Images de page
PDF
ePub

Je pourrois décrire ce Temple,
Et détailler les ornemens

Que le Voyageur y contemple;
Mais n'abufons point de l'exemple
De tant de faifeurs de Romans,
Sur-tout fuyons le verbiage
De Monfieur de Félibien,

Qui noie éloquemment un rien
Dans un fatras de beau langage,
Cet édifice précieux

N'eft point chargé des Antiquailles:
Que nos très-gotiques Aïeux
Entaffoient autour des murailles

De leurs Templès groffiers comme eux..
Il n'a point les défauts pompeux
De la Chapelle de Verfaille,
Ce colificher faftueux,

Qui du peuple éblouit les yeux,

Et dont le connaiffeur fe raille.

Il eft plus aifé de dire ce que ce Temple n'est pas, que de faire connaître ce qu'il eft. J'ajoûterai seule»ment en général, pour éviter la difficulté :

Simple en étoit la noble Architecture ;.
Chaque ornement, à fa place arrêté,

Y fembloit mis par la néceffité;

L'art s'y cachoir, fous l'air de la nature,
L'oeil fatisfait embraffoit sa structure,

Jamais furpris, & toujours enchanté..

[ocr errors]

Le Temple étoit environné d'une foule de Virtuos Les d'Artiftes, & de Juges de toute espéce, qui s'efforçoient d'entrer mais qui n'entroient point.. Tome III..

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Car la Critique, à l'œil févére & jufte,
Gardant les clefs de cette porte augufte,
D'un bras d'airain fiérement repouffoit
Le Peuple Goth, qui fans ceffe avançoit.

Oh! que d'hommes confidérables, que de gens du bel air, qui président hi impérieusement à de peites fociétés, ne font point reçus dans ce Temple !

On ne voit point dans fon pourpris
Les Cabales toujours mutines
De ces prétendus beaux efprits,
Qu'on vit foutenir dans Paris
Les Pradons & les Scudéris, *
Contre les immortels Ecrits

Des Corneilles & des Racines.

On repoufloit auffi rudement ces ennemis obfcurs. de tout mérite éclatant, ces infectes de la fociété, qui ne font apperçus, que parce qu'ils piquent. Ils auroient envié également Rocroy au grand Condé, Denain à Villars, & Poliente à Corneille. Ils auroient exterminé le Brun, pour avoir fait le Tableau de la Famille de Darius. Ils ont forcé le cé

* Scudéri étoit, comme de raifon, ennemi déclaré de Corneille. Il avoit une Cabale qui le mettoit fort au-deffus de ce Pere du Théâtre. Il y a encore un mauvais Ouvrage de Sarrafin, fair pour prouver que je ne fçai quelle Piéce de Scud ri, nommée l'Amour Tyrannique, étoit le Chefd'oeuvre de la Scéne Françaife. Ce Scudéri fe vantoit qu'il y avoit eu quatre Portiers tués à une de fes Pièces, & il difoit qu'il ne céderoit à Corneille, qu'en cas qu'on eût tué cinq Portiers au Cid & aux Horaces.

A l'égard de Pradon, on fçait que fa Phédre fur d'abord beaucoup mieux reçue que celle de Racine, & qu'il fallut du tems pour faire céder la Cabale au mérite..

lébre le Moine à fe tuer, pour avoir fait l'admirable Salon d'Hercule. Ils ont toujours dans les mains la ciguë, que leurs pareils firent boire à So

crate.

L'orgueil les engendra dans les flancs de l'envie.
L'intérêt, le foupçon, l'infâme calomnic,
Et fouvent les Dévots, monftres plus odieux,
Eutr'ouvrent en fecret, d'un air mystérieux,
Les portes des Palais à leur Cabale impie.
C'est là que d'un Midas ils fafcinent les yeux.
Un fat leur applaudit, un méchant les appuie.
Le mérite indigné qui fe tait devant eux,

1

Verfe en fecret des pleurs que le tems feul effuye.

