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D

E Sully, falut & bon vin,
Au plus aimable de nos Princes,
De la part de l'Abbé Courtin,
Et d'un Rimailleur des plus minces,
Que fon bon Ange & fon Lutin
Ont envoyé dans ces Provinces.

Vous voyez, Monfeigneur, que l'envie de faire quelque chofe pour vous a réuni deux hommes bien différens.

L'un gras, rond, gros, court, féjourné
Citadin de Papimanic,

Porte un teint de Prédeftiné,

Avec la croupe rebondie.

Sur fon front, refpecté du tems,,

Une fraicheur toujours nouvelle,

Au bon Doyen de nos galans,

Donne une jeuneffe éternelle..

C'eft le frere du Duc de Vendôme. 11 étoit Grand Prieur de France, L'Abbé Courtin étoit un de fes amis, fils d'un Confeiller d'Etat, & homme de Lettres. Il étoit tel qu'on le dépeint ici.

L'autre dans Papefigue eft né,
Maigre, long, fec & décharné,
N'ayant eu croupe de fa vie,

Moins malin qu'on ne vous le dit ;
Mais peut-être de Dieu maudit,

Puifqu'il aime & qu'il verfifie.

Notre premier deffein étoit d'envoyer à Vorte Alteffe un Ouvrage dans les formes, moitié Vers, moitié Profe, comme en ufoient les Chapelles, les des Barreanx, les Hamiltons, contemporains de l'Abbé, & nos Maîtres. J'aurois prefque ajoûté Voiture, fi je ne craignois de fâcher mon Confrére, qui prétend, je ne fçai pourquoi, n'être pas affez vieux pour l'avoir vû.

Comme il y a des choses affez hardies à dire par le tems qui court; le plus fage de nous deux, qui n'eft pas moi, ne vouloit en parler qu'à condition qu'on n'en fçauroit rien.

Il alla donc vers le Dieu du mystère,

Dieu des Normands, par moi très-peu fêté,.
Qui parle bas, quand il ne peut se taire,
Baiffe les yeux & marche de côté.
Il favorife, & certes c'est dommage,
Force fripons; mais il conduit le fage..
Il est au Bal, à l'Eglife, à la Cour,
Au tems jadis il a guidé l'amour..

Malheureusement ce Dieu n'étoit pas à Sully ; il étoit en tiers, dit-on, entre. . . . & Madame de.... fans cela nous euffions achevé notre Ouvrage fous les yeux.

Nous

Nous euffions peint les Jeux voltigeans fur vos traces,
Et cet efprit charmant, au fein d'un doux loifir,

Agréable dans le plaifir,

Héroïque dans les difgraces.

Nous vous euffions parlé de ces bienheureux jours,
Jours confacrés à la rendreffe.

Nous vous euffions avec adreffe
Fait la peinture des Amours,
Et des Amours de toute efpécc.
Vous en euffiez vû de Paphos,
Vous en euffiez vû de Florence,
Mais avec tant de bienséance,
Que le plus âpre des dévots
N'en eût pas fait la différence.
Bacchus y paraîtroit de Tocane échauffé,
D'un bonnet de pampre coëffé,
Célébrant avec vous fa plus joyeuse Orgie,
L'imagination feroit à fon côté,

De fes brillantes fleurs ornant la voluptė
Entre les bras de la folic.

Petits foupers, jolis feftins,
Ce fut parmi vous que nâquirent
Mille vaudevilles malins,
Que les Amours à rire enclins,
Dans leurs fotifiers recueillirent,
Et que j'ai vûs entre leurs mains.
Ah! que j'aime ces Vers badins,
Ces riens naïfs & pleins de grace,
Tels que l'ingénieux Horace
En cût fait l'ame d'un repas,

Lorfqu'à table il tenoit fa place,

Avec Auguste & Mécénas.

Voilà un faible craïon du Portrait que nous vou¬

lions faire. Mais

Tome III.

E

Il faut être infpiré pour de pareils écrits,
Nous ne fommes point beaux efprits,
Et notre flageolet timide

Doit céder cet honneur charmant,
Au luth aimable, au luth galant
De ce Succeffeur de Clément,
Qui dans votre Temple réfide. *
Scachez donc que l'oifiveté
Fait ici notre grande affaire.
Jadis de la Divinité

C'étoit le partage ordinaire,
C'est le vôtre, & vous m'avouerez,
Qu'après tant de jours confacrés
A Mars, à la Cour, à Cithère,
Lorfque de tout on a tâté,

Tout fait, ou du moins tout tenté,

Il est bien doux de ne rien faire.

L'Abbé de Chaulien demeuroit au Temple, qui appartient aux Grands-Prieurs de France. C'étoit autrefois la demeure des Templiers.

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A MONSIEUR

L'ABBÉ DE CHAULIEU.

LETTRE

XVI. *

A VOUS, l'Anacreon du Temple ;

A vous le Sage fi vanté,

Qui nous prêchez la volupté,

Par vos Vers & par votre exemple;
Vous dont le luth délicieux,

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Quand la goute au lit vous condamne,
Rend des fons auffi gracicux

Que quand vous chantez la Tocane
Affis à la table des Dieux.

Je vous écris de Sully où Chapelle a demeuré, c'est-à-dire, s'eft enyvré deux ans de fuite. Je voudrois bien qu'il eût laissé dans ce Château un peu de fon talent Poëtique, cela accommoderoit fort ceux qui veulent vous écrire. Mais comme on prétend qu'il vous l'a laiffé tout entier, j'ai été obligé d'avoir recours à la magie donc vous m'avez tant parlé.

De Sully le 5. Juillet 1717.

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Cette Lettre mélce de profe & de vers, cft un des premiers ouvrages de notre Auteur. Chapelle, dont il eft ici question, étoit un homme d'un génie facile & libertin; il avoit beaucoup bu, ce qui fit beaucoup de tort à fa fánté, & enfin à fon cfprit.

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