LETTRE II. *
EH bien, mauvais plaifans, Critiques obstinés,
Prétendus Beaux-Efprits à médire acharnés ; Qui parlant fans penfer, fiers avec-ignorance, Mettez légèrement les Rois dans la balance; Qui d'un ton décifif, aussi hardi que faux Affurez qu'un Sçavant ne peut être un Héros 5 Ennemis de la gloire & de la Poësie,
Grands Critiques des Rois, allez en Siléfie. Voyez cent bataillons près de Neiff écrasés : C'est là qu'eft mon Héros. Venez, fi. vous l'ofez: C'est lui-même; c'eft lui, dont l'ame univerfelle Courut de tous les Arts la carriére immortelle ; Lui qui de la nature a vû les profondeurs, Des Charlatans dévots confondit les erreurs; Lui qui dans un repas, fans foins & fans affaire, Paffoit les ignorans dans l'art heureux de plaire; Qui fçait tout, qui fait tout, qui s'élance à grands pas Du Parnaffe à l'Olympe, & des Jeux aux Combats. Je fçai que Charles douze, & Gustave, & Turenne, N'ont point bû dans les eaux qu'épanche l'Hypocrène. * Ce 20. Avril 1741.
Mais enfin ces Guerriers, illuftres ignorans, En étant moins polis, n'en étoient pas plus grands. Mon Prince eft au-deffus de leur gloire vulgaire, Quand il n'eft point Achille, il fçait être un Homére, Tour-à-tour la terreur de l'Autriche & des fots, Fertile en grands projets auffi-bien qu'en bons mots, Et s'il fe moque un peu de Genève & de Rome, Il parle, agit, combat, écrit, regne en grand-homme. O vous, qui prodiguez l'efprit & les vertus ! Reposez-vous, mon Prince, & ne m'effrayez plus; Et quoique vous fçachiez tout penser & tout faire, Songez que les boulets ne vous respectent guére, Et qu'un plomb dans un tube entaffé par des fots, Peut caffer d'un feul coup la tête d'un Héros, Lorfque multipliant fon poids par fa vîtefle
11 fend l'air qui réfifte, & pouffe autant qu'il preffe. Eh! que devient alors ce fouffle, cet efprit, Ce résultat des fens & d'un corps qui périt, Cet être fi vanté, qui fe cherche & s'ignore, Semblable au feu qui luit, s'éteint & s'évapore? Un dur Anatomifte, éléve d'Atropos,
Viendroit, Scalpel en main, difféquer mon Héros; La voilà, diroit-il, cette cervelle unique, Si belle, fi féconde & fi philosophique. Il montreroit aux yeux les fibres de ce cœur Généreux, bienfaifant, jufte, plein de grandeur. Il couperoit.... mais non ces horribles images Ne doivent point fouiller les lignes de nos pages. Confervez, ô mes Dieux ! l'aimable Fréderic,
Pour fon bonheur, pour moi, pour le bien du Public. Tome III.
Vivez, Prince, & paffez dans la paix, dans la guerre, Sur-tout dans les plaifirs, tous les Ics de la terre, Théodoric, Ulric, Genferic, Alaric,
Donc aucun ne vous vaut, felon mon pronoftic. Mais lorsque vous aurez de victoire en victoire Arrondi vos Etats ainsi que votre gloire, Daignez vous fouvenir que ma tremblante voix, En chantant vos vertus, préfagea vos exploits. Songez bien qu'en dépit de la grandeur suprême, Votre main mille fois m'écrivoit, je vous aime. Adieu, Grand Politique & rapide Vainqueur, Trente Etats fubjugués ne valent point un cœur.
LETTRE III.
Du Héros de la Germanie
Et du plus bel efprit des Rois, Je n'ai reçu depuis trois mois Ni beaux Vers, ni Profe polie; Ma Muse en eft en létargie.
* A Paris ce 1. Novembre 1744. ¡
Je me réveille aux fiers accens De l'Allemagne ranimée, Aux fanfares de votre armée, A vos tonnerres menaçaas, Qui se mêlent aux cris perçans- Des cent voix de la Renommée. Je vois de Berlin à Paris, Cette Deeffe vagabondé, De Fréderic & de Louis
Porter les noms au bout du monde; Ces noms que la gloire a tracés Dans un cartouche de luntiére; Ces noms qui répondent affez Du bonheur de l'Europe entiére, S'ils font toujours entrelaffés:
Quels feront les heureux Poëtes, Les Chantres boutsouffés des Rois, Qui pourront élever leurs voix, Et parler de ce que vous faites? C'est à vous feul de vous chanter, Vous qu'en vos mains j'ai vû porter" La Lyre & la Lance d'Achille; Vous qui rapide en votre style Comme dans vos exploits divers Faites de la Profe & des Vers, Comme vous prenez une Ville. D'Horace, heureux imitateur, Sa gaité, fon efprit, få grace, Ornent votre style enchanteur; Mais votre Muse le furpaffe
Dans un point cher à notre cœur L'Empereur protégeoit Horace, Et vous protégez l'Empereur. Fils de Mars & de Calliope, Et digne de ces deux grands noms, Faite le deftin de l'Europe, Et daignez faire des Chansons; Et quand Thémis avec Bellone, Par votre main raffermira Des Céfars le funefte Trône; Quand le Hongrois cultivera A l'abri d'une Paix profonde, Du Tokai la vigne féconde; Quand par-tout fon vin se boira, Qu'en le bûvant on chantera Les Pacificateurs du monde; Mon Prince à Berlin reviendra, Mon Prince à fon Peuple qui l'aime, Libéralement donnera
Un nouvel & bel Opéra, Qu'il aura compofé lui-même. Chaque Auteur vous applaudira; Car tout envieux que nous fommes Et du mérite & d'un grand nom, Un Poëte est toujours fort bon A la tête de cent mille hommes. Mais, croyez-moi, d'un tel fecours Vous n'avez pas besoin pour plaire, Fuffiez-vous pauvre comme Homére, Comme lui vous vivrez toujours
« PrécédentContinuer » |