Images de page
PDF
ePub

les Grecs; ils fe font la guerre entr'eux; mais ils confervent dans ces diffentions, d'ordinaire, tant de bienséance & de politeffe, que fouvent un Français, un Anglais, un Allemand qui fe rencontrent, paraissent être nés dans la même ville. Il eft vrai que les Lacédémoniens & les Thébains étoient moins polis que le peuple d'Athénes; mais enfin toutes les Nations de la Grèce fe regardoient comme des alliées, qui ne fe faifoient la guerre que dans l'efpérance certaine de la paix : ils infultoient rarement à des en• nemis, qui dans peu d'années devoient être leurs amis. C'eft fur ce principe qu'on a tâché que cet Ouvrage fut un monument de la gloire du Roi, & non de la honte des Nations dont il triomphe : on seroit fâché d'avoir écrit contr'elles avec autant d'aigreur que quelques Français en ont mis dans leurs fatyres contre cet Ouvrage d'un de leurs compatriotes; mais la jalousie d'Auteur à Auteur est beaucoup plus grande que celle de Nation à Nation.

On a dit des Suiffes, qu'ils font nos antiques amis & nos concitoyens, parce qu'ils le font depuis deux cens cinquante ans. On a dit que les étrangers qui fervent dans nos armées, ont suivi l'exemple de la Maifon du Roi & de nos autres troupes; parce qu'en effet c'est toujours à la Nation qui combat pour fon Prince à donner cet exemple, & que jamais cet exemple n'a été mieux donné.

On n'ôtera jamais à la Nation Française la gloire de la valeur & de la politeffe. On a ofé imprimer que ce Vers:

Je vois cet Etranger qu'on croit né parmi nous.

étoit un compliment à un Général né en Saxe, d'avoir l'air Français. Il est bien queftion ici d'air & de bonne grace! Quel est l'homme qui ne voit évidemment que ce Vers fignifie que ce Général eft auffi attaché au Roi que s'il étoit né fon fujet ?

Cette critique eft auffi judicieuse que celle de quelques perfonnes, qui prétendirent qu'il n'étoit pas hone nête de dire que ce Général étoit dangereusement ma❤ lade, lorfqu'en effet fon courage lui fit oublier l'état douloureux où il étoit réduit, & le fit triompher de la faibleffe de fon corps, ainfi que des ennemis du Roi.

Voilà tout ce que la bienféance en général permet qu'on réponde à ceux qui en ont manqué.

L'Auteur n'a eu d'autre vûe que de rendre fidélement ce qui étoit venu à fa connaiffance; & fon feul regret eft de n'avoir pû, dans un fi court espace de tems, & dans une Piéce de fi peu d'étendue, célébrer toutes les belles actions dont il a depuis entendu parler; il ne pouvoit dire tout; mais au moins ce qu'il a dit eft vrai; la moindre flatterie eût deshonoré un Ouvrage fondé fur la gloire de la Nation. Le plaisir de dire la vérité l'occupoit fi entiérement, que ce ne fut qu'après fix éditions qu'il envoya fon Ouvrage à la plûpart de ceux qui y sont célébrés.

Tous ceux qui font nommés, n'ont pas eu les occafions de fe fignaler également. Celui qui à la

tête de fon Régiment, attendoit l'ordre de marcher, n'a pû rendre le même service qu'un LieutenantGénéral, qui étoit à portée de confeiller de fondre fur la colonne Anglaife, & qui partit pour la charger avec la Maison du Roi. Mais fi la grande action de l'un mérite d'être rapportée, le courage impatient de l'autre ne doit pas être oublié. Tel eft loué en général fur fa valeur, tel autre fur un fervice rendu ; on a parlé des bleffures des uns on a déploré la mort des autres.

[ocr errors]

Ce fut une juftice que rendit le célébre M. Defpréaux à ceux qui avoient été de l'expédition du pasfage du Rhin. Il cite près de vingt noms; il y en a ici plus de foixante; & on en trouveroit quatre fois davantage, si la nature de l'Ouvrage le comportoit.