Ces lâches perfécuteurs s'enfuirent en voyant paraître mes deux guides. Leur fuite précipitée fit place à un fpectacle plus plaifant : c'étoit une foule d'Ecrivains de tout rang, de tout état, & de tout âge, qui gratoient à la porte, & qui príoient la Critique de les laiffer entrer. L'un apportoit un Roman Mathématique, l'autre une Harangue à l'Académie : celui-ci venoit de compofer une Comédie Métaphyfique; celui-là tenoit un petit Recueil de fes Poëfies, imprimé depuis long tems incognito, avec une longue Approbation & un Privilége; cet autre venoit présenter un Mandement en ftyle précieux, & étoit tout furpris qu'on fe nuit à rire, au lieu de lui demander fa bénédiction. Je fuis le Révérend Pere. difoit l'un faite un peu place à Monseigneur, difoit l'autre.

...

*

Beaucoup de mauvais Livres imprimés avec des ap probations pleines d'éloges.

Un raisonneur, avec un fauffer aigre,
Crioit: Meffieurs, je fuis ce Juga intégre,
Qui toujours parle, argue & contredit;
Je viens fier tout ce qu'on applaudit.
Lors la Critique apparut, & lui dit:
Ami Bardou, vous êtes un grand Maître,
Mais n'entrerez en cet aimable lieu.
Vous y venez pour fronder notre Dieu ;.
Contentez-vous de ne le pas connaître.

M. Bardou fe mit alors à crier : Tout le mondeeft trompé, & le fera. Il n'y a point de Dieu du Goût, & voici comme je le prouve. Alors il propofa, il divifa, il subdivisa, il distingua, il résuma; personne ne l'écouta ; & l'on s'empreffoit à la Forte plus que jamais.

Parmi les flots de la foule infenfee,-
De ce parvis obftinément chaffée,
Tout doucement venoit la Motte-Houdard,
Lequel difoit d'un ton de Papelard;

Ouvrez, Meffieurs, c'cft mon Oedipe en prose ; *
Mes Vers font durs, d'accord; mais forts de chose.
De grace ouvrez ; je veux à Despréaux

Contre les Vers, dire avec goût deux mots..

Le Critique le reconnut, à la douceur de fon main

Houdard de la Motte fit en 1728, un Oedipe en Profe. & un Oedipe en Vers. A l'égard de fon Oedipe en Profe perfonne, que je fcache, n'a pù le lire. Son Oedipe en Vers fut joué trois fois. Il eft imprimé avec. fes autres Oeuvres Dramatiques, & l'Auteur a eu foin de mettre dans un Avertiffement, que cette Piéce a été interrompue au milieu du plus grand fuccès. Cet Auteur a fair d'autres Quvrages eftimés, quelques Odes très-belles, de jolis Opera, & des Differtations très-bien écrites..

tion & à la dureté de fes derniers Vers, & elle le laiffa quelque tems entre Perrault & Chapelain, qui affiégeoient la porte depuis cinquante ans, en criant contre Virgile.

Dans le moment arriva un autre Verfificateur, fou tenu par deux petits Satyres, &.couvert de lauriers & de chardons.

Je viens, dit-il, * pour rire & pour m'ébattre
Me rigolant, menant joyeux déduit,

Et jufqu'au jour, faifant le Diable à quatre.

Qu'est-ce que j'entens là, dit la. Critique. C'eft moi, reprit le rimeur. J'arrive d'Allemagne pour vous voir, & j'ai pris la saison du printems.

Car les jeunes Zéphirs, de leurs chaudes haleines,
Ont fondu l'écorce des eaux. +

Plus il parloit ce langage, moins la

Quoi ! l'on me prend donc, dit-il,

[blocks in formation]

Pour une grenouille aquatique,
Qui du fonds d'un petit thorax,
Va chantant.pour toute Mufique,
Brekeke, kake, koax, koax, koax?

Ah! bon Dieu, s'écria là Critique, quel horrible jargon Elle ne pût d'abord reconnaître celui qui s'exprimoit ainfi ; on lui dit que c'étoit Roussean

Vers de Rouffeau.

+ Id. Ibid.

Vers de Rouffean

« PrécédentContinuer »