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orateur, et surtout en citoyen, sont l'amour de la liberté premier élément de toute force morale; l'amour de chaque patrie respective, composant l'ensemble de la fédération; celui des cantons les uns pour les autres; enfin celui de tous les confédérés pour la commune patrie. Je ne puis qu'applaudir à de si belles idées; mais l'ordre dans lequel l'auteur les enchaîne, me paraît manquer de justesse. Trop souvent, dit-il, le citoyen se place d'abord luimême au premier rang de ses affections, puis sa famille, puis son parti, puis le canton dont il est membre, puis vient enfin la confédération. Il faut que cet ordre soit renversé; il faut que chacun mette la patrie commune avant tout, et que chacun finisse par soi-même. » Je crois que M. d'Aubigné se trompe; que de tels efforts, de telles abnégations ne sont point dans la nature, et que trop exiger est le secret de ne rien obtenir. Les peuples modernes ont mieux connu que les anciens le principe vivifiant de l'ordre social. Ceux-ci le rapportaient au bien-être de la communauté, resserrée pour eux dans des bornes étroites par l'odieuse institution de l'esclavage; ceux-là, qui appellent tous les hommes à jouir de l'égal bienfait du contrat, rapportent le même principe au bien-être de la famille, et ils ont raison. Le problème à résoudre pour nous n'est point le sacrifice dénaturé des plus saintes affections de l'homme à des intérêts devenus trop épars pour être en première ligne; mais un accord tellement étroit du bien public avec le bien particulier, que tous deux soient insépa rables; que les idées de famille et de patrie se confondent dans nos âmes, et que l'une ne puisse souffrir le moindre dommage sans que l'autre à l'instant soit menacée.

Il est bien que M. d'Aubigné s'efforce de rappeler ses concitoyens à la pureté, à la simplicité des mœurs patriarcales. Il est bien qu'il leur dise: «Que le Suisse respire dans sa patrie comme dans une atmosphère à part; que celui qui, après une longue absence, y reporte ses pas, éprouve à son arrivée l'influence restauratrice d'un air

nouveau qui réveille ses affections engourdies, et ranime le feu sacré dont son âme était jadis enflammée. » Il aurait pu ajouter: « Qu'elle soit, comme elle l'était jadis, un lieu de refuge pour le malheur, et qu'elle se rappelle que l'hospitalité était la première de ses vertus.» Quoi qu'il en soit, j'oserai lui demander si les heureux effets qu'il réclame seront bien sûrement obtenus par l'usage où est la Suisse de vendre aux gouvernemens étrangers le sang de ses enfans? Jetés, sans communication, chez des peuples dont ils ignorent la langue, et ne connaissant, de tous les intérêts moraux de la société européenne, que la passive et souvent farouche obéissance militaire, des citoyens de l'Helvétie sont-ils, pour leurs compatriotes com. me pour les étrangers, de vrais descendans des Melctal et des Guillaume Tell? Et n'appartenait-il pas à un patriote comme M. d'Aubigné, de présenter à cet égard au moins quelques-unes des observations qui se pressent en foule dans la pensée du philosophe?

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Enfin, j'ai une dernière objection à lui soumettre; car c'est surtout aux hommes pour lesquels je conçois des préventions favorables, que je me sens disposé à ne rien passer. Il fait très-bien sans doute d'associer à l'esprit na tional l'esprit religieux, son plus digne et son plus solide appui. Les âmes élevées l'entendent lorsqu'il dit que la religion (si mal comprise, et le plus souvent si mal en¬ seignée) est le principe de toutes les pensées grandes et généreuses, et lorsqu'il ajoute que l'Évangile est le besoin du siècle; mais les ministres saints doivent bien se garder de prêcher le sermon dont il leur fournit le texte, lorsqu'il leur demande de dire aux Suisses que Dieu « les a choisis, de son immuable volonté, pour être indépendans et libres, tandis que d'autres seraient soumis à des empereurs et à des rois. Plusieurs graves erreurs sont renfermées dans ce peu de mots. D'abord les peuples (et la Suisse actuelle en fournirait elle-même des exemples) peuvent être aussi libres et plus libres sous des monarchies franchement.

