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contre des divergences qui ne s'accusent nulle part dans nos réunions catholiques. Cependant, sous peine de manquer de respect à la vérité historique et à la parole même du Pape, il faut convenir qu'il existait naguère, au moins en 1832 et en 1864, une certaine école libérale, contre laquelle ont été dirigées l'encyclique Mirari vos de Grégoire XVI et quelques propositions du Syllabus.

Les libéraux de cette école disaient alors: N'ayez pas peur de la liberté d'écrire, laissez lutter ensemble au sein de la société la vérité avec l'erreur. La vérité triomphera par elle-même, et plus glorieusement que si elle était secondée par la protection de l'autorité civile. C'est l'esprit de notre époque, que l'État se contente d'assurer l'ordre matériel avec ce qui s'y rapporte immédiatement, et que personne ne soit inquiété pour la manifestation de ses opinions. La religion même trouvera son avantage de ce régime.

L'Église, qui connaît mieux la nature humaine, ne pouvait partager cette illusion. Elle a jugé la question de fait, comme elle avait définitivement prononcé sur la doctrine. Patron d'un système d'équilibre chimérique, le semi-libéralisme, a mérité, lui aussi, les censures du Saint-Siége, et sa périlleuse utopie est tombée devant cette affirmation solennelle : « Il est vrai, trop vrai que la liberté civile de tous les cultes et le plein pouvoir laissé à tous de manifester hautement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions précipitent plus aisément les peuples dans la corruption des mœurs et de l'esprit et propagent la peste de l'indifférentisme.» (Contradictoire de l'avant-dernière proposition du Syllabus.)

L'expérience de chaque jour, messieurs, ne démontre-t-elle pas cette vérité? Ne voyons-nous pas de nos yeux les ravages du doute et les progrès de la démo

ralisation?...

Aussi ne m'attarderai-je pas, messieurs, à entreprendre l'apologie de l'Encyclique et du Syllabus. L'adhésion de toute cette assemblée est acquise d'avance à cette Déclaration des droits de Dieu...

BIBLIOGRAPHIE

CE QU'IL Y A DE POSSIBLE EN Fait d'attributs DE LA DIVINITÉ, SELON STUART Mill.

(Voyez les nos 2, 6 et 9 de la Critique philosophique.)

Il est arrivé plus d'une fois à des philosophes de réduire à de simples probabilités les preuves à donner des thèses de théologie et de psychologie rationnelles ; et c'est ce qu'ils eussent avoué encore plus souvent, n'était le langage imposé à tous par les prétentions, tantôt de la raison et tantôt de la foi, à des certitudes sans bornes et semblables par l'absence du doute à celles de l'expérience directe. Mais Stuart Mill est peut-être le premier qui, assimilant toute la philosophie aux sciences expérimentales, ait aussi considéré les probabilités de la philosophie du même œil que les inductions ordinaires de ces sciences, et rejeté comme entièrement dénuées de valeur les probabilités dites morales et les postulats de la raison pratique.

Deux partis pris, qu'on appellerait violents s'ils n'étaient pas chez lui si tranquilles, ont déterminé en ce sens les spéculations de Stuart Mill: ce sont, d'un côté, la négation de tout apriorisme dans l'esprit humain, et, de l'autre, un ferme propos d'exclure tous les motifs passionnels du nombre de ceux qui doivent incliner l'homme à des croyances générales d'ordre quelconque, absolument comme quand il s'agit de se prononcer sur les faits particuliers des sciences naturelles.

Ce penseur si logique et si résolu a donc traité la question de la personnalité divine et de la création, exactement comme il aurait examiné une hypothèse de cosmologie expérimentale. Partant du fait donné d'un certain ordre du monde et recherchant les «signes d'un plan », il a reconnu des analogies avec l'œuvre d'une volonté intelligente; mieux que cela, il a cru possible d'asseoir une induction, non pas à la vérité de l'espèce la plus forte, bien au contraire, mais toutefois très-probante dans son espèce, pour conclure au fait d'une préordination de finalité, et il a déclaré que les « adaptations qu'on voit dans la nature font pencher fortement la balance des probabilités en faveur d'une création par l'intelligence (1).

