dont les Muses avoient changé la voix en punition de ses méchancetés : elle ne pouvoit le croire, & refufoit d'ouvrir. Il s'écrioit en rougiffant : Adouciffez cette rigueur extrême, Je viens chercher Marot, mon compagnon. En tout pays, en tout tems abhorré, La Critique entendit ces paroles, rouvrit sa porte, & parla ainfi : Rouffeau, connais mieux la Critique, Je fuis jufte, & ne fus jamais Thémis te donna le guerdon; Par Arrêt, ta Mufe eft bannie, t * Confeiller d'Etat, homme d'un mérite reconnu dans Europe, & Protecteur des Sciences. Rouffeau avoit fait contre lui quelques mauvais Vers. + On fait que Rouffeau fut condamné à l'amende honorable & au banniffement perpétuel, pour des Cou plets infâmes faits contre fes Amis, & dont il accufa le Sieur Saurin de l'Académie des Sciences d'être l'Auteur. Les Curieux ont confervé les Piéces de ce Procès. Le Fatum de Rouffeau patle pour être extrêmement mal écrit. Celui de M. Saurin eft un Chef-d'oeuvre d'efprit & d'éloquence. Rouffeau banni de France, s'eft brouillé avec tous fes Protecteurs, & a continué de déclamer inutilement Pour certains couplers de Chanfon, , Des Vers Tudefques qu'il renie. Après avoir donné cet avis, la Critique décida que Rouleau pafferoit devant la Motte, en qualité de verfificateur; mais que la Motte auroit le pas, toutes les fois qu'il s'agiroit d'efprit & de raison. Ces deux hommes fi différens n'avoient pas fait quatre pas, que l'un pâlit de colère, & l'autre treffaillit de joie, à l'aspect d'un homme qui étoit de- ́ puis long rems dans ce Temple, tantôt à une place, tantôt à une autre. C'étoit le difcret Fontenelle, Une clarté douce & nouvelle.. Dans ces lieux où le Goût tenoit contre ceux qui faifoient honneur à la France par leurs Ouvrages comme Meffieurs de Fontenelle Crébillon, Deftouches, Dubos, &c.. Le fiége heureux de fon Empire ; Avec Mairan il raisonnoit Eh quoi! cria. Rousseau, je verrai ici cet homme contre qui j'ai fait tant d'Epigrammes ? Quoi ! le bon Goût fouffrira dans fon Temple l'Auteur des Lettres du Ch. d'Her, d'une Paffion d'Automne, d'un Clair de Lune, d'un Ruisseau Amant de la Prairie, de la Tragédie d'Afpar, d'Endymion, &c? Eh, non, dit la Critique, ce n'est pas l'Auteur de tout cela que tu vois, c'est celui des Mondes, Livre qui auroir dû. t'inftruire; de Thétis & de Pelée, Opéra qui excite inuti❤ lement ton envie; de l'Hiftoire de l'Académie des Sciences, que tu n'es pas à portée d'entendre. Rouffeau alla faire une Epigramme, & Fontenelle le regarda, avec certe compaffion philofophique qu'un efprit éclairé & étendu ne peut s'empêcher d'avoir pour un homme qui ne fçait que.rimer, & il alla prendre paisiblement fa place entre Lucréce & Leibnitz. * Je demandai, pourquoi Leibnitz étoit là? On me * Leibnitz, né à Leipfick le 23. Juin 1646. mort à Hanovre le 14. Nov. 1716: Nul homme de Lettres n'a fait tant d'honneur à l'Allemagne. Il étoit plus univerfel que Nevvton, quoiqu'il n'ait peut-être pas été. fi grand Mathématicien. Il joignit à une profonde étude de toutes les parties de la Phyfique, un grand goût pour les BellesLettres il faifoit même des Vers. Français. Il a paru s'égarer en Méraphyfique; mais il a celá de commun avec tous ceux qui ont voulu faire des Syftêmes. Au refte, il dût fa fortune à fa réputation. Il joüiffoit de groffes penfons de l'Empereur d'Allemagne, de celui de Mofcovie, du Roi d'Angleterre, & de plufieurs autres Souve-rains. répondit: répondit, , que c'étoit pour avoir fait ́d'assez bons Vers Latins, quoiqu'il fût Métaphyficien & Géométre; & que la Critique le fouffroit en cette place pour tâcher d'adoucir, par cet exemple, l'efprit dur de la plupart de fes Confréres. Cependant la Critique fe tournant vers l'Auteur des Mondes, lui dit : Je ne vous reprocherai pas certains Ouvrages de votre jeuneffe, comme font ces Cyniques jaloux; mais je fuis la Critique, vous êtes chez le Dieu du Goût, & voici ce que je vous dis de la part de ce Dieu, du public, & de la mienne; car nous fommes, à la longue, toujours tous trois d'accord. Votre Mufe, fage & riante Devroit aimer un peu moins l'art ; Sa couleur eft affez brillante. A l'égard de Lucréce, il rougit d'abord en voyant le Cardinal fon ennemi; mais à peine l'eûtil entendu parler ; qu'il l'aima. Il courut à lui, & lui dit en très-beaux Vers Latins > ce que je traduís ici en affez mauvais Vers Français. Aveugle que j'étois, je crus voir la nature. gue de Lucréce. Tous les Poëtes Latius qui étoient là, le prirent pour un ancien Romain à fon air & à fon ftyle; mais les Poëtes Français font fort fâchés qu'on faffe des Vers dans une Langue qu'on ne parle plus, & difent que puifque Lucréce, né à Rome, embelliffoit Epicure en Latin; fon adversaire, né à Paris, devoit le combattre en Français. Enfin, après beancoup de ces retardemens agréables, nous arrivâmes jufqu'à l'Autel, & jufqu'au Trône du Dieu du Goût. Je vis ce Dieu, qu'en vain j'implore, 11 fe plaifoit à confulter Qui de l'art ne font point captives, Il est toujours environné De leur troupe tendre & légere; C'est par leurs mains qu'il eft orné |