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Bataille, que de faire reconnaître, & de diftinguer, par des images propres & fenfibles, des Carabiniers, qui ont de gros fufils rayés, des Grénadiers, des Dragons qui combattent à pié & à cheval, de parler de retranchemens faits à la hâte, d'ennemis qui s'avancent en colonne ; d'exprimer enfin ce qu'on n'a guères dit encore en Vers.

C'étoit ce que penfoit M. Addiffon, bon Poëte, & Critique judicieux. Il employa dans fon Poëme, qui a immortalifé la Campagne d'Hochfted, beaucoup moins de fictions qu'on ne s'en eft permis dans le Poëme de Fontenoy. Il fçavoit que le Duc de Marlboroug & le Prince Eugéne fe feroient très-peu fouciés de voir des Dieux, où il étoit question des grandes actions des hommes. Il fçavoit qu'on releve par l'invention. les exploits de l'antiquité, & qu'on court rifque d'affaiblir ceux des Modernes par de froides allégories: il a mieux fait, il a intéreffé l'Europe entiére à fon action.

Il en eft à-peu-près de ces petits Poëmes de trois ou de quatre cens Vers fur les affaires présentes, comme d'une Tragédie; le fond doit être intéreffant par lui-même, & les ornemens étrangers font presque toujours fuperflus.

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On a dû fpécifier les différens Corps qui ont combattu, leurs armes leur pofition, l'endroit où ils ont attaqué; dire que la colonne Anglaise a pénétré, exprimer comment elle a été enfoncée par la Maifon du Roi, les Carabiniers, la Gendarmerie, le Régiment de Normandie, les Irlandais, &c. Si on

n'étoit pas entré dans ces détails, dont le fond eft fi héroïque, & qui font cependant fi difficiles à rendre, rien ne diftinguero t la Bataille de Fontenoy d'avec celle de Tolbiac. M. Defpréaux dans le paffage du Rhin a dit :

Revel les fuit de près ; fous ce Chef redouté,
Marche des Cuiraffiers l'efcadron indompté.

On a peint ici les Carabiniers, au lieu de les appeller par leur nom, qui convient encore moins aux Vers que celui des Cuiraffiers. On a même mieux aimé, dans cette derniére édition, caractériser les fon&tions de l'Etat-Major, que de mettre en Vers les noms des Officiers de ce Corps qui ont été bleffés.

Cependant on a ofé appeller la Maison du Roi par fon nom, fans fe fervir d'aucune autre image. Ce nom de Maifon du Roi, qui contient tant de Corps invincibles, imprime une affez grande idée, fans qu'il foit befoin d'autre figure. M. Addiffon même ne l'appelle pas autrement. Mais il y a encore une autre raifon de l'avoir nommée; c'est la rapidité de l'action.

Vous, peuple de Héros, dont la foule s'avance,
Louis, fon Fils, l'Etat, l'Europe eft en vos mains.
Maifon du Roi, marchez &c.

Si on avoit dit > La Maifon du Roi marche ; cetre expression eût été profaïque & languissante.

On n'a pas voulu s'écarter un moment dans cet Ouvrage de la gravité du fujet. Defpréaux, il eft vrai, en traitant le paffage du Rhin dans le goût de quelques-unes de fes Epîtres, a joint le plaifant à l'héroïque; car après avoir dit :

Un bruit s'épand qu’Enguien & Condé font paffes ;
Condé, dont le feul nom fait tomber les murailles,
Force les efcadrons, & gagne les Batailles,
Enguien, de fon hymen, le feal & digne fruit, &c.

Il s'exprime ensuite ainfi.

Bientôt.... Mais Vurts s'oppofe à l'ardeur qui m'anime ;
Finiffons, il eft tems; auffi-bien, fi la rime
Alloit, mal-à-propos, m'engager dans Arnheim,
Je n'en fçai, pour fortir, de porte qu'Hildesheim.

Les perfonnes qui ont parû fouhaiter qu'on employât dans le récit de la Victoire de Fontenoy quelques traits de ce ftyle familier de Boileau, n'ont pas, ce me femble, affez diftingué les lieux & les tems, & n'ont pas fait la différence qu'il faut faire entre une Epître & un Ouvrage d'un ton plus férieux & plus févére; ce qui a de la grace dans le genre Epiftolaire, n'en a point dans le genre Héroïque.

On n'en dira pas davantage fur ce qui regarde Part & le goût à la tête d'un Ouvrage où il s'a

300 DISCOURS PRE'LIMINAIRE.

git des plus grands intérêts, & qui ne doit remplir l'efprit que de la gloire du Roi & du bonheur de la Patrie.

301

LE

POËM E

Qu

DE

FONTENO Y.

UOI! du fiécle paffé le fameux Satyrique, Aura fait retentir la trompette héroïque ; Aura chanté du Rhin les bords enfanglantés, Ses défenfeurs mourans, fes flots épouvantés, Son Dieu même en fureur effrayé du passage, Cédant à nos Aïeux fon onde & fon rivage; Et vous, quand votre Roi, dans des plaines de fang, Voit la mort devant lui voler de rang en rang; Tandis que de Tournay foudroyant les murailles, Il fufpend les affauts pour courir aux Batailles; Quand des bras de l'hymen s'élançant au trépas, Son Fils, fon digne Fils, fuit de fi près fes pas; Vous, heureux par fes loix, & grand par sa vaillance, Français, vous garderiez un indigne filence

Venez le contempler aux Champs de Fontenoy. O vous, Gloire, Vertu, Déeffes de mon Roi,

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