Nous suivons la méthode expérimentale; ne l'oublions pas, car il s'ensuit que nous ne sommes pas si avancés qu'on pourrait le croire, après ce premier théorème de probabilités. Il nous reste à savoir, en consultant les faits, ce qu'il est possible de supposer des autres attributs d'un créateur intelligent. Stuart Mill constate que les signes de maladresse ou d'impuissance de l'ouvrier n'éclatent pas moins que les signes de force ou de génie, aux yeux d'un observateur impartial de l'œuvre. A l'extrême rigueur, on pourrait accorder aux théologiens la science et la prescience absolues du Créateur. Stuart Mill partisan, comme on sait, du déterminisme absolu de tous les futurs n'éprouverait aucune peine à en attribuer au Créateur la connaissance anticipée. Mais la toute-puissance est ce qui lui paraît incompatible avec les imperfections et limitations de l'œuvre. Il va jusqu'à soutenir que l'idée même d'un «< plan » et le recours à des moyens pour atteindre des fins sont les marques d'une limitation de pouvoir chez celui qui se propose ces fins. Remarquons ici un certain empiétement sur les raisonnements aprioriques dont l'auteur tient tant à demeurer exempt. En effet, son argument ne prendrait quelque force qu'après examen et réfutation de l'apriorisme opposé des métaphysiciens et théologiens qui prennent pour thème la nécessité logique de l'imperfection d'un monde fini, œuvre distincte du Créateur infini et seul parfait. Soit donc que l'on se souvienne de ce vieux principe de théologie naturelle, soit qu'on pense à la liberté des créatures, autre explication commune des vices de la création étrangers à son origine, il ne paraît pas si clair que le veut Mill que le Créateur ait dû être obligé de s'arranger de choses auxquelles il ne pouvait rien. La limitation de puissance une fois admise et imputée à une condition des choses autre que leur qualité même de créées, où la chercher? Sera-ce dans

(1) The adaptations in nature afford a large balance of probability in favour of creation by inteligence (Three essays on religion, p. 174). Des quatre espèces de la méthode inductive que Stuart Mill distingue dans sa Logique, c'est la première, qu'il appelle méthode des concordances, qui fournit à ce qu'il pense les motifs d'admettre une création par l'intelligence.

l'hypothèse d'un être malfaisant, adversaire du Créateur, aussi fort que lui, ou créature lui-même, capable en tout cas de lui faire obstacle? Un notable empêchement aux imaginations de ce genre se trouve dans le mélange du bien et du mal, tel que le réalise la nature. L'un et l'autre dépendent de faits généraux où ils entrent en combinaison, et semblent bien être des effets des mêmes forces et des résultats des mêmes lois, dans un même cours des choses. Il est donc plutôt probable, ou que la limitation tient aux matériaux du monde, lesquels ne pouvaient souffrir une disposition plus parfaite, ou qu'elle tient à l'imperfection même du Créateur qui n'a pas su vaincre des difficultés qu'on pouvait vaincre.

Voilà pour les attributs métaphysiques de la divinité. La discussion conduite à ce point prépare, dit Stuart Mill, un terrain favorable pour ceux qui veulent admettre les attributs moraux. Ces derniers attributs seraient incompatibles avec la toute-puissance divine, puisque le mal existe. Avec la limitation des pouvoirs divins, ils sont possibles. Ils sont possibles, mais sont-ils réels, en avons-nous des preuves? Rendons-nous compte des conditions du monde.

