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accumulant les forces de tout genre dont l'individu est la source, ajoute constamment à la puissance progressive de l'espèce. Aussi a-t-on pu avancer sans en avoir, il est vrai, donné la raison comme nous essayons de le faire, est le seul animal qui fasse des progrès comme espèce.

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-que

l'homme

Ainsi acceptant comme un fait le mouvement de la vie à la surface du globe, (sans prétendre expliquer par là la création terrestre, ainsi que le font les naturalistes trop peu philosophes), nous établissons que ce grand fait physiologique de l'évolution de la vie ne s'arrête pas au seuil de l'espèce humaine, à la manifestation naturelle de l'homme-animal, mais qu'il se continue au sein de l'humanité. Il y a seulement ici cette différence toute à l'avantage de notre conception, c'est que tandis que la science de la nature n'a pas encore pu nous dire d'où vient la perfection en plus que, dans l'ordre naturel, chaque degré de l'échelle ajoute aux degrés qui l'ont précédé, nous pouvons, dans l'ordre social, expliquer la progression de la vie de l'humanité par les libres créations de l'esprit humain et le jeu des organismes sociaux.

Tel est, selon nos faibles lumières, sauf erreur ou omission, tout le mécanisine du progrès (20). Ch. FAUVETY.

(20) Pour résumer notre réponse aux objections que nous adresse M. F. dans l'article qu'on vient de lire, nous distinguerons quatre parties dans la théorie qu'il expose de son chef.

Une première partie, où l'idée de la liberté humaine et des conséquences qu'elle entraîne, en opposition avec l'idée du déterminisme absolu, n'est pas envisagée correctement;

Une seconde partie où se trouvent des arguments tendant à prouver la réalité du progrès d'après les faits de l'histoire. Ces arguments, pris séparément, nous paraissent insuffisants. Pris ensemble, ils ne répondent pas à ce que nous avions demandé; ils n'établissent pas une loi scientifique du progrès, et ne définissent avec précision ni l'objet ni le sujet d'une telle loi indépendamment des doctrines religieuses ou philosophiques;

Une troisième partie, consacrée à l'exposition du principe de la capitalisation, dans la marche des acquisitions matérielles et morales des sociétés humaines. Ce principe, selon nous, est juste et bien appliqué. Seulement ce principe est également applicable aux progrès et aux reculs des individus et des groupes sociaux. Il n'a point la vertu de prouver le progrès plutôt que la rétrogradation de ces groupes. Il en est de même de ce que M. F. dit de l'action réciproque des individus et des milieux organisés. Son idée est exacte. Mais il ne remarque pas assez que l'action réciproque a lieu pour le mal comme pour le bien et pour leur transmission;

Une quatrième partie, si c'en est une, mais c'est plutôt le fond et le tout nous voulons parler de la foi vive de M. F. dans le progrès toujours et malgré toutes apparences contraires. Mais ce n'est pas cela que nous avons demandé. Nous avons demandé une loi du progrés et la preuve de cette loi.

MASSOL

Massol, que la mort vient d'enlever à la libre pensée et à la démocratie, appartenait à la philosophie plus qu'à la politique. En philosophie, c'était, comme on l'a dit fort justement, un homme d'action, de propagande, un vulgarisateur, dans le sens élevé du mot, vulgarisateur de parole et de plume, plus encore de parole que de plume; ce n'était pas un homme d'examen laborieux et sévère, de science étendue, de réflexion puissante et profonde.

Esprit ouvert, doué d'une pénétration rapide, il savait s'assimiler d'une doctrine les points saillants qui lui paraissaient de portée, et, après les avoir dégagés et isolés des difficultés et des complexités des problèmes, les frapper, pour ainsi dire, en brèves formules, faciles à rete nir et à répéter, comme pièces de monnaie faites pour une circulation très-étendue. Ces difficultés et complexités lui échappaient sans doute. quelquefois, en raison de l'insuffisance de ses études philosophiques; mais les eût-il clairement saisies qu'il les eût, on peut le croire, négligées à dessein, ses préoccupations étant plus pratiques que spéculatives. Massol avait passé, d'un coup et par une révolution qui témoigne d'une heureuse flexibilité intellectuelle, en même temps que d'une noble sincérité, du socialisme et du religiosisme de l'école de Saint-Simon au rationalisme et à l'individualisme mental et moral de Proudhon. Rejetant tout mécanisme et toute organisation externe d'autorité temporelle et spirituelle, il était arrivé aux confins du criticisme. Ennemi trèsferme et très-décidé des pouvoirs et priviléges héréditaires et des religions révélées, il professait que la morale et la politique doivent s'affranchir complétement, la première de toute foi religieuse, la seconde de toute foi monarchique et aristocratique. Ces deux affranchissements étaient liés dans sa pensée. La République, c'était encore, pour lui, la négation du surnaturel.