constitutionnelles que sous certaines républiques; et quant aux circonstances qui placent ici des républiques et là des monarchies, ce sont des accidens purement humains dans lesquels Dieu n'intervient pas, mais dont il appartient à la philosophie de rechercher les causes. Ainsi, pourquoi la Suisse est-elle républicaine? Pourquoi la France est-elle monarchique? C'est que les nobles, dans la première, ont aidé le peuple à renverser la tyrannie des rois, et que le peuple, dans la seconde, a aidé les rois à renverser la tyrannie des nobles. De cet état de choses dérivent à la fois et la nature diverse de leurs gouvernemens, et le prin cipe commun qui doit les faire mouvoir. L'aristocratie hel vétique et la monarchie constitutionnelle de France doivent toujours être populaires, afin de suivre les voies qui leur sont propres; et, selon la loi commune à tous les êtres physiques ou moraux, de tendre à leur conservation par les moyens inhérens à leur essence. Qu'on n'allègue aucune circonstance comme motif d'exception. Les embarras dont on voudrait se prévaloir pour justifier l'oubli momentaneTM du principe, s'accroîtront par son oubli même; et, par son rappel subit, ils disparaîtront subitement. Cela est vrai, même des gouvernemens absolus. Quelles difficultés furent plus grandes que celles de Catherine à son avénement au trône après la brusque mort de Pierre ? Comme elle fut long-temps vacillante et peu sûre! Comme le moindre souffle pouvait tout à coup la renverser! Elle s'appuya franchement et fortement sur le peuple; et dès lors tous les orages n'auraient pu rien contre elle; son trône, que sou tenaient des millions d'hommes, bien certains d'être intéressés à le soutenir, devint inébranlable et indépendant; voilà ce que la princesse d'Ashkoff, son amie, appelait assez plaisamment couper ses lisières avec le vrai couteau.”

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Revue de la session de 1817; par le vicomte de SaintChamans, maître des requêtes au conseil d'état. Paris, 1817.

Quatre cents pages sur une seule session, durant laquelle nos députés n'ont fait que rejeter une loi, en adopter une, et en ajourner une troisième; et, sur ces quatre cents pages, cent dix-huit sur la liberté de la presse ne laissent pas que de former un volume imposant, et même effrayant, pour plus d'un lecteur. L'auteur, à la vérité, nous encourage, en nous promettant des opinions qui ne plairont pas à tout le monde, et des hérésies propres à faire dresser les cheveux. Grand amateur de sensations fortes, j'ai ouvert le livre d'après cette promesse ; mais elle n'a été, du moins pour moi, remplie qu'à moitié. J'y ai bien trouvé quelques opinions qui m'ont déplu, parce qu'elles me semblent fausses; mais je n'y ai pas rencontré une seule hérésie. Je considère le Moniteur des trois dernières années comme une collection très-orthodoxe, et je ne pense pas que la revue de la session de 1817 contienne une phrase qui ne pût être imprimée dans le Moniteur. Je serais même tenté de croire qu'elles y ont toutes été insérées; car elles ont produit sur moi je ne sais quelle sensation de réminiscence, comme ces figures de gens avec qui l'on ne vit pas, mais qu'on aperçoit dans tous les lieux publics et à tous les coins des rues. Je serais fâché que mon jugement parût trop sévère; mais, si je l'appuie de preu`ves, l'auteur me le pardonnera-t-il? Il répète à chaque page qu'il a les meilleures intentions du monde, et qu'il n'écrit que dans l'intérêt de la vérité. L'intérêt de la vérité est que toute chose soit mise à sa place. En lui montrant que, dans ce qu'il a pris pour des hérésies, il n'y a que des lieux communs, et, dans ce qu'il nous donne pour des

raisonnemens, que des sophismes, je sers l'intérêt de la vérité: un si bon citoyen m'en saura gré.

Je lui demanderai donc s'il croit avoir avancé une proposition neuve, quand il a établi « qu'il ne faut point écou»ter à toutes les portes ce que chacun fait dire à l'opinion, >> publique, mais la diriger avec vigueur et constance, s'en >> rendre maître, et la conduire pour qu'elle ne s'égare pas?» Ce n'est là que ce que les ministres ont dit durant la session dernière, quand, se déclarant aussi contre l'opinion publique, ils annonçaient qu'ils voulaient marcher à sa tête, et non à sa suite. Pour donner au ministère un conseil utile, M. de Saint-Chamans aurait dû lui apprendre comment on parvient, en froissant l'opinion, à s'en rendre maître; c'est un secret qu'aucune autorité n'a encore possédé; et l'écrivain qui l'enseignerait aurait tout l'honneur d'une découverte. M. le vicomte de Saint-Chamans pense-t-il être le premier qui ait inventé « qu'il ne faut lais» ser aucun espoir de succès ni d'impunité aux démocrates >> brouillons et aux écrivains séditieux qui se lasseront bien» tôt ? » Mon Dieu ! il ne fait que demander ce que demandent vingt pamphlets ministériels, et il n'a, ni dans ses appels à la police correctionnelle, ni dans ses vœux de persécution, le mérite de l'initiative. Se flatterait-il de cet avantage, quand il recommande de ne point chercher » dans le passé l'arriéré de chacun, mais d'être inflexible » sur les opinions présentes qui auraient une tendance dangereuse? » Mais c'est ce qu'on a recommandé il y a dixhuit mois, dans un ouvrage célèbre : c'est le système qu'on reproduit dans la note secrète : c'est ce que pratique fidèlement un certain parti qui ne s'enquiert point de ce qu'ont fait tels ou tels hommes en 1793, et qui leur pardonne leur arriéré, pourvu qu'ils en fassent autant dans une autre

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cause.

«

L'auteur de la revue de 1817 aurait-il cru avoir des idées à lui sur les élections, quand il accuse la moitié des électeurs de l'année dernière, d'avoir cherché, pour les hono.

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