Si l'on observe que les adaptations reconnues dans la nature ne sont que partielles, eu égard à l'intérêt des vivants; qu'elles ne sont jamais pour eux que temporaires, enfin qu'elles admettent, comme ingrédient constant, des êtres sensibles à la douleur, il devient bien problématique que le dessein du monde ait eu la bonté pour inspirateur. On trouvera vraisemblable, en portant son attention sur toutes les causes et occasions de jouissances offertes par le monde tel qu'il est, que le plaisir des créatures a été réellement voulu par le Créateur. La bonté serait ainsi l'un de ses attributs; et il est alors permis de supposer qu'il s'est vu obligé d'admettre aussi la douleur comme condition de l'arrangement et effet de certaines circonstances. Mais de là à croire que le bonheur a dû être la fin unique ou ne fût-ce que la fin principale de l'auteur des choses, il y a un abîme; car s'il en était ainsi le but n'aurait certes pas été atteint et tout ce que nous savons est contraire à une induction si hardie:

«Si le motif de la divinité pour créer des êtres sensibles a été le bonheur des êtres qu'elle créait, il faut avouer que son plan, au moins dans le coin de l'univers que nous habitons, si l'on tient compte des siècles passés, de tous les pays et de toutes les races, a ignominicusement échoué: et si Dieu n'avait eu d'autre fin que notre bonheur et celui des autres créatures vivantes, il n'est, pas croyable qu'il les eût appelés à l'existence, avec la perspective d'être complétement confondu. Si l'homme n'avait pas le pouvoir d'améliorer par ses propres forces et Jui-même et les circonstances qui l'entourent, de faire pour lui-même et les autres créatures infiniment plus que Dieu n'avait fait tout d'abord, l'Être qui l'a appelé à la vie mériterait de lui autre chose que des remerciments. Sans doute on peut dire que cette capacité de s'améliorer soi-même et d'améliorer le monde lui a été donnée par Dieu, et que le changement qu'il sera par là en état d'effectuer définitivement dans l'existence humaine vaudra bien les souffrances subies et les vies sacrifiées durant des périodes géologiques entières. C'est possible; ma's supposer que Dieu n'aurait gratifié l'homme de ses bienfaits qu'à cet effroyable prix, c'est faire à son sujet une supposition bien étrange. C'est supposer que Dieu ne pouvait, du premier coup, rien créer de mieux qu'un Boschinan ou un naturel des

iles Andaman, ou quelque créature encore plus inférieure, et que pourtant il était capable de douer le Boschiman ou le naturel des îles Andaman du pouvoir de s'élever jusqu'à devenir un Newton ou un Fénelon. Assurément, nous ne savons pas la nature des barrières qui limitent l'omnipotence divine: mais il faudrait s'en faire une singulière idée pour croire qu'elles ont permis à Dieu de conférer à une créature à peu près bestiale le pouvoir de produire par une succession d'efforts ce que Dieu lui-même n'avait aucun autre moyen de créer.»

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On voit que Stuart Mill raisonne sur le don supposé de la perfectibilité et au fond de la liberté aux premières créatures, comme si le bonheur était l'unique condition désirable pour un être sensible dont la sensibilité n'est pourtant pas le tout, et comme s'il était indifférent de recevoir du Créateur la puissance de se faire soi-même ce qu'on est, ou d'être mis dans un état passif de satisfaction béate et de jouissances sans condition. Il passe également sous silence l'hypothèse où « le Boschiman et le naturel des îles Andaman ou quelque créature encore plus inférieure » seraient tout autre chose que des créations directes de Dieu et des fruits de sa volonté par exemple des effets d'un ordre de justice établi dans le monde. Mais si Stuart Mill consent à distinguer des marques imparfaites de bonté divine dans l'arrangement de l'univers, il n'y voit pas trace de justice divine.

« Telles sont, continue-t-il, les indications de la religion naturelle à l'égard de la bonté de Dieu. Si nous considérons l'un quelconque des autres attributs moraux que certains philosophes ont l'habitude de distinguer de la bonté, comme par exemple la justice, nous ne trouvons absolument rien. Il n'y a aucune preuve en faveur de la justice divine, quelque type de justice que nos opinions éthiques nous portent à reconnaître. Dans les arrangements généraux de la nature, il n'y pas l'ombre de justice à quelque imparfaite réalisation qu'elle arrive dans une société humaine (réalisation très-imparfaite comme celle d'aujourd'hui), elle la doit à l'homme qui s'élève à la civilisation en luttant contre d'immenses difficultés naturelles, et se fait une seconde nature bien meilleure et bien plus désintéressée que celle qu'il a reçue au moment de la création (4). »

