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& d'opérer des mouvemens en conféquence; pouvoir très-borné fans doute comme toutes nos facultés. Car, SIRE, plus vous êtes grand, plus vous fentez que l'homme eft peu de chose.

3. Eft-ce un autre qui fait tout cela pour moi ? Si c'eft moi, je fuis libre; car être libre, c'est agir; ce qui eft paffif n'eft point libre. Eft ce un autre qui agit pour moi? Je fuis donc trompé par cet autre, quand je croi être un agent.

4. Quel eft cet autre qui me tromperoit ? S'il y a un Dieu, c'est lui qui me trompe continuellement : c'eft l'Etre infiniment fage infiniment conféquent, qui fans raison fuffifante s'occupe éternellement d'erreur, chofe opposée directement à son essence, qui eft la vérité. S'il n'y a point de Dieu; qui eft-ce qui me trompe? Eft-ce la matiére, qui d'elle-même n'a point l'intelligence?

5. Pour nous prouver, malgré ce fentiment intérieur, malgré ce fentiment que nous nous rendons de potre liberté; pour nous prouver, dis-je, que cette liberté n'existe pas, il faut prouver nécessairement qu'elle eft impoffible. Cela me paraît incontestable. Voyons comment la liberté feroit impoffible.

6. Cette liberté ne peut être impoffible que de deux façons, ou parce qu'il n'y a aucun Etre qui puiffe la donner, ou parce qu'elle eft en elle-même contradictoire avec notre malheureuse machine; comme un carré rond eft une contradiction, &c. Or l'idée de la liberté de l'homme ne portant rien en foi de contradictoire, refte à voir fi l'Etre infini & Créateur eft

libre; & fi étant libre, il peut donner une petite partie de cet attribut à l'homme, comme il lui a donné une petite portion d'intelligence.

7. Si Dieu n'eft pas libre, il n'est pas un agent, donc il n'eft pas Dieu. Ou s'il eft libre, s'il est toutpuiffant, il fuit qu'il peut donner à l'homme la liberté. Refte donc à fçavoir quelle raison on auroit de croire qu'il ne nous a pas fait ce présent.

8. On prétend que Dieu ne nous a pas donné la liberté, parce que fi nous étions des agens, nous ferions en cela indépendans de lui, Que feroit Dieu, diton, pendant que nous agirions nous-mêmes? Je répons, que Dieu fait, lorfque les hommes agiffent, ce qu'il faisoit avant qu'ils fuffent, & ce qu'il fera quand ils ne feront plus : que fon pouvoir n'en eft pas moins néceffaire à la confervation de fes ouvrages, & que cette communication qu'il nous a fait d'un peu de liberté ne nuit en rien à fa puiffance infinie.

9. On nous objecte que nous fommes 'quelquefois emportés malgré nous, c. Je répons: donc nous fommes quelquefois maîtres de nous. La maladie prouve la fanté, & la liberté eft la fanté de l'ame.

10. On objecte que l'affentiment de notre efprit eft toujours néceffaire; que la volonté fuit cet affen. timent, &c. donc, dit-on, nous voulons, nous agiffons néceffairement. Je répons, qu'en effet on défire néceffairement: mais défir & volonté font deux chofes très-différentes, & fi différentes, qu'un hom→→ me veut & fait fouvent ce qu'il ne défire pas. Com-

battre fes défirs eft le plus bel effet de la liberté. & je croi qu'une des grandes fources du mal-entendu qui eft entre les hommes fur cet article, vient de ce que l'on confond fouvent la volonté & le défir.

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11. On objecte que fi nous étions libres, il n'y auroit point de Dieu. Je crois, au contraire, que ce n'eft que parce qu'il y a un Dieu, que nous fommes libres; car fi tout étoit néceffaire; fi ce monde exiftoit par lui même, d'une néceffité abfolue inhé rente dans fa nature, ce qui fourmille de contradictions) il eft certain qu'en ce cas tout s'opéreroit par des mouvemens liés néceffairement enfemble : donc il n'y auroit alors aucune liberté; donc fans Dieu point de liberté. Je fuis bien furpris des raifonnemens échappés fur cette matiére à l'illuftre Mr Leibnitz...

12. Le plus, terrible argument qu'on ait jamais apporté contre la liberté, eft l'impoffibilité d'accor der avec elle la préfcience de Dieu, & quand on me dit; Dieu fçait ce que vous ferez dans vingt ans ; donc ce que vous ferez dans vingt ans eft d'une néceffité abfolue j'avoue que je fuis à bout, & que tous les Philofophes qui ont voulu, concilier les futurs contingens avec la préfcience Divine, ont été de bien mauvais négociateurs. Il y en a d'affez déterminés pour dire que Dieu peut très-bien ignorer l'avenir, à peu-près s'il eft, permis de parler ainfi ) comme un, Roi peut ignorer ce que fera un Général à qui il aura donné carte-blanche. C'eft le fentiment des.

Sociniens. On objecte à ces raifons-là, que Dieu voit en un inftant l'avenir, le paffé, le préfent; que l'Eternité eft inftantanée pour lui. Mais ils répondent, qu'ils n'entendent pas ce langage, & qu'une éternité, qui eft un inftant, leur paraît auffi abfurde qu'une immenfité qui n'eft qu'un point.

Ne pourroit-on pas, fans être auffi hardi qu'eux, dire que Dieu prévoit nos actions libres à, peu près comme un homme d'efprit prévoit le parti que prendra dans telle occafion un homme dont il con. naît le caractère? La différence fera, qu'un homme prévoit à tort & à travers, & que Dieu prévoit avec une jufteffe infinie. L'homme devine très-mal, & Dieu prévoit très bien. C'eft le fentiment de Clarke, ce grand férailleur en Métaphyfique. J'avoue que tout cela me paraît très-hazardé, & que c'est un aveu plutôt qu'une folution de la difficulté. J'avoue enfin, SIRE, qu'on fait contre la liberté d'excellentes objections; mais on en fait d'auffi bonnes contre l'existence de Dieu; & comme malgré les difficultés extrêmes contre la création & contre la Providence, je croi néanmoins la création & la Providence, auffi je me croi libre, (jufqu'à un certain point, s'entend ) malgré les puiffantes objections que l'on fera toujours contre cette malheureufe liberté.

Je croi donc écrire à Votre Majefté, non pas comme à un Automate créé pour être à la tête de quelques milliers de Marionnettes humaines ; mais comme à un Etre des plus libres & des plus fages

que Dieu ait jamais daigné créer. Si vous pen fez, SIRE, que nous fommes de pures machines, que deviendroit l'amitié dont vous faites vos délices? De quel prix feroient les grandes actions que vous ferez? Quelle reconnaiffance vous devra-t-on des foins que Votre Majefté prendra de rendre les hommes plus heureux & meilleurs? Comment enfin regarderiez-vous l'attachement qu'on a pour votre perfonne, les fervices qu'on vous rendra, le fang qu'on verfera pour vous? Quoi ! le plus généreux, le plus tendre, le plus fage des hommes verroit tout ce qu'on feroit pour lui plaire, dù même œil dont on voit des roues de moulins tourner par le courant de l'eau, & fe brifer à force de fervir? Non SIRE " votre ame eft trop noble pour fouffrir qu'on la prive ainfi de fon plus beau par tage, c.

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