Deux traits caractérisent Massol, par lesquels il s'est montré fils du XVIe siècle et de la Révolution française: une foi vive à la raison, un sentiment puissant du droit. Le sentiment du droit l'a préservé d'une chute dans le positivisme politique et social. La foi à la raison l'eût mis en garde contre le dédain superficiel et pseudo-scientifique des aprioris. et l'eût certainement éloigné du positivisme philosophique où il a quelquefois incliné, s'il se fût mieux rendu compte des modes et moyens de la connaissance, de la valeur des hypothèses, de la place nécessaire que tient le probable dans l'esprit, des conditions de l'assentiment légitime.

Simpliste en ses jugements sur la théologie et la métaphysique, Massol enveloppait dans une réprobation à peu près égale les choses

fort différentes auxquelles les positivistes appliquent ces termes. Il ne savait guère mieux qu'eux distinguer la métaphysique des lois de l'esprit de la métaphysique des substances, les spéculations du théisme philosophique des croyances surnaturalistes, ni surtout le christianisme indépendant, le protestantisme, de la forte religion sacerdotale qui est aujourd'hui plus que jamais l'ennemi et le danger de la civilisation européenne. Mais il est juste de dire, bien qu'en certain discours prononcé sur sa tombe on ait fait entendre le contraire, qu'il était fort éloigné des négations tranchantes du matérialisme vulgaire. Que son attitude à l'égard de la croyance à l'immortalité personnelle ne fût pas celle de l'hostilité, c'est ce que chacun de ceux qui l'ont connu peut savoir comme nous, et c'est ce qui peut être assez naturellement inféré de ses idées très-fermes sur le droit et sur la personne humaine.

Apôtre de la religion saint-simonienne dans sa jeunesse, Massol était devenu dans sa maturité et dans sa vieillesse l'apôtre de la morale indépendante. On sait qu'il fonda sous ce titre, avec la collaboration de MM. C. Coignet, Frédéric Morin, Henri Brisson, Bernard Lavergne, Caubet, un journal hebdomadaire qui eut un grand succès. Son nom est resté et restera associé à cette idée de l'indépendance de la morale, qui n'était pas nouvelle sans doute, mais qu'il a singulièrement contribué à rendre populaire. Nous devons dire qu'à nos yeux, dans le journal où elle était défendue contre les critiques des spiritualistes de la tradition, des protestants et des catholiques, elle n'a jamais été suffisamment justifiée au point de vue philosophique, que la portée et les conséquences n'en ont jamais été indiquées exactement, enfin que Massol et ses collaborateurs ne se sont pas assez préoccupés de soustraire la morale à la domination de la prétendue science positiviste, qui n'est, à dire vrai, qu'une espèce nouvelle de dogmatisme, qu'un autre genre de théologie et de métaphysique.

Depuis 1874, Massol faisait partie du Conseil municipal de Paris. La démocratie parisienne s'était honorée en affirmant sur son nom la morale de la raison et du droit, l'enseignement laïque et la nécessité pour la France de rompre entièrement avec l'Église papiste. F. PILLON.

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

PARIS. — IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIgnon, 2

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

MORALE CRITICISTE ET MORALE UTILITAIRE

« Afin d'assurer le triomphe du parti que l'on croit être la bonne cause, on se persuade que tout est bon et l'on cède aux séductions de ce sophisme coupable: que la fin justifie les moyens. Faibles intelligences que nous sommes, que savons-nous de la fin? Nous ne l'entrevoyons qu'à travers les nuages de l'avenir, et nos plus savantes conjectures laissent immense la part de l'inconnu que, faute de pouvoir le définir, nous appelons le hasard. Quant aux moyens, la condition est différente, leur emploi, quand ils sont indignes, constitue une mauvaise action directe et actuelle; notre responsabilité ne peut s'en imposer la charge, alors même que nous serions sur ses résultats futurs, en possession d'une certitude qui nous échappe. L'honnête et le sûr est de dire : Fais ce que dois. »

Ces fortes paroles, que prononçait, il y a quelques mois, M. le procureur général Renouard, nous montrent deux morales en opposition: l'une, qui fait dépendre la valeur des actes des fins poursuivies et des conséquences calculées, l'autre, qui repousse cette dépendance où elle voit la négation même de la conscience humaine. La première a pour formule: La fin justifie les moyens. La formule de la seconde est : Fais ce que dois, advienne que pourra. La première est la morale utilitaire, la seconde la morale criticiste.