Il fetoit bien étrange qu'il eût été permis à Homére, à Virgile, au Tafle, de décrire les bleffures de mille Guerriers imaginaires, & qu'il ne le fût pas de parler des Héros véritables, qui viennent de prodiguer leur fang, & parmi lefquels il y en a plufieurs avec qui l'Auteur avoit eu l'honneur de vi& qui lui ont laiffé de fincéres regrets.

vre,

L'attention fcrupuleufe qu'on a apportée dans cette édition, doit fervir de garant de tous les faits qui font énoncés dans le Poëme. Il n'en eft aucun qui ne doive être cher à la Nation, & à toutes les familles qu'ils regardent. En effet, qui n'eft touché fenfiblement en lifant le nom de fon fils, de fon frere, d'un parent cher, d'un ami tué ou bleffé, ou expofé dans cette Bataille, qui fera célébre à jamais; en lifant, dis-je, ce nom

[ocr errors][merged small]

dans un Ouvrage, qui tout faible qu'il eft, a été ho- . noré plus d'une fois des regards du Monarque, & que Sa Majesté n'a permis qu'il lui fût dédié, que parce qu'elle a oublié fon éloge en faveur de celui des Officiers qui ont combattu & vaincu fous fes ordres.

C'est donc moins en Poëte qu'en bon Citoyen qu'on a travaillé. On n'a point cru devoir orner ce Poëme de longues fictions, fur-tout dans la premiére chaleur du Public, & dans un tems où l'Europe n'étoit occupée que des détails intéreffans de cette victoire importante, achetée par tant de fang.

[ocr errors]

La fiction peut orner un fujet, ou moins grand, ou moins intéreffant, ou, qui placé plus loin de nous laiffe l'efprit plus tranquille. Ainfi, lorfque Defpréaux s'égaya dans fa description du paffage du Rhin, c'étoit trois mois après l'action; & cette action, toute brillante qu'elle fût, `n'est à comparer, ni pour l'importance, ni pour le danger, à une Bataille rangée, gagnée fur un Ennemi habile, intrépide & fupérieur en nombre, par un Roi exposé, ainfi que fon Fils, pendant quatre heures au feu de l'artillerie.

Ce n'eft qu'après s'être laiflé emporter aux premiers mouvemens de zéle, après s'être attaché uniquement à louer ceux qui ont fi bien fervi la Patrie dans ce grand jour, qu'on s'eft permis d'inférer dans ce Poëme un peu de ces fictions qui affaibliroient un tel fujet, fi on vouloit les prodiguer; & on ne dit ici en Profe que ce que M. Adiffon lui-même a dit en Vers dans fon fameux Poënie de la Campagne d'Hochfted.

Bb iiij

On peut, deux mille ans après la guerre de Troye, faire apporter par Vénus à Enée des armes que Vulcain a forgées, & qui rendent ce Héros invulnérable; on peut lui faire rendre son épée par une Divinité, pour la plonger dans le fein de fon ennemi. Tout le Confeil des Dieux peut s'affembler, tout l'Enfer peut fe déchaîner ; Alecton peut enyvrer tous les efprits des venins de fa rage; mais ni notre fiécle, ni un événement fi récent, ni un Ouvrage fi court ne permettent guères ces peintures, devenues les lieux communs de la Poëfie. Il faut pardonner à un Citoyen pénétré, de faire parler son cœur plus que fon imagination, & l'Auteur avoue qu'il s'eft plus attendri, en difant:

Tu meurs, jeune Craon ; que le Ciel moins févére veille fur les deftins de ton généreux frere,

que s'il avoit évoqué les Euménides, pour faire ôter la vie à un jeune guerrier aimable.

Il faut des Divinités dans un Poëme épique, & fur-tout quand il s'agit de Héros fabuleux. Mais ici le vrai Jupiter, le vrai Mars, c'est un Roi tranquile dans le plus grand danger, & qui hazarde sa vie pour un Peuple dont il eft le Pere. C'eft lui, c'est fon Fils, ce font ceux qui ont vaincu fous dui, & non Junon & Juturne, qu'on a voulu & qu'on a dû peindre. D'ailleurs le petit nombre de ceux qui connaiffent notre Poëfie, fçavent qu'il est bien plus aifé d'intéreffer le Ciel, les Enfers & la Terre à une

« PrécédentContinuer »