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par des pointes & des jeux de mots, dont ils rougif. fent eux-mêmes le moment d'après. Je cherchois le fameux Comte de Buffy. Madame de Sévigné, qui est aimée de tous ceux qui habitent le Temple, me dit que fon cher coufin, homme de beaucoup d'efprit, un peu trop vain, n'avoit jamais pû réussir à donner au Dieu du Goût cet excès de bonne opinion que le Comte de Buffy avoit de Meffire Roger de Rabutin.

Bufi, qui s'eftime & qui s'aime
Jufqu'au point d'en être ennuyeux,
Eft cenfuré dans ces beaux lieux,
Pour avoir d'un ton glorieux
Parlé trop fouvent de lui-même, *
Mais fon fils, fon aimable fils,
Dans le Temple est toujours admis;
Lui, qui, fans flatter, fans médire,
Toujours d'un aimable entretien,
Sans le croire, parle auffi-bien
Que fou pere croyoit écrire.

Souvent rien n'eft fi plat que fa Poëfie.

Nous trouvâmes près Sercotte,
Cas étrange & vrai pourtant,
Des Baufs qu'on voyoit broutant,
Deffus le haut d'une Motte;
Et plus bas quelques Cochons,
Et bon nombre de Moutons.

Cependant Voiture a été admiré, parce qu'il eft venn dans un tems où l'on commençoit à fortir de la barbarie, & où l'on couroit après l'efprit fans le connaitre. I eft vrai que Despréaux l'a comparé à Horace; mais Defpréaux étoit alors jeune. Il payoit volontiers ce tribut à la réputation de voiture, pour attaquer celle de Chapelain, qui paffoit alors pour le plus grand génie de l'Europe.

Il écrivit au Roi:,, Sire, un homme comme moi,

Je vis arriver en ce lieu

Le brillant Abbé de Chaulieu,

Qui chantoit en fortant de table.
11 ofoit careffer le Dieu,

D'un air familier, mais aimable.
Sa vive imagination

Prodiguoit dans fa douce yvreffe
Des beautés fans correction, *
Qui choquoient un peu la jufteffe,
Mais refpiroient la paffion.

La Farre, t avec plus de molleffe,

,, qui a de la naiffance, de l'efprit & du courage. j'ai de la naiffance, & l'on dit que j'ai de l'efprit pour faire eftimer ce que je dis."

"

"

* L'Abbé de Chaulien dans une Epître au Marquis de la Farre, connue dans le Public fous le titre du Déiste »

dit:

J'ai vu de près le Styx; j'ai vu les Euménides ;
Déja venoient frapper mes oreilles timides

Les affreux cris du Chien de l'Empire des Morts.

Le moment d'après il fait le portrait d'un Confeffeur, & parle d'un Dieu d'Ifraël. Dans une autre Piéce fur la Divinité, il dit :

D'un Dieu, moteur de tout, j'adore l'existence ;
Ainfi l'on doit passer avec tranquillité

Les ans que nous départ l'aveugle destinée.

On trouve dans fes Poëfies beaucoup de contradictions pareilles. Il n'y a pas trois Piéces écrites avec une correction continue; mais les beautés de fentiment & d'imagination qui y font répandues, en rachetent les dé

faut.

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L'Abbé de Chaulien mourut en 1720. âgé de près de quatre-vingts ans, avec beaucoup de courage d'efprit. + Le Marquis de la Farre Auteur des Mémoires qui portent fon nom & de quelques Pièces de Poëfe, qui refpirent la douceur de fes moeurs étoit plus aimable homme, qu'aimable Poëte. Il eft mort en 1718. fes Poëfics font imprimées à la fuite des Oeuvres de l'Abbé de Chaulieu, fon intime ami, avec une Préface très-parriale & pleine de défauts.

En baiflant fa lyre d'un ton,

Chantoit auprès de fa Maîtreffe
Quelques Vers fans précifion,
Que le plaifir & la pareffe
Dictoient fans l'aide d'Apollon.
Auprès d'eux, le vif Hamilton, *
Toujours armé d'un trait qui blesse,
Médifoit de l'humaine espèce,
Et inême d'un peu mieux, dit-on.
L'aifé, le tendre Saint Aulaire,
Plus vieux encor qu'Anacréon,
Avoir une voix plus légere.

