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Quittez d'un Cenfeur pointilleux
La pédantefque diligence;
Aimons jufqu'aux défauts heureux
De leur måle & libre éloquence.
J'aime mieux errer avec eux,
Que d'aller, Cenfeur fcrupuleux,
Pefer des mots dans ma balance.

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Cela fut dit avec beaucoup plus de politeffe, que je ne le rapporte ; mais nous autres Poëtes nous fommes fouvent très-impolis pour la commodité de la rime.

Je ne m'arrêtai pas dans ce Temple à voir les feuls beaux efprits.

vers enchanteurs, exacte Profe,
Je ne me borne point à vous.

N'avoir qu'un Goût eft peu de chofe.
Beaux Arts, je vous invoque tous!

Mufique, Danse, Architecture,
Art de graver, docte Peinture,
Que vous m'infpirez de défirs!
Beaux Arts, vous êtes des plaifirs;

Il n'en eft point qu'on doive exclure.

Je vis les Mufes préfenter tour-à-tour fur l'Autel du Dieu, des Livres, des Deffeins, & des Plans de toute espéce. On voit fur cet Autel le Plan de cette belle Façade du Louvre, dont on n'est point redevable au Cavalier Bernin, qu'on fit venir inutilement en France avec tant de frais, & qui fut construite par Perrault & par Louis la Van, grands Artistes,

trop peu connus. Là eft le Deffein de la Porte faint Denis, dont la plupart des Parifiens ne connaiffent pas plus la beauté, que le nom de François Blondel, qui acheva ce Monument. Cette admirable Fontaine * qu'on regarde fi peu, & qui eft ornée des précieufes Sculptures de Jean Gougeon, mais qui le céde en tout à l'admirable Fontaine de Bouchardon, & qui femble accufer la groffiére rufticité de toutes les autres; le Portail de faint Gervais, chef-d'œuvre d'Architecture, auquel il manque une Eglife, une Place, & des Admirateurs, & qui devroit immortalifer le nom de Desbroffes, encore plus que le Palais du Luxembourg qu'il a auffi bâti; tous ces Monumens négligés par un vulgaire toujours barbare, & par les gens du monde toujours légers, attirent fouvent les regards du Dieu.

On nous fit voir enfuite la Bibliothèque de ce Palais enchanté; elle n'étoit pas ample. On croira bien que nous n'y trouvâmes pas

L'amas curieux & bizare

De vieux Manufcrits vermoulus,
Et la fuite inutile & rare
D'Ecrivains qu'on n'a jamais lus.
Mais les Mufes ont elles-mêmes
En leur rang placé ces Auteurs 9
Qu'on lit, qu'on eftime & qu'on aime,
Et dont la Sageffe fuprême,

N'a ni trop, ni trop peu de fleurs.

La Fontaine Saint Innocent; Architecture eft de Lefcet, Abbé de Claigni, & les Sculptures de Jean Gougeon.

Prefque tous les Livres y font corrigés & retran chés de la main des Mufes. On y voit entr'autres l'Ouvrage de Rabelais, réduit tout-au-plus à un demi-quart.

Marot, qui n'a qu'un style, & qui chante du même ton les Pfeaumes de David & les Merveilles d'Alix, n'a plus que huit ou dix feuillets. Voiture & Sarrazin n'ont pas, à eux deux, plus de foixante pages.

Tout l'efprit de Bayle fe trouve dans un feul Tome, de fon propre aveu ; car ce judicieux Philofophe, ce Juge éclairé de tant d'Auteurs & de tant de Se&es, difoit fouvent, qu'il n'auroit pas compofé plus d'un in-folio, s'il n'avoit écrit que pour lui, & non pour les Libraires *

Enfin on nous fit passer dans l'intérieur du SanAtuaire. Là les Mystères du Dieu furent dévoilés : là je vis ce qui doit fervir d'exemple à la postérité : un petit nombre de véritablement grands hommes s’occupoient à corriger ces fautes de leurs Ecrits excellens, qui feroient des beautés dans des Ecrits médio

cres.

L'aimable Auteur de Télémaque retranchoit des répétitions & des détails inutiles dans fon Roman Moral, & rayoit le Titre du Poëme Epique que quelques zélés indifcrets lui donnent; car il avoue fincérement qu'il n'y a point de Poëme en Profe.

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L'éloquent Bossuet vouloit bien rayer quelques fa

C'est ce que Bayle lui-même écrivit au Sieur des Maizeaux.

miliarités échappées à son génie vaste, impétueux & · facile, lesquelles déparent un peu la fublimité de fes Oraifons funébres; & il eft à remarquer qu'il ne garantit point tout ce qu'il a dit de la prétendue Lagefle des anciens Egyptiens.

Ce grand, ce fublime Corneille,

Qui plût bien moins à notre oreille,
Qu'à notre efprit qu'il étonna ;
Ce Corneille qui craïonna *
L'ame d'Augufte, de Cinna,
De Pompée & de Cornélie,
Jettoit au feu fa Pulchérie,
Agéfilas & Suréna,

Et facrifioit fans faibleffe,
Tous fes enfans infortunés,
Fruits languiffans de fa vieilleffe,
Trop indignes de leurs aînés.

Plus pur, plus élégant, plus tendre,
Et parlant au coeur de plus près,
Nous attachant fans nous furprendre,
Et ne se démentant jamais,
Racine obferve les portraits

De Bajazet, de Xypharès,
De Britannicus, d'Hyppolite.
A peine il diftingue leurs traits,
Ils ont tous le même mérite,
Tendres, galans, doux & difcretsj
Er l'Amour qui marche à leur fuite
Les croit des Courtifans Français.
Toi, favori de la nature,

Toi, la Fontaine, Auteur charmant,

Qui bravant & rime & mefure,

Si négligé dans ta parure,

* Terme dont Corneille fe fert dans une de fes Epi

cres,

N'en

N'en avois que plus d'agrément ;
Sur tes Ecrits inimitables,

Di-nous quel eft ton sentiment;

Eclaire notre jugement

Sur res Contes & fur tes Fables.

La Fontaine, qui avoit confervé la naïveté de fon cara&ère, & qui dans le Temple du Goût joignoit un fentiment éclairé à cet heureux & fingulier instinct, qui l'inspiroit pendant sa vie, retranchoit quelquesunes de fes Fables, mais en très-petite quantité. Il accourcifloit prefque tous fes Contes, & déchiroit les trois quarts d'un gros Recueil d'Oeuvres pofthumes imprimées par ces Editeurs, qui vivent des fortifes des morts.

Là regnoit Defpréaux, leur Maître en l'art d'écrire,
Lui qu'arma la raifon des traits de la Satyre;
Qui, donnant le précepte & l'exemple à la fois,
Etablit d'Apollon les rigoureuses Loix.

11 revoit fes enfans avec un oeil févére;
De la trifte Equivoque il rougit d'être pere,
Et rit des traits manqués du pinceau faible & dur,
Dont il défigura le vainqueur de Namur ;

Lui-même il les efface, & femble encor nous dire,
Ou feachez vous connaître, ou gardez vous d'écrire.

Defpréaux, par un ordre exprès du Dieu du Goût, fe reconcilioit avec Quinault, qui eft le Poëre des graces, comme Defpréaux eft le Poëte de la raison.

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