Fais ce que dois, advienne que pourra : ce beau proverbe peut être revendiqué par le criticisme, parce qu'il est l'expression spontanée et populaire de ce que le criticisme appelle l'impératif catégorique. En quel lieu, à quelle époque a-t-il pris naissance? Nous ne saurions le dire. Dans sa forme française, il semble un dictamen de l'honneur chevaleresque qu'il traduit admirablement en l'opposant à l'intérêt personnel. Fais ce que tu dois faire, quoi qu'il puisse résulter pour toi de ton action. Mais il n'est certainement pas d'une seule race et d'une seule langue; nul doute qu'en des temps et des pays divers il n'ait jailli des profondeurs de la raison pratique, et sous des formes à peu près équivalentes.

CRIT. PHILOS.

IV.

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Il n'est pas d'origine politique; car il est contraire aux maximes dites politiques qui sont des maximes d'utilité, d'utilité d'individu, de famille, de classe, de parti, de nation, de race. A coup sûr il n'est pas d'origine chrétienne; car il ne témoigne d'aucune préoccupation du bonheur et du salut à venir, personnel ou général; bien plus, il paraît écarter toute préoccupation de cette nature qui prendrait la première place dans l'esprit. Disons même qu'il n'est pas d'origine religieuse ; il ne se présente pas comme descendu du ciel et revêtu d'un caractère divin; on n'en peut faire honneur à aucune révélation; il part d'un sentiment différent et indépendant des passions, des craintes et des espérances d'ordre religieux et auquel ces passions, ces craintes et ces espérances sont appelées à se subordonner; il procède d'une faculté supérieure à celle d'où sont sorties les religions, d'une faculté plus essentiellement humaine que toutes les autres et qui se trouve au fond de notre nature sous les contingences et diversités ethniques, politiques, religieuses.

Faites votre devoir et laissez faire aux Dieux : ce vers immortel de Corneille est une variante du proverbe: Fais ce que dois. C'est toujours l'impératif catégorique. Obéissez à la loi morale, indépendamment de toute conjecture sur l'efficacité empirique, historique, des efforts que la loi morale vous impose. Cet acte d'obéissance est en votre pouvoir; la série des causes et des effets qui s'enchaîneront à cet acte d'obéissance ne l'est pas. Le succès de l'honnête est à des conditions qui peuvent ou non se réaliser, mais dont vous n'êtes pas le maître. Laissez donc, après avoir fait ce qui se devait, laissez se dérouler le cours des choses. Mais prenez garde de demander au cours prévu des choses des lumières sur ce qui se doit. Au dedans, au fond de vous-même vous trouvez le devoir; au dehors, dans l'histoire, vous croyez voir l'avenir. C'est le devoir qu'il faut tenir pour certain, non l'avenir. C'est par le devoir qu'il faut commencer, non par l'avenir. Prenez garde de renverser cet ordre; prenez garde de considérer l'avenir avant le devoir et plus que le devoir; prenez garde que votre vue ne s'arrête et ne se fixe d'abord sur l'avenir, sur le mouvement de l'histoire, et que ce spectacle que votre imagination se plaît à se donner, pris au sérieux, ne trouble votre sentiment intérieur du devoir, n'altère la netteté de l'image qu'il aurait fallu et que vous auriez pu vous en faire. La certitude du devoir implique l'incertitude de l'avenir; la certitude de l'avenir, pour qui s'imagine le posséder, obscurcit fatalement la certitude du devoir.

Fais ce que dois, advienne que pourra: admirez comme ce proverbe oppose le rationnel qui s'impose à l'activité libre, la nécessité morale, le devoir, aux possibilités variables de l'expérience, comment il élève l'idéal au-dessus de la réalité. L'idéal est fixé, déterminé, absolu ; il brille immobile au ciel de la conscience. Le réel, envisagé dans l'avenir, n'est pas cette fatalité qui fascine le regard des philosophes de l'his

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