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Et dans une tour affez fombre
Du Château qu'habita jadis
Le plus léger des beaux efprits,
Un beau foir j'évoquai fon ombre :
Aux Déités des fombres lieux
Je ne fis point de facrifice,

Comme ces fripons, qui des Dieux
Chantoient autrefois le fervice;
Où la Sorcière Pitonisse,
Dont la grimace & l'artifice
Avoient fait dreffer les cheveux
A ce fot Prince des Hébreux,
Qui crut bonnement que le Diable,
D'un Prédicateur ennuyeux,
Lui montroit le fpectre effroyable,
Il n'y faut point tant de façon,
Pour une ombre aimable & legére:
C'est bien aflez d'une chanson,
Et c'eft tout ce que je puis faire,
Je lui dis fur mon violon:
Eh! de grace, Monfieur Chapelle s
Quittez le manoir de Pluton,
Pour cet enfant qui vous appelle;
Mais non, fur la voûte éternelle
Les Dieux vous ont reçu, dit-on,
Et vous ont mis entre Apollon
Et le fils jouflu de Semele.

Du haut de ce divin canton,
Defcendez, aimable Chapelle
Cette familiére Oraison,
Dans la demeure fortunée
Reçut quelque approbation;
Car enfin, quoique mal tournée,
Elle étoit faite en votre nom.
Chapelle vint. A fon approche,

Je fentis un transport soudain ;
Car il avoit fa lire en main.
Er fon Gaffendi * dans fa poche;
Il s'appuyoit fur Bachaumon,
Qui lui fervit de compagnon
Dans le récit de ce voyage,

Qui, du plus charmant badinage,

Fut la plus charmante leçon.

Je lui demandai comme il s'y prenoit autrefois Jans le monde,

Pour chanter toujours fur fa lyre
Ces Vers aifés, ces Vers coulans,
De la nature heureux enfans,
Où l'Art ne trouve rien à dire.
L'Amour me dit-il, & le vin,
Autrefois me firent connaître
Les graces de cet Art Divin:
Puis à Chaulieu l'Epicurien

Je fervis quelque tems de Maitre ;
11 faut que Chaulien foit le tien.

Gaffendi avoit élevé la jeuneffe de Chapelle, qui devint grand "Partifan du Systême de Philofophie de fon Précepteur. Toutes les fois qu'il s'enyvroit, il expliquoit le Svftême aux Convives, & lorfqu'ils étoient fortis de table, il continuoit la leçon au Maître-d'Hótel.

INS

A MONSIEUR

DE FONTENELLE.

LETTRE XVIII. *

Es Dames qui font à Villars, Monfieur fe

vaudroit mieux que ce fût par vos Eglogues, & nous les verrions plus volontiers ici Bergéres, que Philofophes. Elles mettent à obferver les Aftres un tems qu'elles pourroient beaucoup mieux employer; & comme leurs goûts décident des nôtres, nous nous fommes tous faits Phyficiens pour l'amour d'elles.

Le foir fur des lits de verdure,
Lits que de fes mains la nature,
Dans ces jardins délicieux,

Forma pour une autre aventure,

Nous brouillons tout l'ordre des Cieux;

Nous prenons Venus pour Mercure;

Car vous faurez qu'ici l'on n'a,

Pour examiner les Planettes,

Au lieu de vos longues lunettes,

Que des lorgnettes d'Opéra.

Comme nous paffons la nuit à obferver les Etoiles, nous négligeons fort le Soleil, à qui nous ne ren

* De Villars le 1. Septembre 1720.

dons vifite que lorsqu'il a fait deux tiers de fon tour. Nous venons d'apprendre tout-à-l'heure qu'il a paru de couleur de fang tout le matin ; qu'enfuite, fans que l'air fût obfcurci d'aucun nuage, il a perdu fenfiblement de fa lumiére & de fa grandeur. Nous n'avons fçu cette nouvelle que fur les cinq heures du foir. Nous avons mis la tête à la fenêtre, & nous avons pris le Soleil pour la Lune, tant il étoit pâle. Nous ne doutons point que vous n'ayïez vû`la même chofe à Paris.

C'eft à vous que nous nous adreffons, Monsieur, comme à notre Maître. Vous fçavez rendre aimable les chofes que beaucoup d'autres Philofophes rendent à peine intelligibles; & la nature devoit à la France & à l'Europe un homme comme vous, pour corriger les Sçavans, & pour donner aux ignorans le goût des fciences.

Or dites-nous donc, Fontenelles,
Vous, qui par un vol imprévû,
De Dédale prenant les ailes,
Dans les Cieux avez parcouru
Tant de carriéres immortelles,
Où Saint Paul avant vous a vù
Force beautés furnaturelles,
Dont très-prudemment il s'eft tu.
Du Soleil par vous fi connu,
Ne fçavez-vous point de nouvelles?
Pourquoi fur un char tout fanglant
A-t-il commencé fa carrière ?

Pourquoi perd-il, påle & tremblant,
Et fa grandeur & fa lumière ?

Que dira le Boulainvilliers ⋆

Sur ce terrible phénoméne ?
Va-t-il a des Peuples entiers
Annoncer leur perte prochaine ?
verrons-nous des incurfions,

Des Edits, des Guerres fanglantes,
Quelques nouvelles Actions,
Ou le retranchement des Rentes?
Jadis quand vous étiez Pasteur,
On vous cût vù fur la fougére
A ce changement de couleur,
Du Dicu brillant qui nous éclaire,
Annoncer à votre Bergére

Quelque changement dans fon cœur..
Mais depuis que votre Apollon
voulut quitter la Bergerie,

Pour Euclide & pour Varignon,
Et les rubans de Celadon,
Pour l'Aftrolabe d'Uranie,

Vous nous parlerez le jargon
De calcul, de réfraction.

Mais daignez un peu, je vous prie
Si vous voulez parler raifon,
Nous l'habiller en Poëfie :

Car fçachez que dans ce canton

Un trait d'imagination

Vaut cent pages, d'Aftronomie..

Le Comte de Boulainvilliers, homme d'une grande erudition, mais qui avoit la faibleffe de croire à l'AftroTogie. Le Cardinal de Fleury difoit de lui, qu'il ne connaiffoit ni l'avenir, ni le paffé, ni le préfent. Cependant il a fait de très-belles recherches für l'Hiftoire de France.

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