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existence dont il ignore le fond le rôle de support du seul mode d'être qui lui soit pleinement et immédiatement accessible. Et de deux choses l'une: ou c'est l'idée métaphysique de substance qui lui suggère la fiction d'un tel support, et cette idée ne gagne rien en utilité ni en clarté à être ainsi accolée à la fonction d'un élément des compositions chimiques, laquelle aurait besoin de son côté d'un support pareil; ou bien on se figure que la fonction chimique appelée oxygène, hydrogène, etc. - ou la fonction mécanique dont on peut vouloir que celle-ci soit un effet apportent quelque lumière à la production des fonctions psychiques qu'on leur adjoint; et c'est une illusion que doit dissiper l'analyse des notions que nous avons des attributs et qualités dits de la matière, depuis l'étendue jusqu'aux propriétés physico-chimiques. En effet cette analyse nous apprend que toutes ces choses ne sauraient nous être représentées sinon en fonction des phénomènes psychiques.

On voit que le matérialisme apparent d'un philosophe, dans ce premier genre d'hypothèses, est forcé d'aboutir à un idéalisme dont le nom peut déplaire, mais dont la pensée fondamentale s'impose.

Toute autre est la condition des hypothèses qui attachent l'âme (c'est-à-dire l'ensemble des fonctions ainsi nommées dans une personne) à un composé physicochimique sous le mode de l'organisation. Il ne peut y avoir certainement de supposition plus naturelle et plus simple que celle qui consiste à penser que, de même que notre âme, en notre état de corps vivant, est attachée à un sujet matériel, ainsi ce qui reste de notre âme après la mort est encore joint à un sujet de la même espèce, mais insensible, et paraîtra toujours uni soit à celui-là soit à un autre, quand elle viendra à se manifester de nouveau. C'est une induction de l'expérience et l'on ne peut plus aisée à tirer. Elle est exempte de toute métaphysique touchant les essences de l'esprit ou de la matière. Cette opinion des ancêtres de notre race et de plusieurs autres — n'a rien que de conciliable avec le phénoménisme des philosophes modernes les plus émancipés. Elle prend chez les anciens une forme naïve et n'exige d'eux aucune spéculation. Après avoir traversé les âges elle se montre, dans la monadologie de Leibniz, élevée à la valeur d'un principe sur l'harmonie constante des deux ordres de phénomènes : « Il n'y a pas, dit ce philosophe idéaliste, il n'y a pas des âmes tout à fait séparées... C'est ce qui fait aussi qu'il n'y a ni génération entière, ni mort parfaite prise à la rigueur, consistant dans la séparation de l'àme, et ce que nous appelons générations sont des développements, comme ce que nous appelons morts sont des enveloppements et diminutions.» (Monadologie, numéros 72-73) Ces enveloppements et développements, des naturalistes tels que Haller et Charles Bonnet se les peignent comme de simples changements dans l'échelle de proportion des organes du corps. Les études embryogéniques font abandonner cette manière de voir, et l'on reconnaît que la nature n'est pas si simple; mais la même hypothèse fondamentale subsiste sans difficulté; Claude Bernard la déclare encore aujourd'hui parfaitement recevable. Elle a selon nous le caractère, non d'une doctrine philosophique puisqu'elle ne touche pas le fond dernier de la question, mais d'une anticipation de l'ordre des sciences, anticipation des plus permises à titre hypothétique et inquisitif, sur les découvertes qui peuvent survenir dans les recherches proprement physiologiques du siège de l'âme et de la composition première des germes et embryons.

Nous regrettons que M. H. n'ait pas préféré ce dernier genre d'hypothèses au premier, quand il s'est ingénié à promouvoir la monadologie physiologique à l'aide des moyens que la science actuelle met à sa disposition. Nous n'avons pas d'aileurs à discuter son opinion sur l'unité centrale de l'organisme et l'existence d'un noyau cérébral atomique. Retenons seulement, de son intéressant article, la théorie des enveloppements et développements leibniziens, telle qu'il la conçoit en général, et de l'union possible de l'âme à un corps élémentaire indissoluble. Pourquoi M. H. tient-il à qualifier cette théorie de matérialiste ?

Il ne faut pas disputer des mots. Je veux dire qu'il vaut mieux s'appliquer à comprendre la vraie pensée d'un auteur, et lui passer pour cela l'emploi des mots quels qu'ils soient qui lui plaisent, pourvu qu'il les définisse; or M. H. définit les siens. Toutefois il est utile de rappeler au public le sens ordinaire et reçu des mêmes mots, afin d'éviter la confusion. Eh bien non, de la manière dont cela s'entend, on n'est pas matérialiste parce qu'on affecte un sujet matériel en support ou correspondance aux phénomènes psychiques passés, présents, futurs. Leibniz serait matérialiste à ce compte. On est matérialiste quand on prétend :

4° Concevoir ce sujet, en sa composition et ses éléments, comme exclusivement défini par les fonctions non psychiques, mécaniques notamment ;