On voyoit les fleurs de Cithére,
Et celles du facré Vallon

Orner fa tête octogénaire.

Le Dieu aimoit fort tous ces Meffieurs, & furtout ceux qui ne fe piquoient de rien; il avertifloit Chaulieu de ne fe croire que le premier des Poëtes négligés, & non pas le premier des bons Poëtes.

Ils faifoient converfation avec quelques uns des plus aimables hommes de leur tems. Ces entretiens n'ont ni l'affectation de l'Hôtel de Rambouillet, tumulte qui regne parmi nos jeunes étourdis.

On y fçait fuir également
Le précieux, le pédantifme,
L'air empefé du fyllogifme,

Et l'air fou de l'emportement.

ni le

Le Comte Antoine Hamilton, né à Caën en Normandie, a fait des Vers pleins de feu & de légèreté. Il étoit fort fatyrique. M. de S. Aulaire, à l'âge de plus de 90. ans, faifoit encore des Chanfons aimables.

tDefpréaux alla réciter fes Ouvrages à l'Hôtel de Rambouillet. Il y trouva Chapelain, Cottin & quelques gens de pareil goût, qui le reçurent fort mal.

C'eft là qu'avec grace on allie
Le vrai fçavoir à l'enjoûment,
Et la jufteffe à la faillie.
L'efprit en cent façons fe plie.
On fçait lancer, rendre, effuyer
Des traits d'aimable raillerie;
Le bon fens, de peur d'ennuyer,
Se déguise en plaifanterie.

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Là fe trouvoit Chapelle, ce génie plus débauché encore que délicat plus naturel que poli, facile dans fes Vers, incorrect dans fon ftyle, libre dans fes idées. Il parloit toujours au Dieu du Goût fur les mêmes rimes. On dit que ce Dieu lui répondit un jour :

Réglez mieux votre paffion
Pour ces fyllabes enfilées,
Qui chez Richelet étalées >
Quelquefois fans invention,
Difent avec profufion

Dès riens en rimes redoublées.

Ce fut parmi ces hommes aimables, que je rencontrai le Président de Maisons, homme très-éloigné de dire des riens, homme aimable & folide, qui avoit aimé tous les Arts.

O tranfports! O plaifirs! O momens pleins de charmes !
Cher Maifons, m'écriai-je, en l'arrofant de larmes,
C'est toi que j'ai perdu, c'eft toi que le trépas
A la fleur de tes ans vint frapper dans mes bras.

La mort, l'affreufe mort fut fourde à ma prière.
Ah! puifque le deftin nous vouloit féparer,
C'étoit à toi de vivre, à moi feul d'expirer.
Hélas! depuis le jour où j'ouvris la paupière,
Le Ciel pour mon partage a choifi les douleurs,
féme de chagrins ma pénible carriére.

La tienne étoit brillante & couverte de fleurs.
Dans le fein des plaifirs, des arts & des honneurs,
Tu cultivois en paix les fruits de ta fageffe,
Ta vertu n'étoit point l'effet de ta faibleЛe.
Je ne te vis jamais offufquer ta raison

Du bandeau de l'exemple & de l'opinion.

L'homme eft né pour l'erreur ; on voit la molle argile,
Sous la main du Potier, moins fouple & moins docile,
Que l'ame n'eft flexible aux préjugés divers,
Précepteurs ignorans de ce faible Univers.

Tu bravas leur empire, & tur ne sçus te rendre
Qu'aux paifibles douceurs de la pure amitié 5
Et dans toi la nature avoit affocié

A l'efprit le plus ferme, un coeur facile & tendre.

Parmi ces gens d'efprit, nous trouvâmes quelques Jéfuites. Un Janfénifte dira que les Jéfuites fe fourent partout; mais le Dieu du Goût reçoit auffi leurs ennemis, & il eft affez plaifant de voir dans ce Temple Bourdaloue, qui s'entretient avec Pascal fur le grand art de joindre l'éloquence au raifonnement. Le P. Bouhours eft derriére eux, marquant fur des tablettes toutes les fautes de langage, & toutes les négligences qui leur échappent..

Le Cardinal ne put s'empêcher de dire au Pere Bouhours:

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