Images de page
PDF
ePub

LE

TEMPLE

DU

GOÛT.

249

LE

TEMPLE

DU

GOÛ T. *

LE Cardinal, Oracle de la France,

Non ce Mentor qui gouverne aujourd'hui,
Mais ce Neftor qui du Pinde eft l'appui,
Qui des Sçavans a paffé l'espérance,
Qui les foutient, qui les anime tous,
Qui les éclaire, & qui regne fur nous.
Par les attraits de fa douce éloquence;
Ce Cardinal, qui fur un nouveau ton,
En Vers Latins fait parler la Sageffe,
Réuniffant Virgile avec Platon,

Vengeur du Ciel, & vainqueur de Lucréce. +

*Cet Ouvrage fut compofé en 1731. Il en a été fait plufieurs éditions; celle-ci eft incomparablement la meil leure & la plus correcte.

+ M. le Cardinal de Polignac a compofé un Poëme Latin Contre Lucréce. Tous les Gens de Lettres connaiffent ces. vers qui font au commencement:

Pieridum fi forte lepos auftera canentes

Deficit, eloquio viði, re vincimus ipfä.

Ce Cardinal enfin, que tout le monde doit reconnaître à ce portrait, me dît un jour qu'il vouloit que j'allaffe avec lui au Temple du Goût. C'eft an féjour, me dit-il, qui reffemble au Temple de l'Amitié, dont tout le monde parle, où peu de gens vout, & que la plûpart de ceux qui y voyagent n'om prefque jamais bien examiné.

Je répondis avec franchife:
Hélas! je connais affez peu
Les Loix de cet aimable Dieu;
Mais je fçai qu'il vous favorife;
Entre vos mains il a remis
Les Clefs de fon beau Paradis

Et vous êtes, à mon avis,
Le vrai Pape de cette Eglife.
Mais de l'autre Pape & de vous
Dût Rome fe mertre en courroux
La différence eft bien vifible;

Car la Sorbonne ofe affurer

Que le Saint Pere peut errer,
Chofe, à mon fens, affez poffible;
Mais pour moi, quand je vous entens,
D'un ton fi doux & fi plaufible,
Débiter vos difcours brillans,

Je vous croirois prefque infaillible.

Ah! me dit-il, l'infaillibilité eft à Rome pour les chofes qu'on ne comprend point, & dans le Temple du Goût, pour les chofes que tout le monde croit entendre. Il faut abfolument que vous veniez avec moi. Mais, infiftai-je encore, fi vous me meBez avec vous, je m'en yanterai à tout le monde.

Sur ce petit Pélerinage,
Auffi-tôt on demandera

Que je compofe un gros Ouvrage,
Voltaire fimplément fera
Un récit court, qui ne fera
Qu'un très-frivole badinage.
Mais fon récit on frondera ;
A la Cour on murmurera;
Et dans Paris on me prendra
Pour un vieux conteur de voyage,
Qui vous dit, d'un air ingénu,
Ce qu'il n'a ni vù ni connu,

Et qui vous ment à chaque page.

Cependant, comme il ne faut jamais se refuser un plaifir honnête, dans la crainte de ce que les autres en pourront penser, je suivis le guide, qui me faifoit l'honneur de me conduire,

Aimable Abbé vous fûtes du voyage,
Vous que le goût ne ceffe d'infpirer,
Vous dont l'efprit fi délicat, fi fage,
Vous dont l'exemple á daigné me montrer
Par quels chemins on peut, fans s'égarer,
Chercher ce Goût, ce Dieu que dans cer âge
Maints beaux efprits font gloire d'ignorer.

Nous rencontrâmes en chemin bien des obftacles.. D'abord nous trouvâmes Meffieurs Baldus, Scioppius, Lexicocraffus, Scriblerius, une nuée de Commentareurs , qui reftituoient des Paffages. & qui compiloient de gros Volumes, à propos d'un met qu'ils rentendoient pas.

« PrécédentContinuer »