2o Du sujet ainsi conçu, tirer par voie d'identification profonde ou de causalité ces phénomènes psychiques qu'on a refusé d'introduire dans sa définition; oublier ainsi la vérité d'un axiome logique spirituellement formulé par Fechner et que cite notre auteur: « Une notion est comme une oie farcie : il n'en sort que ce qu'on y a mis >> ;

3° Prendre pied de là pour affirmer que les phénomènes psychiques ne peuvent se prolonger, en une conscience donnée, au delà de la donnée de composition des phénomènes non psychiques dont on les dit être des transformations, des sécrétions ou des effets. Le matérialisme, en langage commun, est bien plutôt imputé à l'opinion de la mortalit de l'âme qu'à une théorie quelle qu'elle soit sur l'essence de l'âme. C'est que la conséquence est ici révélatrice du principe qui guide au fond le philosophe.

La doctrine de M. H. ne satisfait à aucune de ces trois conditions du matérialisme. Il les combat en toute rencontre. Ce philosophe est bien plutôt dans la direction qui va de la monadologie leibnizienne et sans l'abandonner au phénoménisme de l'école de Hume, dont il n'est évidemment séparé que par les métaphores communes de la substance et de, la causalité : la vaine image d'un substrat et celle de l'hégémonie d'un « noyau » qui commande et organise. Nous aurions maintenant. à montrer en quoi la méthode criticiste du phénoménisme est conciliable avec les hypothèses de la physiologie monadologique. Mais nous comptons traiter ce sujet en des articles spéciaux.

On vient de citer l'opinion de Claude Bernard sur la possibilité de reprendre aujourd'hui l'hypothèse de l'involution convenablement entendue. Voici en quels termes notre illustre physiologiste s'en est expliqué dans son cours du Muséum :

... Les ovistes, tels que Swammerdam, Malpighi, Haller, voyaient dans l'oeuf

l'image réduite de l'être nouveau, nourri au moyen du sperme, ou bien développé sous l'impulsion de la vapeur (aura seminalis) émanée de ce liquide. Les spermatistes, au contraire, considéraient l'animalcule spermatique comme l'ébauche et la miniature de l'embryon.

» Les partisans du premier système, refusant à aucun des éléments de l'organisme le pouvoir de la création du germe, furent naturellement entraînés à le refuser à l'organisme lui-même. Ils admirent la préformation non-seulement à partir de l'œuf ou du spermatozoïde, mais la préformation de ces éléments eux-mêmes, la préformation indéfinie de tout temps. Tel est le système célèbre de l'emboîtement des germes ou de l'involution, dont l'origine se trouve dans les idées philosophiques de Leibniz, dont la formule a été donnée par le naturaliste Charles Bonnet, de Genève, et que le célèbre Haller n'avait pas hésité à adopter.

:

>> Leibniz considérait tous les phénomènes de l'univers comme la simple conséquence d'un acte primordial, la création. La puissance créatrice qui était intervenue une première fois n'avait pas eu besoin de répéter son effort, et l'ordre naturel était réglé pour la série des temps. C'est là ce que Leibniz entendait exprimer par l'aphorisme célèbre Semel jussit semper paret. Il n'y a donc point pour lui de génération proprement dite, de création nouvelle; le premier être contenait en puissance et en substance toutes les générations qui lui ont succédé, et l'observateur ne fait qu'assister au développement de ces germes du premier jour inclus les uns dans les autres. Le philosophe genevois Bonnet adopta cette vue. Il considérait qu'un animal ne créait pas véritablement les êtres dont il devenait la souche, qu'il en contenait simplement les germes, enveloppés pour ainsi dire les uns par les autres, et se dépouillant successivement de leurs enveloppes. D'après cette façon de voir, si considérable que soit le nombre des générations dont les germes sont ainsi superposés, ce nombre est pourtant limité; si reculé que soit le terme assigné à chaque espèce, ce terme n'en est pas moins irrévocablement déterminé.

» Cuvier, dont le génie précis s'accommodait mal des hypothèses, a pourtant accueilli celle-ci avec faveur. Il la regardait comme la plus satisfaisante de toutes celles qui se proposent d'expliquer la multiplication des êtres vivants. Nous n'aurions point rappelé ces souvenirs si des travaux récents ne semblaient tirer l'hypothèse de l'involution de l'oubli dans lequel elle est tombée. Les auteurs contemporains Pflüger, etc., ont établi la dérivation de l'oeuf de l'épithélium ovarien; M. Balbiani complète l'histoire de l'oeuf en faisant provenir cet épithélium d'un élément (le globule polaire) sorti directement de l'œuf; par là il donne un fondement scientifique à la théorie précédente; surtout si l'on considère comme prouvée la distinction d'origine que le même auteur établit entre la vésicule germinative, qui traduit l'influence atavique, et la cellule embryogène qui traduit l'influence particulière de l'individu.» (Extrait de la Revue scientifique, numéro du 10 octobre 1874.)

