cette univerfalité à tous les Princes, afin qu'ils puffent difcerner le bon en tout genre, & le protéger. C'eft pour cela que je m'imagine qu'ils font faits originairement.

Je connais quelques Acteurs pour la Tragédie, qui ne font pas fans talens, & qui pourroient convenir à Votre Majefté; car je me flatte qu'elle ne fe bor. nera pas à des galimatias Italiens, & à des gamba des Françaises. Le Héros aimera toujours le Théâtre С іні

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