Nous ne trouvons absolument rien (we find a total blank); et puis, il n'y a pas ombre de justice (there is no shadow of justice in the general arrangements of nature); et enfin la justice qui fonde l'ordre social est l'œuvre de l'homme luimeme (is the work of man himself): voilà des assertions bien extraordinaires, qui du moins le seraient si Stuart Mill n'avait l'habitude de toujours raisonner dans l'hypothèse où les opinions reçues dans l'école empiriste, touchant l'origine des idées, se trouveraient élevées dans une sphère supérieure à la discussion, et devraient passer pour privilégiées à telles enseignes qu'on n'admit jamais, entre les cas possibles qu'on examine, le cas où ces opinions seraient fausses. Mais, selon l'école aprioriste, la justice est un attribut de l'humanité, avant que ses applications ou son renversement deviennent l'œuvre propre de l'homme. Or, si la loi morale est dans l'homme, elle est par là même dans le monde; elle en est un caractère et une partie, au même titre que la nature animale et que les pas

(1) Essais sur la religion, trad. de M. Cazelles, p. 179-181.

sions aveugles de la vie et que les forces brutes de l'impulsion et de la gravitation. Elle peut dès lors et elle doit encore entrer dans l'ordre de l'univers, envisagé et interprété du point de vue de l'homme. La justice est exactement comme la bonté. Là elle ne paraît point, ici elle paraît. Même dans la supposition où la justice se formerait successivement et se dégagerait comme le veut Stuart Mill, elle serait toujours, de même que la nature humaine perfectible, une puissance de la réalité, une réalité en cela même et, définitivement, une loi inhérente au fond des choses et que ne doit point négliger un philosophe qui veut prendre une idée du gouvernement de l'univers. Quand on se place à ce point de vue, et il nous semble forcé, les hypothèses qui tendent à expliquer l'état actuel du monde comme étant, lui aussi, un effet d'événements ayant la justice au nombre de leurs conditions initiales, sont évidemment recevables à l'examen.

Les auteurs qui cultivent en philosophie la méthode des sciences expérimentales et inductives se flattent naturellement d'échapper aux illusions et aux erreurs des anciens rationalistes. Mais il n'y a que les sciences constituées qui puissent prétendre au mouvement régulier de l'expérience et de l'induction; encore n'est-ce qu'à la condition de se mouvoir en des sphères bien définies et de ne point se dissimuler ce qui reste d'hypothétique ou de simplement probable dans les principes on dans les raisonnements dont elles font usage. Quand un philosophe veut appliquer cette méthode à des problèmes tels que ceux de la «théologie naturelle », il s'appuie plus ou moins volontairement sur des vérités (des vérités à son avis) qu'il faut qu'on lui accorde, et sans lesquelles il ne saurait avancer d'un pas, à quelques observations et inductions qu'il ait d'ailleurs recours. Stuart Mill, dans les analyses qu'on vient de voir, suppose les trois thèses que voici : l'origine empirique des idées morales, le déterminisme de l'agent moral, — le plaisir et le bonheur comme les seuls objets qu'un Créateur juste et bon ait dû se proposer dans les destinées de ses créatures. Or l'empirisme, le déterminisme et l'utilitarisme sont des questions débattues entre les écoles, et non des points. fixés par des observations et des inductions reçues de tous. La «théologie naturelle » qui les suppose n'a pas une base plus assurée, ou d'une nature plus purement expérimentale et inductive, que ne peut l'avoir un traité de philosophie dont l'auteur viserait à établir les trois propositions préalables.

ERRATA

Dans le numéro 9, page 129, ligne 5, au lieu de primitif lisez positif; page 139, ligne 25, au lieu de nous ne pouvons la nommer lisez nous pouvons la nommer ; - page 439, ligne 32, au lieu de le prix lisez du prix.

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

PARIS.MPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON,

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