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

FARIS. IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE,

LITTÉRAIRE

LA MORALE CRITICISTE DANS L'HISTOIRE D'UNE ANCIENNE RÉPUBLIQUE

L'application systématique de la morale criticiste à tous les rapports politiques, intérieurs et extérieurs, serait dans le monde une grande nouveauté. Tandis que les crimes de la raison d'État remplissent l'histoire, les exemples y sont malheureusement rares qui montrent l'impératif catégorique sincèrement embrassé et résolument suivi, malgré de fortes tentations utilitaires. Il y en a cependant quelques-uns à citer, et Plutarque, dans la vie de Thémistocle, en rapporte un mémorable qui fait singulièrement honneur à la démocratie athénienne.

« Encore s'advisa Themistocles d'une autre chose bien plus grande pour rendre la ville d'Athènes puissante par mer, car, après la retraite de Xerxès, s'estant toute la flotte de l'armée navale des Grecs retirée pour hyverner au port de Pagases, il dit un jour en publique assemblée du peuple, qu'il avoit imaginé une chose qui leur estoit très-utile et très-salutaire, mais qu'il n'estoit pas expedient de la déclarer publiquement : le peuple lui ordonna qu'il la communiquast à Aristides, et que si celuy-là la trouvoit bonne, qu'elle s'executast promptement. Themistocles luy déclara que ce qu'il avoit en pensée estoit de mettre le feu dedans l'arcenal, ou estoyent retirez les vaisseaux des Grecs, et les brusler tous ensemble. Aristides ce conseil ouy, retourna devers le peuple, et dit, qu'il n'y avoit rien ne plus utile, ne plus injuste que ce que Themistocles avoit imaginé. Et adonc luy commanderent les Atheniens qu'il s'en deportast entierement. ».

Y a-t-il jamais eu un spectacle plus admirable que ce peuple assemblé, repoussant, sans le connaître, un projet qu'il croit utile, par cette unique raison qu'il le croit injuste, et déclarant tout d'une voix que lorsque la justice parle il n'y a pas à délibérer sur l'utilité? Quelle protestation contre ces maximes: La force prime le droit ; La fin justifie les moyens!

M. Louis Ménard remarque à ce sujet qu'un peuple qui donne au

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IV.

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monde l'exemple d'un si profond respect pour la justice, mérite bien de se gouverner lui-même. Nous ajouterons que si le peuple athénien a donné cet exemple au monde, c'est précisément, on peut le croire, parce qu'il se gouvernait lui-même. Un gouvernement monarchique ne l'eût pas donné. C'est l'observation que fait Machiavel: « Je suis sûr, dit-il, que Philippe de Macédoine n'aurait pas fait cela, non plus que les autres princes, qui ont préféré chercher l'utile, et qui ont trouvé dans la violation de la foi jurée le meilleur moyen de s'agrandir. » Et Machiavel conclut de ce beau trait de l'histoire d'Athènes que « les républiques observent bien plus fidèlement les conventions que les princes.» (Le republiche sono di lunga più osservanti degli accordi che i principi). Mais l'auteur des Discours sur Tite-Live constate, sans l'expliquer, cette différence de conduite entre les républiques et les princes. L'explication nous en paraît assez claire. La vie politique généralisée, c'est-à-dire remplie pour tous de droits à exercer et de devoirs à remplir, est pour tous une éducation, un développement de la conscience morale et juridique. Une république est une association de consciences. Elle suppose des règles de justice qui peuvent être plus ou moins bien comprises, mais qui sont reconnues de tous et que chacun sent la nécessité et prend l'habitude de mettre au-dessus de ses passions personnelles et de ses intérêts particuliers. Or, si la conscience, plus ou moins éclairée, règne dans les rapports de citoyens à citoyens, de gouvernants à gouvernés, il est bien naturel, en vertu de la logique et même simplement de l'habitude, qu'elle tende également à se faire sentir dans les rapports d'État à État. En un mot, l'identité de principe de la morale criticiste et de la politique républicaine rend parfaitement compte de ce fait reconnu par Machiavel, que les républiques offrent des alliances plus sûres que les princes (che si possa fidare più del popolo che del principe).

On nous objectera peut-être qu'il faut voir dans l'anecdote de Plutarque une légende et non un fait historique : c'est un point sur lequel nous nous expliquerons.

LA CONSPIRATION BONAPARTISTE

« Loin de restreindre, a dit Auguste Comte, l'influence nécessaire que la raison humaine attribua, de tout temps, à l'histoire dans les combinaisons politiques, la philosophie positive l'augmente radicalement et à un haut degré ce ne sont plus seulement des conseils ou des leçons que la politique demande à l'histoire pour perfectionner ou rectifier des inspirations qui n'en sont point émanées; c'est sa direction générale qu'elle va désormais exclusivement chercher dans l'ensemble des dé

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