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qui représente les Héros. Puiffiez-vous, SIRE, jouir bientôt de toutes fortes de plaisirs, comme vous avez acquis toutes fortes de gloire. C'eft le vœu fincére de votre admirateur, de votre fujet, qui malheureufement ne vit point dans vos Etats; d'un esprit pénétré de la grandeur du vôtre, & d'un cœur qui s'intéreffe à votre bonheur autant que vous-même.

Recevez, SIRE, avec votre bonté ordinaire, mes très-profonds refpects.

AU

ROI DE PRUSS E.

LETTRE XI. *

E Salomon du Nord en eft donc l'Alexandre;
Et l'amour de la terre en eft auffi l'effroi.
Vos ennemis doivent apprendre

Qu'il faut que les Guerriers prennent de vous la loi,
Comme on vit les Sçavans la prendre.
J'aime peu les Héros, ils font trop de fracas ;
Je hais ces Conquérans, fiers ennemis d'eux-mêmes,
Qui dans les horreurs des combats
Ont placé le bonheur fuprême,

Cherchant par-tout la mort, & la faifant fouffrir
A cent mille hommes ieurs femblables.

Plus leur gloire a d'éclat, plus ils font haiffables,
O Cic! que je dois vous haïr!

*A Paris ce 26. Mai 1742.

Je vous aime pourtant, malgré tout ce carnage

Dont vous avez fouillé les champs de nos Germains,
Malgré tous ces Guerriers que vos vaillantes mains
Font paffer au fombre rivage.

Vous êtes un Héros; mais vous êtes un Sage:
Votre raison maudit les exploits inhumains
Où vous força votre courage.

Au milieu des canons fur des morts entaffés,
Affrontant le trépas, & fixant la victoire,
Du fang des malheureux cimentant votre gloire;
Je vous pardonne tout, fi vous en gémiffez.,

Je fonge à l'humanité, SIRE, avant de fonger à vous-même; mais après avoir, en Abbé de Saint Pierre, pleuré fur le genre-humain, dont vous devenez la terreur, je me livre à toute la joie que me donne votre gloire. Cette gloire fera complette, fi Votre Majefté force la Reine de Hongrie à recevoir là Paix, & les Allemans à être heureux. Vous voilà lë Héros de l'Allemagne, & l'Arbitre de l'Europe; vous en ferez le Pacificateur, & nos Prologues d'Opera feront pour vous.

La fortune qui fe joue des hommes, mais qui vous femble affervie, arrange plaisamment les événemens de ce monde. Je fçavois bien que vous feriez de grandes actions; j'étois fûr du beau fiécle que vous alliez faire naître; mais je ne me doutois pas, quand le Comte du Four alloit voir le Maréchal de Broglie, & qu'il n'en étoit pas trop content, qu'un jour ce Comte du Four auroit la bonté de marcher avec une armée triomphante au fecours du Maréchal, & le délivreroit par une victoire. Votre Majesté n'a pas.

daigné jufqu'à préfent inftruire le monde des détails de cette journée. Elle a eu, je croi, autre chofe à faire que des relations: mais votre modestic est trahie par quelques témoins oculaires, qui difent tous qu'on ne doit le gain de la bataille qu'à l'excès de courage & de prudence que vous avez montré. Ils ajoûtent, que mon Héros eft toujours sensible, & que ce même homme qui fait tuer tant de monde, eft au chevet du lit de Mr de Rotenbourg. Voilà ce que vous ne mandez point, & que vous pourriez pourtant avouer, comme des chofes qui vous font toutes naturelles.

Continuez, SIRE; mais faites autant d'heureux au moins dans ce monde, que vous en avez ôté; que mon Alexandre redevienne Salomon le plutôt qu'il pourra, & qu'il daigne fe fouvenir quelquefois de fon ancien admirateur, de celui qui par le cœur eft à jamais fon fujet de celui qui viendroit paffer sa vie à vos piés, fi l'amitié, plus forte que les Rois & les Héros, ne le retenoit pas, & qui fera attaché à jamais à Votre Majesté avec le plus profond refpect & la plus tendre vénération.

VOLTAIRE,

A U

ROI DE PRUSS E.

LETTRE XII. *

Vous laiffez repofer la foudre & les trompettes,

Er fans plus étaler ces raisons du plus fort,

Dans vos fiers Arfenaux, Magazins de la mort,
De vingt mille canons les bouches font muettes.
J'aime mieux des foupers, des Opéras nouveaux,
Des paffe-piés Français, des frédons italiques,
Que tous ces bataillons d'affaffins héroïques,
Gens fans efprit, & fort brucaux.

Quand verrai-je élever par vos mains triomphantes,
Du Palais des plaifirs les colonnes brillantes ?
Quand verrai-je à Charlotembour,

Du fameux Polignac, † les marbres refpectables,
Des antiques Romains ces Monumens durables SY
Accourir à votre ordre, embellir votre Cour?
Tous ces bustes fameux semblent déja vous dire,
Que faifons-nous à Rome, au milieu des débris
Et des beaux Arts, & de l'Empire,

Parmi ces Capuchons blancs, noirs, minimes, gris,
Arlequins en foutane, & Courtifans en mitre,
Portans au Capitole, au Temple des Guerriers,
Pour Aigle des Agnus, des bourdons pour lauriers ?

* A Bruxelles ce 2. Septembre 1742.

+ En ce tems-là Frédéric le Grand III. Roi de Pruffe avoit fait acheter à Paris toutes les Statues que le Cardinal de Polignac avoit fait venir de Rome.

Ah! loin des Monsignors, tremblans dans l'Italie,
Reftons dans ce Palais, le Temple du génie ;

Chez un Roi, vraiment Roi, fixons-nous aujourd'hui ;
Rome n'eft que la Sainte, & l'autre eft avec lui.

Sans doute, SIRE, que les Statues du Cardinal de Polignac vous difent fouvent de ces choses - là. Mais j'ai aujourd'hui à faire parler une beauté, qui n'eft pas de marbre, & qui vaut bien toutes vos Statues.

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Hier je fus en présence

De deux yeux mouillés de pleurs,
Qui m'expliquoient leurs douleurs.
Avec beaucoup d'éloquence.

Ces yeux qui donnent des loix
Aux ames les plus rebelles,
Font briller leurs étincelles
Sur le plus friand minois

Qui foit aux murs de Bruxelles.

Ces yeux, SIRE, & ce très-joli visage, appartiennent à Madaine Valftein, ou Vallenftein, l'une des petites-niéces de ce fameux Duc de Valftein, que l'Empereur Ferdinand fit fi proprement tuer au fautdu-lit par quatre honnêtes Irlandois, ce qu'il n'eut pas fait affurément s'il avoit pû voir fa petite niéce.

Je lui demandai pourquoi

Ses beaux yeux verfoient des larmes
Elle, d'un ton plein.de charmes,
Dit: C'est la faute du Roi.

Les Rois font ces fautes-là quelquefois, répondisje; ils ont fait pleurer de beaux yeux, fans compter

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